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La délicate violence du policier sans uniforme

 

Si jamais on m’interroge là-dessus, je devrais dire

que je ne suis pas au courant…

– Pierre Elliott Trudeau, 1967

N.B. Cet article est constitué de quelques morceaux choisis d’un texte plus long et publié dans le livre À qui la rue? dirigé par Francis Dupuis-Déri aux Éditions Écosociété. Les références ne figurent malheureusement pas dans ces extraits.

Infiltration et provocation dans les manifestations

D’un sommet à l’autre (2000-2009)

Puisque la police tient généralement le public à l’écart de ces informations, la présence d’infiltrateurs dans les mouvements sociaux n’est pas facile à établir. En 2000, la manifestation annuelle contre la brutalité policière s’est soldée par le saccage de trois restaurants McDonald’s et d’un poste de police de quartier, ainsi que par l’arrestation de 112 individus. Malgré la présence de 19 agents infiltrateurs au coeur de l’émeute, la vaste majorité des actes de vandalisme ne feront pas l’objet de poursuites. Quel a été le rôle de ces 19 agents ? Pourquoi ont-ils été incapables d’identifier les auteurs des actions directes ? On ne le saura probablement jamais puisque la police de Montréal refuse toujours d’identifier les 19 agents présents lors des événements.

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Si la simple infiltration peut se faire dans l’ombre et le silence le plus complet, la provocation demande nécessairement une plus grande implication des infiltrateurs. Cette implication active, inévitablement, prête flanc au repérage des policiers sans uniforme. En 2001, lors des importantes mobilisations contre la tenue du Sommet des Amériques à Québec, un homme incita un groupe d’étudiants pacifiques à se rendre dans une zone plus turbulente. Son insistance était telle qu’il sema le doute dans le groupe. Quelques manifestants l’entourèrent, le traitant d’infiltrateur. Ce dernier répliqua qu’ils devaient cesser ce harcèlement sous peine d’être « mis en état d’arrestation » pour entrave au travail d’un… policier.

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Un autre cas, peut-être encore plus frappant, est celui des manifestations entourant le Sommet pour le Partenariat sur la sécurité et la prospérité réunissant le premier ministre canadien et ses homologues des États-Unis et du Mexique à Montebello, en 2007. Alors que la manifestation d’environ 2 000 personnes était très calme depuis le début de la journée, trois individus furent identifiés et invectivés par des manifestants. Si les policiers

avaient pris soin de se déguiser en « anarchistes » (avec foulard et vêtements noirs), l’un d’eux portait un chandail (à l’envers) à l’effigie de « CHOI-FM », une radio populiste aux idées de droite – voire d’extrême droite – de la région de Québec. C’est ce logo peu commun à la gauche qui sema le doute chez les militantes et militants – sans compter qu’un des trois hommes était armé d’une pierre alors qu’il se trouvait dans une zone « manifestive » (ou l’action directe n’est pas tolérée par les organisateurs). Confrontés par David Coles, président du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEF), les agents masqués répliquèrent et le bousculèrent. La tension monta, les policiers, craignant sans doute pour leur sécurité, s’approchèrent de la ligne anti-émeute, l’un d’entre eux se pencha et parla à l’oreille d’un policier. Les agents infiltrateurs pénétrèrent alors doucement la ligne anti-émeute et furent délicatement mis en état d’arrestation.

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Le Lundi de la matraque

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Le témoin souligne que ce type d’arrestation s’est reproduit à au moins trois reprises en quelques minutes seulement. Le simple fait de déployer une banderole était prétexte à arrestation, toujours selon la même technique : « des policiers en uniforme par devant et des policiers en civil par derrière ». Certains infiltrateurs sont parfois très violents : « Voulant m’éloigner de ces échauffourées, je suis allé vers l’est, c’était là la seule alternative. Mais un civil m’empoigna par la gorge et, aussitôt, deux autres policiers m’empoignèrent ; on me traîna alors sur la rue, tout en me battant à coups de pied dans le ventre et dans les parties sexuelles, ainsi qu’en me frappant à la tête à coups de bâton ».

Cette Saint-Jean-Baptiste est certainement l’une des plus violentes de l’histoire du Québec. Arrestations brutales (qui eurent lieu parfois à plusieurs kilomètres de l’émeute), matraquage généralisé et torture en cellule en constituent les caractéristiques centrales.

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Infiltration et provocation dans les organisations politiques

L’affaire Germinal (2001)

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Les militants affirment que les agents infiltrateurs les auraient poussés à s’armer davantage. Le groupe aurait d’ailleurs voté contre l’utilisation des billes de verre et d’acier : « Notre groupe, dans une réunion le samedi 7 avril 2001, avait unanimement rejeté l’utilisation de ces projectiles à cause des dangers potentiels de blessures graves. » Comment alors expliquer leur présence dans le véhicule ? La réponse est plutôt simple : le véhicule appartenait… à l’agent infiltré. Sept membres du groupe furent accusés de complot en vue de commettre un méfait pouvant causer un danger réel pour la vie des gens. Il s’agit de Mario Bertoncini, Alex Boissonneault, Pierre-David Habel, Roman Pokorski, Victor Quentin, Jonathan Vachon et Serge Vallée.

Le « Hoodstock » (2009)

Un autre cas, plus récent, confirme que les activités au sein des organisations de défense des droits intéressent grandement la police. Pendant l’été 2009, alors que des militants de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) et Montréal- Nord Républik travaillaient à organiser le « Hoodstock », soit une série d’activités commémorant la mort de Fredy Villanueva, abattu l’année précédente dans un parc de Montréal-Nord, un certain « Will Joseph Junior » tenta d’infiltrer les organisateurs de l’événement.

[…]

Le 4 août, les organisateurs du Hoodstock organisèrent une conférence de presse en compagnie de la famille Villanueva dans le but d’annoncer la tenue d’une manifestation qui devait se tenir le 9 août suivant. Comme la mort du jeune homme de 18 ans avait provoqué une émeute d’une amplitude considérable, ils tinrent à rappeler au public que cet événement était pacifique et non violent. Pas plus tard que le lendemain, ils eurent de nouveaux des nouvelles de leur ami Will, qui tenait un langage de plus en plus « clair » :

Yo wassup.

J’ai vu ke vous allé être dans mon hood dimanche pour la marche

et j’apréci fo’sho… Il faut qu’on s’tienne no matter what. Mes boyz

sont près à faire le war. Vous ne connaissez pas le coin, so ensemble,

on peut faire du bruit. Le gouvernement va comprendre kon n’est

pas content des shit qui se passe dans montreal-nord. Écris-moi

back pour kon puisse organizé kelkechose de fucktop.

halla back

Will

Compte tenu des appels au calme lancés par les organisateurs (qui seront d’ailleurs répétés lors de ladite manifestation) et de la nature des activités de la CRAP et de Montréal-Nord Républik, qui étaient tout à fait légales et pacifiques, il semble évident que cette opération était une opération de provocation. La CRAP portera d’ailleurs plainte en déontologie dans les jours qui suivirent. Interrogé par une journaliste à ce sujet, le chef de la division des communications du SPVM, Paul Chablo, affirma alors : « Nous allons collaborer au déroulement de l’enquête du commissaire, qui déterminera si oui ou non notre intervention était justifiée. » Ce qui confirme qu’il y avait bel et bien eu infiltration de la part du SPVM.

La lutte contre le FLQ

[…]

Cet espionnage légal et illégal est complété par le travail des infiltrateurs. Parmi les actions commises par ceux-ci, la divulgation de fausses informations est du nombre. À elle seule, l’indicatrice Carole de Vault a publié 13 faux communiqués. Plusieurs d’entre eux professent des menaces de mort, d’enlèvement et d’explosion ; celui du 6 mars 1971, par exemple, proclame : « Québécois et Québécoises, prenons les armes ! » De Vault n’est pas seule à faire ce travail. Alors que le leader felquiste Pierre Vallières invite à la dissolution du FLQ, en 1972 – et justement parce qu’il croit le FLQ infiltré par les forces de l’ordre ! – la GRC semble croire que d’abandonner la lutte armée n’est pas une très bonne idée. Une fausse cellule appelée « La Minerve » rappelle que le Parti québécois est un « parti bourgeois » et qu’il faut continuer la lutte armée puisque « Le pouvoir est au bout du fusil ! » Ce communiqué fut rédigé par nul autre que le directeur de la section antiterroriste de la GRC, Donald Coob.

[…]

Mais les indicateurs ne font pas qu’émettre de faux communiqués, ils passent également à l’action : cambriolages, holdups, vols de dynamite et d’explosifs, incendies criminels, attentats et bombes incendiaires font partie des nombreuses actions entreprises sous le couvert de la « lutte au terrorisme ».

Conclusion

[…]

Aujourd’hui encore, ce n’est pas l’illégalisme et la violence que combattent la police et les agents infiltrateurs – cette posture stratégique serait franchement schizophrénique –, mais bien la révolte, la contestation et la dissidence. Le rôle des policiers, essentiellement, est de voir à la reproduction de la division de classes dont ils sont les gardiens assermentés. Quiconque oublie cette fonction de la violence étatique accepte a priori la version policière des faits, version qui, on le sait désormais, lamine une part considérable du travail de violente provocation et de délicate manipulation auquel se livrent les sbires de l’État…