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Quand l’ennemi de l’ennemi est lui-aussi un ennemi

Djaber Kalibi est un militant communiste. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il a dédié la majeure partie de sa vie à lutter contre l’État iranien. D’abord contre le régime totalitaire et pro-américain du Shah; ensuite contre le régime islamiste de Khomeiny. Ce type d’engagement, peu importe qu’il vise à renverser des dictatures dont les crimes ne sont plus à prouver, ne plait pas trop, paraît-il, à nos gouvernements.

Il faut dire que le parcours de Kalibi est bien rempli : « Mes activités politiques ont commencées dans les années 1960, dit-il. J’ai été membre de la direction de la Confédération des étudiants iraniens. Cette organisation a lutté pour la démocratie et l’indépendance de l’Iran contre le régime du shah soutenu par les États-Unis ». En 1979, les rues d’Iran s’embrasent. Tout le pays s’enflamme. C’est la révolution et, rapidement… la contre-révolution islamique. Un nouveau pouvoir s’installe et poursuit la répression de la dissidence avec autant de violence que ses prédécesseurs.

La France

En 1983, Kalibi trouve refuge en France où il poursuit ses activités contre le régime. Son engagement sera toutefois de courte durée : « En 1986, j’ai été arrêté par la police politique française et accusé de travailler au renversement du régime iranien. J’ai été condamné à 4 ans de prison parce que nous avions des explosifs destinés à la résistance en Iran ». Ces faits ne sont pas niés par Kalibi, qui y trouve au contraire source de fierté.

En prison, il poursuit d’ailleurs ses activités: il milite pour les prisonniers, il écrit et tente, de l’intérieur, de participer à la lutte contre le régime. Après trois ans d’incarcération, il est enfin libéré… et arrêté de nouveau alors que les autorités françaises désirent l’expulser du pays. Ces démarches ont toutefois également échoués. Kalibi est jugé « non dangereux » pour l’ordre public français. À terme, il obtient enfin sa citoyenneté et son passeport.

Montréal

En 2005, Kalibi et sa famille déménagent à Montréal. Il attend 7 ans avant d’avoir une réponse concernant son statut de résident permanent, et le résultat est loin d’être positif. On l’accuse, encore une fois, d’être « l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force »[1]. Kalibi, qui est loin de nier son engagement dans le but de renverser l’ordre islamique, se pose de sérieuses questions : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré des droits, dit la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Je pense que les lois qui considèrent le renversement d’un régime par la force, sans définir la nature de ce régime doit changer.C’est inadmissible qu’un pays comme le Canada ne distingue pas entre un régime terroriste comme la république islamique d’Iran et la résistance contre ce régime! ».

Ce régime était d’ailleurs, hier encore, largement condamné par le Canada. L’an dernier, John Baird, Ministre fédéral des affaires étrangère canadienne, affirmait que l’Iran était « la plus importante menace contre la paix globale et la sécurité mondiale » [2]. L’Iran considère l’homosexualité comme un crime punissable de la peine capitale, même les mineurs peuvent y être condamnés à la potence. Elle est une dictature refusant toute dissidence politique. Est-ce possible de renverser un tel régime par les voies légales alors qu’elles sont inexistantes ? Comment peut-on accuser quelqu’un de résister illégalement à un régime totalitaire? Cette posture n’en vient-t-elle pas à condamner des résistances pourtant considérées – même par les esprits libéraux – comme légitimes?

Selon Kalibi, son cas s’explique par le changement d’attitude du Canada à l’endroit de cette dictature : « La position du Canada par rapport au régime islamique d’Iran a changé après l’élection de nouveau président, Mr. Rohani. Le ministre des l’affaires étrangères [Baird], après avoir qualifié cette élection d’ « imposture », à tout d’un coup renié ses précédentes déclarations et félicité le peuple iranien pour l’élection d’un nouveau président ! ». Kalibi serait une victime des politiques de la normalisation des relations entre deux gouvernements? « Tout à fait! répond-il, en agissant ainsi, le gouvernement canadien prend position pour le régime et contre ses opposants ».

Nos États « démocratiques » auraient-ils une morale à géométrie variable? À moins que le communisme de Kalibi, qu’il qualifie de « libertaire », soit lui-aussi considéré comme une menace équivalente à l’islamisme radical? Kalibi reste positif. Il a des chances de rester ici, enfin en paix, « mais tout dépendra du rapport de force et de la mobilisation des progressistes » du Québec envers sa cause.

À l’heure où la chasse à l’islamisme atteint des sommets inégalés, à l’heure où la peur des barbus justifie les politiques sécuritaires, les hausses de budgets militaires, la surveillance électronique et nombre de restrictions aux libertés individuelles, nos gouvernements participeraient à la répression de la dissidence combattant l’islamisme d’État à l’étranger?

N’y a-t-il pas là matière à rendre cynique les esprits les plus angéliques?

N’y a-t-il pas là une authentique leçon sur la nature de notre « démocratie »?

 

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Pour en savoir plus sur la campagne en cours

http://comitesoutien.wix.com/solidaritedjaber

 

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Notes


[1]Citoyenneté et immigration Canada, Rapport aux termes du paragraphe 44(1), no de document N911582836.

[2] « La Canada rompt ses relations avec l’Iran », La Presse canadienne, semaine du 4 septembre au 10 septembre 2012.