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Liberté sous haute surveillance

Lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts des classes dominantes, l’État n’a pas tendance à faire les choses à moitié. Les hôpitaux, les ponts et les écoles pourraient bien s’effondrer sous nos yeux que les matraqueurs assermentés disposeraient toujours de bottines vernies et de salaires bien gras pour assurer l’ordre et la sécurité.

Sans police, l’État n’en est plus un.

Sans police, qui protégerait ces vitrines si fragiles qui peuplent les centres de nos villes ?

Il n’y a rien de plus important que la « sécurité » pour ceux qui en bénéficient. Que les gardiens de l’ordre fassent fi des droits les plus fondamentaux, qu’ils matraquent les libertés collectives ou mentent sciemment à la population est plutôt secondaire. Les valeurs des dominants, voyez-vous, sont agréablement hiérarchisées de manière à ce qu’elles ne troublent pas trop leur sommeil. En ce sens, les concepts publicitaires de « démocratie » et de « droit » sont fort utiles afin de transfigurer leurs intérêts particuliers en intérêts universaux.

Mais il arrive parfois que le jupon dépasse…

Les services de renseignements, sans l’ombre d’un doute, sont les grands champions du mensonge, de la manipulation, de la provocation, du profilage racial et politique, du chantage, des menaces et de l’illégalisme. Si nombre d’actions policières sont éminemment politiques, celles des services de renseignement le sont pratiquement par nature. Rappelons-nous la lutte au FLQ (1963-1972), du cas de Joseph Gilles Breault, alias « Youssef Mouammar » (1989-1994), de l’affaire « Germinal » (2001) et du Sommet de Montebello (2007). Il y a là matière à de nombreux scandales.

Dernièrement, on apprenait qu’un agent indicateur avait été salarié par l’État afin de fournir des renseignements concernant le mouvement anticapitaliste et étudiant. Le jeune homme a été payé par la police afin qu’il leur donne des informations. Un militant, appelons-le Steve, raconte :

« Il était en quelque sorte un « indicateur professionnel » puisqu’il s’agissait de sa source principale de revenus. Il n’a occupé presque aucun emploi pendant les 4 dernières années et s’était inventé un faux travail de traducteur, ce qui lui servait de prétexte pour justifier ses déplacements et le fait qu’il vivait largement au-dessus de ses moyens ».

Selon Steve, l’indicateur le type en question était du genre à prendre « beaucoup de place » lors d’événements publics, voire à « grossir  l’importance de son implication ». Il a été élu au sein du conseil exécutif de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), en 2004, et a participé à de nombreuses activités du Parti communiste révolutionnaire (PCR). Il était également à Toronto, en 2010, lors des manifestations contre le G20 qui ont menées à plus de 1100 arrestations, arrestations qui ont mené à des abus policiers jusqu’à présent jamais vus au Canada

« Il aurait participé à 2 réunions de la CLAC qui visaient à préparer la contestation du G20 à Toronto. Il y a eu des arrestations lors du G20 d’individus ciblés, considérés comme les leaders du mouvement, et ce, sur la base d’enregistrements desdites réunions. Et il était seul à monter la garde dans les gymnases de l’Université de Toronto au moment de la fameuse arrestation de masse de plusieurs militants du Québec qui y dormaient. »

C’est son amateurisme et celui des forces policières qui vont finir par le trahir. « Il était convaincu que son enquête allait aboutir en arrestations très bientôt, qu’il serait amené à témoigner en Cour, ce qui lui permettrait de bénéficier du programme de protection des témoins. »L’indicateur s’est donc mis à faire des confidences qui prenaient la forme d’adieux. Les délais prévus ont cependant été repoussés par ses honorables patrons, ce qui a forcé l’indicateur à s’enliser de plus en plus dans les mensonges.

Infiltrer les mouvements sociaux, telle est une des fonctions des services secrets du Québec et du Canada. En démocratie libérale, on a le droit de s’organiser pour changer la société. On a le droit de s’exprimer et de manifester publiquement. C’est dans la constitution.

Cette liberté a toutefois des « limites ».                   

C’est pour cette raison que ceux et celles qui s’organisent, militent et manifestent publiquement sont dans l’obligation de donner leur itinéraire et de marcher sous escorte policière. C’est pour cette raison que des milliers d’entre eux sont chaque année arrêtés massivement et arbitrairement. Et c’est aussi pour cette raison que leurs conversations téléphoniques sont enregistrées, leurs réunions épiées et leur vie personnelle scrutée à la loupe par des agents de l’État. C’est ça la démocratie libérale : la liberté sous haute surveillance.


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PS: Nous avons fait le choix délibéré de respecter l’anonymat des acteurs dans cette histoire. En espérant que vous comprendrez…