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Il est grand le mystère de la foi

Je parle de millions d’hommes [et de femmes] à qui on a inculqué savamment  la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme

Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme

Lorsqu’il s’agit des islamistes, notre élite réactionnaire et nationaliste ne fait pas dans la dentelle. Elle invente des complots, soutient que notre identité est menacée par ces « étrangers », appuie les guerres impérialistes et refuse toute forme de compromis. Après plus de 10 ans de polémiques stériles à propos des « accommodements raisonnables », il est d’ailleurs inquiétant que la communauté musulmane n’ait pas un seul porte-parole connu dans l’espace médiatique. Cet espace est plutôt dominé par ceux qui préfèrent la chasse aux femmes voilées plutôt que le dialogue indispensable à la paix entre peuples de cultures différentes.

Bien entendu, il n’en est pas de même en ce qui concerne la religion catholique. À ce sujet, la « nuance » (voyez comme nous sommes généreux) retrouve ses lettres de noblesse.

Les conservateurs disent tous sensiblement la même chose. Un peu comme un cantique chanté à l’unisson, mais en moins drôle.

D’abord, l’Église nous aurait sauvé la vie. Joseph Facal affirme que si elle n’avait pas « défendu notre identité nationale », notre langue ne serait plus qu’un « dialecte folklorique »[1]; Mario Dumont nous parle du « rôle essentiel de l’Église » dans la « survivance de notre langue » [2]; et monsieur Mathieu Bock-Côté (encore lui!) soutient qu’il faut cesser de « vomir » notre passé catholique et redécouvrir notre « vieille mémoire »[3]. L’historien conservateur Éric Bédard va dans le même sens

« Après tout, le catholicisme ne fait-il pas partie de notre histoire? Qu’on le veuille ou non, la naissance de notre peuple doit beaucoup aux religieux et aux religieuses qui rêvaient de convertir les « sauvages » et de civiliser le Nouveau Monde »[4].

L’Église catholique, donc, serait une part irréductible de ce que les nationalistes conservateurs aiment appeler l’« âme nationale » du Québec.

Les voies de Dieu sont cependant impénétrables, et le peuple est généralement un peu trop émotif pour les comprendre. Selon Facal, ceux qui critiquent l’Église font preuve d’une « attitude qui relève du réflexe conditionné » et d’un « automatisme psychologique ». C’est ce qui explique que la réaction « hystérique » aux propos litigieux de notre monseigneur Ouellet. Dumont va dans le même sens et soutient que « Le Québec n’a pas encore totalement fait la paix avec un passé » et a « peur » de revenir à la domination de l’Église. Pour sa part, Richard Martineau nous explique, avec de délicates et subtiles images comme lui seul sait en inventer, que lorsqu’il s’agit de laïcité et de religion, nous sommes « Comme un enfant qui joue avec un stérilet qu’il a trouvé dans le tiroir de sa mère »[5].

Nos réactions spasmodiques et plus ou moins irrationnelles en ce qui a trait à la religion catholique (et seulement la catholique, bien entendu) seraient toutefois explicables. Nous vivons notre modernité comme une « nouvelle religion » et nous manquons de « recul critique » face à cette dernière, affirme Facal. Christian Rioux, du Devoir, soutient que le Québec est toujours en « quête de sens » et vit une « crise des valeurs » qui nous ont plongés dans le « vide spirituel »[6]. Et Monsieur Bock-Côté affirme nous sommes en train de faire un « procès systématique » à l’un des nôtres. Nous manquons de « patriotisme spontané » et cela nous en dit long sur le piètre état de notre « conscience historique ».

Heureusement pour nous, l’élection d’un pape qui a déjà mangé de la soupe aux pois et mis des bottes de rubber pour aller à la cabane à sucre serait pour nous une… bénédiction.

Quoi de mieux, en effet, que de tenter de nous insuffler une bonne dose de patriotisme religieux après nous avoir rappelé que nous sommes un peuple un peu tata et en perte de repère?

Dumont soutient que les Québécois ressentiraient une « fierté immense et légitime » si Ouellet était élu. Bock-Côté, à sa rescousse, explique

« Qui sait s’il ne retrouvera pas ainsi une certaine vitalité, et si ce renouveau de la conscience historique ne pourrait pas lui redonner un peu d’épaisseur existentielle. Qui sait si cette rénovation de la mémoire ne lui fera pas découvrir quelques repères? »

Bédard est d’accord avec lui

« Son élection comme pape ramènerait-elle les Québécois à l’Église? À court terme, j’en doute fort. Mais son exemple pourrait susciter des vocations pour l’avenir ».

Et Facal tente même d’être touchant

« Imaginez cependant la scène. La fumée blanche apparait. Les volets de la petite fenêtre donnant sur la Place St-Pierre s’ouvrent. On voit alors apparaître un petit gars né à La Motte, en Abitibi ».

Mais nous devrions être fiers de quoi au juste? De l’évangélisation des autochtones? De l’admiration de l’Église pour Pétain et Franco? De l’antisémitisme? De l’anticommunisme hystérique? De la censure? De l’homophobie? Du sexisme? De la chasse aux Jéhovas ? Des dérives du chanoine Groulx?

Non, bien entendu, nous l’avons dit : les droitistes, lorsqu’il s’agit de catholicisme, font dans la nuance – enfin, autant que leur capacité le leur permet. Ce dont nous devrions être fiers, c’est de la provenance du Pape. La souffrance des femmes violées, des homosexuels, des enfants abusés dans les pensionnats et des sidéens est bien réelle, mais au lendemain d’un conclave victorieux, nous pourrons regarder tout ce beau monde droit dans les yeux avec une grande fierté.

Car voyez vous, le Grand Chef de toute cette hiérarchie stupide et de ces malheurs est un p’tit gars bien de chez nous.

Les nationalistes de droite n’aiment pas le peuple québécois, ce qu’ils aiment, c’est ce qu’il y a en lui qui vient les conforter dans leur idéologie réactionnaire. Ils n’aiment pas « ce que nous sommes », ils aiment que nous soyons conformes à l’idée qu’ils se font de nous, soit quelque chose comme le pire de nous-mêmes.

Preuve, s’il en fallait, que les colonisés ne sont pas toujours ceux que l’on croit…

***

Notes

[1] Joseph Facal, « Non habemus Papam », le Journal de Montréal, 4 mars 2013.

[2] Mario Dumont, « Une fierté immense et légitime », Le Journal de Montréal, 12 mars.

[3] Mathieu Bock-Coté, « Un pape québécois? Pourquoi pas? », Blogue, 3 mars 2013.

[4] « Débats: le cardinal Ouellet, le prochain pape? », Cyberpresse, 05 mai 2011.

[5] Richard Martineau, Le Journal de Montréal, 12 mars.

[6] Christian Rioux, « Et si Ouellet devenait pape… », Le Devoir, 1er mars 2013