L’objectif est clair. Le nouveau cours d’histoire du Québec vise à « renforcer l’identité québécoise »[1]. Cette histoire, telle que l’affirment avec une franchise étonnante les bonzes du gouvernement, viserait à valoriser une « facette de notre identité qui n’est pas suffisamment valorisée » [Marois], elle aurait comme objectif de « valoriser l’identité et la culture québécoises »[Malavoy].
À la tête du comité à l’origine de ce cours obligatoire : Jacques Beauchemin, un intellectuel cumulant les emplois auprès du gouvernement péquiste. C’est Beauchemin, principalement, qui est derrière la définition de l’identité mise de l’avant par le PQ depuis quelques années. Son influence est par ailleurs indéniable auprès du PQ et de sa grande cheffe [2].
Quelle est cette vision de l’histoire? Pourquoi ne pas demander la réponse à son grand dauphin, Monsieur Mathieu Bock-Côté, qui le cite à satiété
« Au centre de cette histoire : le peuple québécois. Je précise : le peuple québécois, pas la société québécoise traversée par ses divisions de « classe » ou de « genre », pas une mosaïque interculturelle à pacifier à grands coups de tolérance idéologique, mais une collectivité nationale forte, épaisse, cohérente, autrement dit, une nation pas encore déconstruite par les ingénieurs identitaires pour qui tout ce qui est national est ethnocentrique et tout ce qui est populaire est populiste » [3].
Exit les conflits ouvriers, les luttes à la spoliation, les tensions ethniques, la haine, les révoltes, les rapports de domination et d’exploitation; exit l’exploitation des femmes, leur infériorisation et leur vécu particulier marqué par le sexisme; exit les métissages amérindiens, irlandais, anglais, italiens et juifs. Bref : exit les colères étouffées, les rêves oubliés et les utopies réprimées. L’histoire du Québec doit être celle d’un seul homme traversant les siècles et les hivers armé de son seul courage. La nation engloberait toutes ces contradictions pour faire du Québec l’histoire de l’unité. Elle lamine les rapports de force et les hiérarchies pour rendre l’esclave solidaire de son maître et l’ouvrier de son patron.
Est-ce cela qui – pour reprendre l’expression de Bock-Côté – la rend si « épaisse »? Ce n’est pas pour rien que ceux qui veulent valoriser cette histoire sont les mêmes qui mettent de l’avant notre héritage catholique et « Français ». Selon cette approche, l’histoire devrait faire la genèse de ce que « nous sommes » ou, plus précisément, ce qu’ils voudraient que nous soyons. Cette histoire s’écrit à l’envers : elle remplit le passé de présent. Elle fait de la « nation » et de l’« État » des formes éternelles, a-historiques et positives. De la même école, Éric Bédard, dans un texte polémique, va dans le même sens que M.Bock-Côté
« D’autres historiens militants me reprocheront probablement d’avoir négligé les autochtones et les minorités ethniques ou sexuelles. D’avance, je plaide coupable ! Ma préoccupation première n’était pas de satisfaire quelque lobby, mais de proposer une histoire nationale décomplexée, le plus à jour et objective possible, intégrant toutes les facettes de la vie collective d’un peuple »[4].
Selon M. Bédard, l’histoire des premières nations et des femmes serait « militante » et orientée par les « lobbys ». L’histoire des contradictions et des tensions qui traversent une société serait le fait de la subjectivité et celle de l’unité nationale (pourtant parfaitement artificielle et bourgeoise) le résultat d’une observation « objective ». Comme si les femmes ne formaient pas la moitié de cette prétendue « nation » et comme si les sociétés sans État amérindiennes – des sociétés millénaires – pouvaient s’apparenter à celle d’un « lobby » parmi tant d’autres. La téléologie d’une telle affirmation est frappante, d’autant plus qu’elle est « à l’arrêt », sans mouvement et sans processus.
Quand l’élite parle d’elle-même
Cette histoire est également celle des dominants, des « personnages et des faits marquants de cette histoire » [Malavoy]. Elle fait faire à la recherche historique un retour en arrière (un « Retour aux sources »?) de 100 ans. Elle est « pré-Annale » (désolé du mauvais jeu de mots, mais l’école des Annales a vu le jour avant l’invention du marketing…). Elle veut écrire la synthèse du « grand » parcours québécois à travers ses « grands » personnages et ses « grands » événements. Comme si les grands incarnaient toutes les classes et les groupes sociaux, alors qu’ils en sont la négation.
Cette histoire est celle des vainqueurs. Elle est un monologue de l’élite d’aujourd’hui cherchant ses échos dans l’élite d’autrefois. Elle méprise les sans-voix et les petits au profit des grands. Elle piétine la mémoire des victimes au profit de ceux qui ont suivi le courant de l’évolution pour nous modeler « tel-que-nous-sommes ». Les conflits, les idées à contre-courant, les marginaux, les rapports d’exploitation et de domination et les révoltes sont ainsi considérés – au mieux! – comme des épiphénomènes. Ils deviennent des mouvements internes au grand récit de ce personnage uniforme qu’est la nation. Un peu comme les gargouillements d’estomac d’un géant marchant au rythme des grands événements – les victoires et les défaites des classes dirigeantes – vers le Québec d’aujourd’hui, soit une société où se vivent encore ces rapports de domination et d’exploitation.
Histoire d’en finir avec le passé
« Tous ceux qui jusqu’ici ont remporté la victoire, dit le philosophe Walter Benjamin, participent à ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps des vaincus d’aujourd’hui »[5]. En écrivant cette histoire nationale, c’est à ce cortège que se joignent le PQ et ses partisans.
La mémoire des vaincus est plus exigeante. Elle prend le parti des oubliés de l’histoire. Lorsqu’elle regarde vers le passé, elle crie vengeance. Non pas dans le but de prendre la place des vainqueurs, mais pour éliminer les rapports sociaux qui permettent de reproduire la domination. Elle revendique une histoire critique qui nous donne à voir la souffrance des générations passées. Elle dévoile les formes de vivre ensemble et les utopies que le Québec contemporain à laminé laissé dans son sillage. Elle refuse de réifier le présent au profit du statu quo et de la « conservation » du meilleur et du pire – comme si tout méritait d’être conservé, y compris la haine, l’intolérance et l’ignorance.
Le passé des vaincus revendique justice et dignité. Il refuse d’être enterré à nouveau. Si on le regarde en face, en observant toute l’altérité dont il est chargé, il ne nous rassure aucunement à propos de « ce-que-nous-sommes ». Il est parfois même créateur d’angoisse, de peur et de nausée.
Il nous donne cependant à voir tous les possibles dont regorge encore le présent… et le futur.
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Notes
[1] Communiqué 2 septembre 2013 : Renforcement de l’identité : cours d’histoire nationale – Le gouvernement du Québec annonce sa démarche pour renforcer l’enseignement de l’histoire nationale : http://pq.org/nouvelle/renforcement-de-lidentite-cours-dhistoire-national/
[2] À ce sujet, lire : Antoine Robitaille, « L’entrevue – Le nous, c’est lui », Le Devoir, 25 septembre 2009 http://www.ledevoir.com/politique/quebec/158085/l-entrevue-le-nous-c-est-lui
[3] Mathieu Bock-Côté, La Dénationalisation tranquille, Montréal, Boréal, 2007, p.134.
[4] Éric Bédard, « Histoire du Québec pour les nuls – Faux procès! », Le Devoir, 21 décembre 2012.
[5] Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », Œuvres III, Paris, Gallimard.
Quelques lectures supplémentaires pour ceux et celles que ça intéresse
Eric Hobsbawn, Nations et nationalisme depuis 1780, Paris, Gallimard, 1990.
Jean-Marie Fecteau, « Histoire politique et histoire nationale au Québec », L’Action nationale, novembre-décembre 2011.
Jean-Marie Fecteau, « La troublante altérité de l’histoire : réflexion sur le passé comme « Autre » radical », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.59, no 3.
Martin Petitclerc, « Notre maître le passé? Le projet critique de l’histoire sociale et l’émergence d’une nouvelle sensibilité historiographique », Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 63, no 1, été 2009.
La réforme que les libéraux voulaient faire(enlever les conflits, c’est trop violent) alllait anéantiser les questions épineuses et maintenant le pq essaie de faire la même chose mais de leur point de vue. Pourquoi veulent-ils tant cacher la vérité aux adolescents? et ils tentent toujours de le faire sous le couvert qu’il ne faut pas exposer les enfants à des horreurs ou créer des conflits en classe. En secondaire 4, ma classe a demandé l’opinion du professeur sur une question qui touchait le rapport entre le Canada et le Québec et il nous a dit qu’il n’avait pas le droit de répondre! Comment la société peut-elle avancer s’il est tabou de parler de politique et de controverses dans la formation obligatoire que reçoivent ses membres? À cette époque, j’aivais lu un extrait du manuel au programme et c’était tellement connotatif que c’était dégueulasse (oups, on avait appris qu’il y a des mots mélioratifs et péjoratifs en français, ils devraient peut-être enlever cette matière pour qu’on puisse mieux gober la propagande). Peut-on garder l’histoire en tant qu’histoire, c’est-à-dire comme une science et non pas une matière fourre tout pour faire de la propagande ?
Faire de l’histoire « scientifique » est appelée à devenir une forme de résistance.
Dans le champ de l’histoire des vaincus aujourd’hui au Québec, est-ce qu’il faut rajouter le clergé ?
Le nouveau programme devrait vous plaire puisqu’il vise justement à remettre à l’étude plusieurs pans de l’histoire québécoise où nos ancêtres ont joué le rôle des vaincus : Conquête, révoltes des Patriotes, échec de l’Accord du Lac Meech (là on peut arguer que ça dépend du camp où l’on se place, mais bon…).
Le programme actuel occulte ces événements où y consacre une importance négligeable, sous prétexte que cela fait référence à de la chicane, à de la division (toujours la même rengaine, pour tous les sujets décidément).
Le nouveau programme, à ce que j’en ai compris, redonnera sa juste place à ces événements où nous avons occupé la place des vaincus (ce qui devrait vous satisfaire). Ceux qui auront suivi ce programme pourront ensuite en tirer leur propre conclusion sur ce que ces défaites impliquent. Au moins, ils auront assimilé la matière pour déterminer leur choix.
Nous commençons l’école à la maison et ça tombe bien. Dans une dizaine d’années, si l’endoctrinement national va bon train comme ce fut le cas depuis des décennies et des siècles, nos enfants auront davantage de connaissance et d’esprit critique au début de leur adolescence que les finissant-e-s des cégeps. Cependant, la droite identitaire du pq rame à contre-courant de la tendance mondial au métissage comme c’est le cas de tous les folkloristes nationaleux de globe. Ce sera un peu comme leur chant du cygne. Je doute qu’avec toutes les sources d’informations contemporaine, cette fragile mystification scolaire pourra faire le poids.
Ils peuvent bien s’amuser à faire l’histoire des Grands personnages, il y a juste un problème: à la fin, on perd. Il n’y en a pas de nation québécoise indépendante. Peuvent dire ce qu’ils veulent, on a dit non 2 fois. Le Nunavut, lui, pendant ce temps-là a été établi comme territoire…
« on perd »… Qui ça « on »? Tant que vous vous conformerez aux catégories humaines imposées par les conquérants, les classes dominantes et autres imbéciles en manque d’identité, vous serez toujours perdant, même si vous croyez avoir gagné.
Bien d’accord avec toi, Marc-André, quand il s’agit de relever le défi d’une histoire qui n’est jamais véritablement une, mais toujours plurielle et polyphonique. Les grands récits sont réducteurs et rarement nuancés, c’est tout à fait juste.
Là où je ne te suis plus, c’est que tu sembles oublier que le présent aussi est pluriel. Plus particulièrement, dans les cegeps, là où ce fameux cours sera enseigné, les profs sont loins d’être des suppôts du pouvoir ou de simples bureaucrates quémandant des lignes directrices. Et encore, les étudiants, ceux la même qui ont fait la grève qui a tant montré le caractère fort de la multitude, sont aussi dotés d’une capacité critique. On ne sortira donc pas des classes avec des « Québec aux Québécois », mais avec des gens qui auront compris que leur histoire est toujours un enjeu vivant dont le sort est en bonne partie entre leurs mains.
Il est très rare, surtout en éducation, que le discours politique superposé décrive bien la réalité qu’il est sensé représenter. Il s’agira sans doute d’une légère réorientation dans le programme, sans plus. Pauline parle d’identité, les enseignant-e-s parleront d’événements. Les mots que choisiront ces enseignant-e-s dépendront de ces mêmes enseignant-e-s.
By the way, pour qu’on puisse dire »exit » le combat des femmes et des ouvriers, encore faudrait-il que ces combats eusses étés dans ledit programme, ce qui n’est pas le cas. Sous les libéraux, ce programme était affreusement édulcoré, et on apprenait que tout le monde était gentil, tout le monde était donc beau. Le changement est loin d’être la meilleure chose qui puisse arriver, mais c’est quand même un pas dans la bonne direction. Et tant que les enseignant-e-s aient la liberté d’aborder certains sujets, d’y mettre leur propre couleur, on aura droit à de bons cours d’histoire (à l’occasion).
Haaaaaaa, ça faisait longtemps que je n’étais pas venu visiter les écrits du Martineau de la gau-gauche. C’est comme si je n’avais rien manqué. Une bonne vieille pantoufle en Phentex toujours agréable à enfiler…
Donc, vous dites : « Éliminer les rapports sociaux qui permettent de reproduire la domination? » Ce n’est pas de l’idéologie anarchiste ça? Ce n’est pas chercher à fabriquer, justement, une nouvelle identité nationale, mais à la sauce anarchiste? Ce n’est pas de l’instrumentalisation de l’Histoire, de l’Histoire militante?
On ressent très fort vos émotions, mais les arguments?
Pourquoi devrait-il donner des arguments s’il fait seulement poser des questions?
Il est bien entendu que les enseignant-e-s vont faire leur gros possible selon les cadres qu’on leur impose. Je leur fait également confiance, mais ça n’enlève rien à la portée du programme tel que proposé ici.
Quand à la « nation » perdante, c’est justement ce genre de concept que l’histoire peut révéler comme étant à nuancer. Le peuple québécois a connu sont lot de souffrance dans le passé. Seulement, il faut faire attention au concept de « nation », qui en est un moderne. En 1760, la nation québécoise n’existe pas. Cela ne veut pas dire que la Conquête est sans effet: elle fait 10 000 morts. Et à long terme? Qui en souffre? Toutes les classes du Québec? Les pauvres comme les riches? Pas certain…
Poser ce genre de questions, c’est un peu cela faire de l’histoire critique. Par delà le « grand récit unitaire, il faut décortiquer les processus et voir les souffrances qu’ils engendrent, voir que l’histoire n’est pas unidirectionnelle. Pour ceux et celles qui l’ont véçu, elle fut également un » ici et maintenant » chargé d’angoisse, de peur et d’espoir.
Au lieu de remplir le passé de notre présent, je propose grosso modo l’inverse: qu’on tente de regarder ce que le passé contient comme critique de notre monde.
Ce qu’il faut ,c’est que le gouvernement rassemble divers personnes pour élaborer un bon cours d’histoire neutre et instructif.Divers membres de divers religions ,divers nationalités,divers personnes de divers courants politiques,des athées et laics,divers historiens et des personnes de chaque régions du Québec,des pro et anti -monarchistes,etc ,etc,etc.
L’histoire est une matière extrêmement importante .elle doit être bien enseignée si nous ne voulons pas répéter les erreurs du passé et si nous voulons se projeter dans l’avenir.