*Ce texte a été publié dans le journal Le Couac de mai 2013.
La réponse est plutôt facile à identifier : pauvreté, chômage, exploitation, stress, corruption, maladies, guerres, racisme, sexisme, violence, pollution, destruction, exclusion…
On nous ment, on en bave et on le sait. Il n’y a pas une seconde qui s’écoule qui ne justifie une forme ou une autre de résistance à la bêtise systémique qui nous enserre. Et il n’y qu’à écouter notre entourage « chialer » constamment contre les notables pour comprendre que nous sommes bien conscient·e·s, au fond, de notre aliénation. Tout le monde sait que quelque chose ne tourne pas rond… Chaque jour amène de nouveaux scandales. Chaque jour démontre que la classe dirigeante travaille avec notre argent pour ses propres intérêts mercantiles et égoïstes. Tout le monde sait que notre monde politique et économique est corrompu. Tout le monde sait que l’égalité devant la loi est une fantastique chimère. Tout le monde sait également que les politicien·ne·s défendent les intérêts des classes dominantes. Et tout le monde sait que les notables qui osent nous demander de payer notre « juste part » ne paient pas la leur – nous avons même eu un très (très !) honorable Premier ministre qui faisait battre le drapeau du paradis fiscal sur ses propres bateaux.
Une bonne question… Seulement, et c’est un trait caractéristique de notre humanité, la vaste majorité de la population reste chez elle, lovée dans le sofa à écouter La Voix ou à pratiquer on ne sait qu’elle autre forme d’automutilation. La vraie question, enfin, la plus intéressante de notre point de vue, serait plutôt : pourquoi les gens obéissent ?
Étienne de la Boétie (1530–1563) nous donne ce qui est peut-être la première des réponses à cette énorme question
Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul, c’est étrange, mais toutefois possible ; on pourrait peut-être dire avec raison : c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille souffrent l’oppression d’un seul, dira-t-on encore n’osent-ils et elles pas s’en prendre à lui, ou ne veulent pas, et que ce n’est pas par couardise, mais plutôt mépris et dédain ? Nous sommes fasciné·e·s, ensorcelé·e·s et amoureux·ses de l’autorité.
Le Discours sur la servitude volontaire – que La Boétie écrit alors qu’il avait à peine 16 ans ! – soutient que nous sommes responsables de notre servitude. Le système entier repose sur notre collaboration et il ne tiendrait qu’à nous de le transformer. Nous sommes les propres fossoyeur·e·s de notre liberté, à un point tel que nous avons même oublié à quoi elle ressemble…
Un de nos contemporains, Gene Sharp, théoricien de la non-violence, à peine 500 ans plus tard, poursuit cette réflexion. Selon lui, il y a principalement sept raisons qui poussent les gens à l’obéissance. Comme La Boétie, il soutient que l’habitude est la pierre angulaire de la soumission volontaire.
Et il y ajoute :
La peur des sanctions : Autrement dit : la répression. Un facteur de soumission majeur et efficace, mais qui connait ses limites, car il a la fâcheuse conséquence de créer des martyrs, ce qui peut alimenter la révolte. Si elle ne décourage que rarement les révolté·e·s et les révolutionnaires, elle a cependant pour effet d’inciter le reste de la population à ne pas se joindre à eux.
L’obligation morale : Difficile à admettre… mais les gens ressentent une obligation morale d’obéir. Nous avons appris à aimer notre société et à la respecter. En se soumettant à la loi, on travaillerait au bien commun. Sans cette croyance, car c’est bien de cela qu’il s’agit, nulle société ne peut faire système. En ce sens, nous avons également tendance à croire que ceux et celles qui font appliquer la loi sont doté·e·s de qualités morales supérieures. Tout est mis en oeuvre – et ils en ont bien besoin – pour que les politicien·ne·s, les juges et autres figures d’autorité jouissent d’une aura de respectabilité.
Identification psychologique avec le ou la gouvernant·e : Nous aimons nos gouvernants et nos dirigeants. Comme s’ils étaient une extension de nous-mêmes, nous admirons leur succès et pleurons leurs échecs comme s’ils et elles étaient nôtres. Nous avons de l’empathie à leur égard, à un point tel que les plus détestables d’entre eux – on pense ici, par exemple, à la Madame Thatcher – font vivre chez nous de vives émotions d’empathie.
L’indifférence : Bien entendu, on ne peut passer ce côté sombre de l’humanité : son indifférence à la souffrance d’autrui. Nombre de gens parmi nous vont obéir à des dirigeants qu’on considère impies simplement parce que cette obéissance n’affecte pas outre mesure notre quotidien, même si cette obéissance peut être, pour les « autres », d’une violence extrême.
L’absence de confiance en soi des sujets : « Communistes ! », « Radicaux ! », « Utopistes ! », « Rêveurs ! »… L’élite réactionnaire met tout en place afin de cultiver cette absence de confiance.L’inertie de la population est sa force. Il convient ainsi de cultiver une certaine complexité, voire une opacité quant aux problèmes sociaux et aux solutions à leur apporter. Tout cela est « compliqué » – pensons à l’économie – et il n’est pas donné à tou·te·s d’en saisir les tenants et aboutissants. Et de toute façon, la grève et les manifestations, ça ne marche pas. Vaut mieux laisser les choses politiques entre les mains de ceux et celles qu’on a élu·e·s…
Eux savent de quoi ils parlent.
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Notes
Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, Paris, Éditions des Milles et une nuit, p.10.
Gene Sharp, « Why do men obey ? », The Politics of Non violent Action, Boston, Porter Sargent, 1973.
Quelle révolte?
En effet, pourquoi on obéit est une meilleure question.
Ce n’est pas toujours l’indifférence qui motive les gens à « ne rien faire » c’est parfois la réalisation douloureuse qu’on mènera bien d’autres luttes avant la nôtre. Les luttes, parfois intimes mais qui ont des ramifications immensément intrusives, comme le sexisme et la ségrégation raciale sont souvent occultées par toutes les autres. Et si on réglait celles-là d’abord? Il me semble que ça irait déjà beaucoup mieux pour régler toutes les autres comme celles qu’engendrent les abus de pouvoir . Les luttes qui n’aboutissent pas finissent par se transformer en symptômes physiques et psychologiques et avec les craintes et la peur qu’elles engendrent, elles finissent par incapaciter les gens qui dès lors se mettent à avoir peur de tout.
Si vous pensez pouvoir faire mieux M. Cyr, fais le donc.
Un mononcle dans son salon peut chialer que Price devrait faire un tel ou un tel arrêt, même si lui il se rendra même pas à la ligne AAA.
Pourquoi les gens obéissent? j’ajouerais 2 points à votre liste :
1. On choisit ses batailles. On n’a pas tous la mêm force et le même courage. De la peur? de la paresse? Peut-être… Qui a envie de passer sa vie à se battre pour tout et pour rien? Certains le font! d’autres n’en ont simplement pas la force physique ou morale.. ou préfèrent vivre simplement, dans un certain cadre qui ne les satisfait pas tout à fait plutot que de passer à côté de leur vie pour élargir le cadre pour les autres.
2. Pour arriver à un but commun, on doit faire sa part. On continue d’obéir, en faisant notre part, en chialant en même temps pour que chacun fasse la sienne. Ce n’est pas qu’un seul individu qui a construit la civilisation telle qu’on la connaît mais plutôt la succession des peuples et des générations. Si chacun aujourd’hui se mettait à désobéir, beaucoup de choses ne fonctionneraient plus…
Bonjour Kath
Pour le no1, je vous dirais qu’on n’a pas toujours le choix, la vie décide souvent pour nous par le biais de tous les irritants possibles dans une vie ex.: un accident grave.
Pour le no 2, vouloir le bien commun est noble sauf quand on réalise que le système politique dans lequel on vit se nourrit des divisions pour acquérir plus de pouvoir.
Pour tout vous dire c’est encore heureux que malgré tout on puisse entretenir, parfois assez longtemps, une vie « obéissante » en faisant sa part et en chialant, comme vous dîtes, contre ceux qui ne la font pas. Mais au juste c’est quoi faire sa part? N’est-ce pas pour commencer en donner quand on en a de trop? J’ai toujours trouvé un peu ridicule les gens qui prétendent avoir travailler pour tout l’argent qu’ils ont , à la limite ils devraient dire qu’ils sont chanceux, car c’est avec de l’argent qu’on fait de l’argent et rien d’autre. Moi je ne chiale plus ou si je chiale c’est contre ceux qui en ont trop mais trouvent qu’ils n’en ont jamais assez.
M.Luc: relisez votre commentaire et vous constaterez qu’il peut très bien s’adresser à vous, qui ne faites qu’un commentaire sur un commentaire.
Pour ma part, je fais de mon possible. Transformer la société est ce qui constitue la plus grande partie de ma vie. Mais vous avez raison: je peux faire mieux.
Et vous?
Mr Cyr : Mon commentaire sur votre commentaire est une manière constructive de vous proposer d’écrire quelque chose de plus constructive (puisque c’est vous, ultimement qui écrivez les articles). Pour vous encourager à reconnaître les obstacles et de proposer les solutions plutôt que de faire les déclarations faciles comme »ca va mal parce que les politiciens sont mauvais et que les gens qui obéissent sont des larbins ».
M. Péladeau fils a récemment critiqué M. Lisée dans sa chronique et M. Lisée a très bien répondu sur son blogue. Je vous invite à les lire les 2 textes. La vérité est toujours entre 2 arguments.
Avez vous pensé qu’il y a des gens qui croient à une amélioration mais non pas nécessairement une révolution dans notre société? Qu’un changement sociale via la politisation de la masse est plus lente mais plus permanente qu’une grève et une manifestation qui coûtent des millions à tout le monde? Qu’on a beau critiquer les politiciens mais qu’en réalité gouverner et plaire à tout le monde c’est impossible. Nuancez, vous aurez plus de crédibilité auprès des gens qui partagent pas vos arguments.
Ton opinion ne nous intéresse pas Luc. Laisse-nous plutôt nous adonner à l’onanisme idéologique en compagnie de Marc-André.
@Luc Monsieur Cyr n’a pas besoin d’être défendu mais permettez-moi de vous indiquer que si voulez de la nuance, il faudrait vous donner la peine de lire tous les commentaires concernant l’article de Marc-André. J’apprécie énormément l’ouverture de cet homme qui parle de sujets qui le préoccupent, ça va de soi, mais qui laisse la place à d’autres idées, parfois différentes de la sienne, mais qui proviennent quand même d’un certain vécu ou d’un exercice de pensée qui demande un minimum d’effort que vous ne semblez pas prêt à fournir. Monsieur Lisée est un politicien actif qui se doit de répondre aux contribuables mais nous dévoile-t-il le vrai fond de sa pensée? Ceci dit j’aimerais bien lire sur votre expérience ou vos idées d’une politisation de masse quand on vit dans un contexte nord-américain où l’argent est « maître » et où plus ton pays est grand plus tu es petit, à moins bien entendu qu’on fasse partie de la famille des moutons, ce que de plus en plus de personnes refusent d’être en passant. Elle est la la révolution et elle ne se fera certainement pas par en haut ni par le politique et je peux vous assurer que je parle par expérience.
L’opinion de Luc est au contraire intéressante. Personne n’a dit le contraire, même s’il déforme mes propos à son avantage.
Diogène: Difficile de pratiquer l’onanisme idéologique – un terme qui ne veut strictement rien dire et qui doit être difficile à mettre en branle (!).
Sans oublier que dans un baril… les risques de blessures sont grave, cher Diogène.
Onanisme idéologique : se complaire dans une idéologie que l’on croit parfaite. J’admets par contre que l’onanisme à plusieurs, c’est boiteux comme concept. Il faudrait peut-être plutôt parler de circle jerking idéologique.
Difficile pour les citoyens ordinaire de se mobiliser de nos jours. Le 9 à 5 est régler au quart au tour, c’est difficile de s’en sortir, surtout avec des enfants. Qui manifestait lors de la crise étudiante l’an passé? Surtout des gens qui avait le temps de le faire… Des jeunes, des temps partiel, des retraités. Qui se lève pour dénoncer la réforme de l’assurance-emploi? Pas grand monde : les principaux intéressés… travaillent. J’imagine que ça recoupe donc l’obligation morale (de travailler, d’accomplir sa « tâche » dans la société). Qu’arrivera-t-il quand la balloune va leur péter en pleine face? Pas hâte de voir!
La « balloune » a déjà pèté pour beaucoup de monde et c’est dans la face à tout le monde qu’elle va péter si elle pète ici quand l’écart deviendra encore plus grand entre les riches et les pauvres et que les taux de chômage atteindront des sommets. Les manifs c’est de l’intelligence en action, de la prévention (comme dans je vous préviens), toutes les « causes » finissent par se rejoindre en quelque part et il y en a pour tous les horaires et tous les citoyens, ceux naturellement qui veulent vivre en paix avec eux-mêmes et leurs voisins d’à côté.
Diogène : si mon commentaire ne vous intéresse pas, vous avez le choix de ne pas le lire. Si vous l’avez lu et que ca vous plait pas, vous pouvez l’ignorer. J’écris pas mes commentaires en fonction de ce qui vous intéresse de lire et retenir malheureusement.
Mme Julie
La politisation de masse passe par les messages qu’on envoie autour de soi. Les messages à des milliers de personnes dans une salle de conférence, à des centaines de personnes sur son blogue, à des dizaines de personne dans son salon. Est ce que c’est moins spectaculaire qu’une manif? Oui. Mais votre manif, est ce qu’il contient les arguments pour convaincre les indécis? Permettez moi de répondre non à votre place.
Ce que je disais à M. Cyr, c’est que vous pouvez traiter les gens de mouton, auditoire d’occupation double et de peureux si cela vous permet de vous défouler, reste qu’il y a pertinemment des avenues autres que les manifestations et les grèves pour signaler son mécontentement dans notre société. Qu’il y a des gens »non militants » qui préfèrent ces approches et ces gens composent la majorité de la population.
Vous avez besoin de ces gens pour changer la société donc non faut pas attendre que ca change par le haut, mais la base il faut l’élargir. Il faut trouver une facon moins radicale, moins cynique de passer le message. C’est la responsabilité de ceux qui veulent changer les autres de trouver les bons mots, la bonne facon.
Voilà pourquoi j’ai commenté les propos de M. Cyr. Si vous traitez les gens de moutons mais que vous n’arrivez pas à les guider, ben vous n’êtes pas un berger, vous êtes juste un mouton frustré.
« C’est la responsabilité de ceux qui veulent changer les autres de trouver les bons mots, la bonne façon. » Que faîtes-vous de la conscience Luc? Ce n’est pas parce qu’une majorité de gens n’ont pas perdu un enfant à cause d’un chauffard ivre que tous ne se préoccuperont pas du problème de l’alcool au volant. Il y a des évidences pour lesquelles on ne devrait pas à avoir à « changer les gens », ils devraient en prendre conscience eux-mêmes. Un autre exemple, le suicide des jeunes victimes d’intimidation dans les écoles. Combien de conférences croyez-vous que je devrai faire, ne serait-ce que pour qu’une seule victime soit épargnée? J’en ai fait bien plus et pour quel résultat? Il y a des urgences pour lesquelles il n’y a plus de temps à perdre, dommage que vous ayez besoin d’en être convaincu mais moi j’estime que j’ai assez perdu de temps à être patiente, attendant que des gens justement en soient convaincus, maintenant j’exige des résultats et je vais m’associer à tous les gens qui en exigent comme moi et marcherai à leurs côtés à chaque occasion que j’aurai et pour toutes les causes dont la vie d’individus et l’avenir d’une société dépendent.
Julie : Oui il y a des choses évidentes comme la vie c’est mieux que la mort, le bonheur c’est mieux que la souffrance ou la santé c’est mieux qu’être malade. Ce sont des choses que normalement les gens devraient prendre conscience par eux-même. Là n’est pas le problème de notre désaccord.
Le problème c’est qu’il y a des zones plus grises, comme les dépenses publiques, la gauche, la droite, sociale démocrate ou néo libérale. Il n’y a pas de supériorité morale dans ces choses là. Il y a des points forts et les points faibles qu’il faut admettre. Cracher sur le camps adverse et les autres est signe de raisonnement myopique. Paradoxalement, c’est le camps adverse que vous avez besoin de ralier, pas créer un fossé des préjugés en leur tournant le dos.
Vous ne pourrez pas batir l’avenir pour une société si la majorité des gens de cette société là n’est pas derrière vous. Marcher et vous donnera peut-être exemple, je préfère donner des exemples pour que les gens marchent par eux même.
À chacun sa stratégie, bonne chance.
Sérieusement je ne veux personne qui marche derrière moi, je préfère qu’ils marchent à côté. Mais si jamais je marchais devant eux ce serait parce que ce sont eux qui m’auraient mise devant. Le problème au Québec c’est qu’on a tendance à marcher derrière en se laissant cracher dessus et ça fait tellement longtemps que ça dure que lorsque l’on essaie de marcher à côté on se fait traiter de tous les noms. Franchement c’est dur de tourner le dos quand on est derrière c’est à ceux d’en avant à se retourner et de regarder ce qui se passe derrière ne croyez-vous pas?
Ah, c’est bien la question que je me pose à tous les jours : mais comment fait-on pour continuer? Continuer à faire fonctionner un monde, et à fonctionner dans ce monde, inégalitaire et destructeur?
Bravo pour le billet, je partage.
Et, je me pose la question, devrait-on ajouter à cette liste le poids des interdits horizontaux? Car je crois que la sanction la plus redouter de nos contemporains réside dans ce que va penser l’entourage et, ultimement, la menace d’être rejeté par l’entourage, pour cause de digression. Que penseraient nos parents, nos collègues, nos amis-es, si on se révoltait? Ça a quelque chose de totalitaire dans le fond. Une part du pouvoir vertical n’a plus besoin de s’exercer, tant les interdits horizontaux sont forts. Il y a tant de choses qu’on ne fait pas non pas parce qu’une autorité plus haut placée ou un règlement formel nous l’interdit, mais par conformité avec les gens qui nous entourent. Bien entendu, l’autorité d’en haut ne se gêne pas pour se manifester durement à ceux et celles qui n’ont plus peur, qui franchisse l’interdit horizontal de la révolte.