« Le faux est un moment du vrai », disait le philosophe Hegel*. La vérité et le mensonge ne sont pas opposés, en face à face, l’un contre l’autre, comme le Bien et le Mal des chrétiens, mais se côtoient et s’enchevêtrent l’un et l’autre, l’un dans l’autre.
Ainsi, la droite idéologique, qu’elle soit à saveur néolibérale ou conservatrice, a bien raison. Elle a raison dans ses mensonges, sans le savoir. Si elle connaît tant de succès, c’est précisément parce que ses mensonges contiennent une part de vérité. Son succès ne s’explique pas seulement par l’incroyable appareil de propagande dont elle dispose, mais parce qu’elle s’appuie sur quelques morceaux de vérité, si minuscules soient-ils.
La droite néolibérale
Il est vrai que les États sont surendettés et qu’ils prennent une place démesurée dans nos vies ; il est vrai que les grands syndicats sont des bureaucraties qui limitent souvent la liberté des travailleurs et des travailleuses ; il est vrai que le socialisme d’État fut une monstruosité totalitaire ; et il est vrai que le discours environnementaliste est trop souvent moralisant et petit-bourgeois.
Tout cela est vrai… Cette droite néolibérale a cependant, et — bien entendu ! — également tort. Il ne saurait en être autrement.
Ce qu’elle ne peut voir, c’est que si pratiquement tous les États sont effectivement surendettés (et pas seulement celui de la Belle Province — supposément coupable du péché social-démocrate ou « National-syndicaliste », comme dirait le grand penseur Réjean Breton —), c’est parce que les gouvernements se sont volontairement coupés d’une part importante de leurs revenus, et que si l’État est effectivement tout puissant, c’est précisément parce que cette puissance est absolument indispensable à l’accumulation de profits.
Ce que la droite « oublie » également de dire, c’est que les syndicats ne sont que la réplique démocratique et libérale au salariat capitaliste, et que la vaste majorité d’entre eux travaillent (!) en fait à la stabilité de la production. Pour preuve : les grandes centrales, depuis trente ans, n’ont fait que négocier des coupures…
Ce que les néolibéraux refusent encore d’entendre, c’est que le soi-disant « communisme » d’État dont ils font encore un épouvantail n’était en fait que du capitalisme d’État géré par des « bureaucrates-patrons » ; un régime d’accumulation d’argent dominé par les mêmes valeurs et les mêmes formes qui régissent le « libre marché » : argent, marchandise, travail, salariat, profit, croissance…
Ce qu’elle refuse d’entendre, toujours, c’est que l’un des problèmes du discours environnementaliste est précisément d’être trop bien intégré à la logique marchande. C’est pour cette raison que l’idéologie environnementaliste refuse les solutions globales et radicales (comme la décroissance) et se rabat sur les agissements individuels et la consommation responsable. C’est de là, de son côté accommodant, qu’elle tire son petit côté moralisateur et petit bourgeois.
La droite conservatrice
La droite conservatrice a aussi bien raison…
Il est vrai que l’idéologie dominante fait beaucoup de place aux minorités culturelles et sexuelles ; il est vrai que l’élite est drôlement déconnectée des réalités des travailleurs et des travailleuses; il est vrai que notre société est en perte de repères et que les cultures nationales sont menacées par le « mondialisme » ; il est vrai que l’Islamisme radical menace l’Occident ; et il est vrai que la rectitude politique s’est emparée de ce qu’ils nomment le « débat public ».
Tout cela, vous l’avez sans doute deviné, est cependant et également faux.
Ce que les conservateurs refusent de voir, c’est que les nombreuses politiques de discrimination « positive » tant décriées ne fonctionnent que très partiellement ; que le racisme et la peur de l’autre sont toujours structurants de nos rapports sociaux ; que les minorités sexuelles et ethniques, si elles sont mieux représentées dans l’espace public qu’elles l’étaient auparavant, n’en sont pas moins toujours discriminées dans leur vie quotidienne, dans leur vie réelle.
Ce que cette droite ne peut pas entendre, c’est qu’elle est très bien représentée auprès de l’élite et que son idéologie a une place de choix dans le monde politique et médiatique. Elle ne pourrait admettre cela sans avoir à laisser tomber sa pathétique rhétorique victimaire.
Ce qu’elle est incapable de saisir, c’est que si les cultures nationales sont en danger et nos repères moraux de plus en plus flous, c’est précisément à cause des valeurs hédonistes et égoïstes diffusées par la société marchande dont ils sont les défenseurs acharnés. Ils auront beau nous dorer la pilule de bons sentiments et de critiques des « excès du capitalisme », le socle sur lequel il pose leur analyse est miné : on ne peut accepter les principes du capitalisme sans en accepter les conséquences. C’est d’ailleurs à cause de cet aveuglement concernant les formes du capitalisme que les conservateurs ont tendance à rejeter la faute sur l’étranger.
Ce qui échappe évidemment à la droite, c’est que l’Islamisme radical menace effectivement l’Occident, plus précisément : la domination occidentale. Les rapports de force en présence indiquent clairement que ce sont les Occidentaux qui dominent le monde et son économie. Ce que craignent les droitistes, c’est la fin de cette hégémonie et de cet impérialisme. Elle a beau tenter de ranger ces monstruosités au rang des « complexes de l’homme blanc », c’est un fait historique : l’Occident fait saigner les pays du monde entier, et ce, depuis des centaines d’années. Ce que craignent les droitistes, c’est la perte de ce « privilège » aux prétentions universelles.
Cette menace islamiste nous en dit également beaucoup sur la crise interne vécue en Occident. Cette crise politique, économique et morale prend racine dans l’échec de la Modernité, dans la fin de ses promesses de démocratie et de bonheur. L’Islam est en ce sens fort utile : il nous permet de faire reporter notre examen de conscience sur les épaules de l’étranger (encore lui !) et de camoufler la montée d’un autre intégrisme, celui des chrétiens.
Pour terminer, il est finalement vrai que le « politiquement correct » s’est emparé du débat public. Cela, cependant, avantage largement les conservateurs et les néolibéraux… Il permet aux gardiens de musée qui peuplent l’espace médiatique de passer pour des rebelles ; il permet aux amis du statu quo de passer pour des réformateurs ; et il permet à Sophie Durocher d’avoir un emploi grassement payé.
La droite, donc, répétons-le, a raison.
Cela veut-il dire, a contrario, que la gauche a tort ? Oui et non. (Y’en aura pas de facile…) Non : parce que son analyse est « juste » (du moment qu’on la partage, bien entendu). Oui : parce qu’elle croit avoir le monopole dogmatique de cette justesse. Elle se campe derrière ses dogmes, ceux du syndicalisme « corporatiste » et de l’État « bienveillant ». Il lui faudrait plutôt, du moins tel est notre avis, identifier ce qu’il y a de vrai dans le discours de la droite afin de le déconstruire.
Autrement dit : la droite a beaucoup à nous apprendre. Imaginez de quoi pourrait avoir l’air une gauche « sans complexe ». Une gauche populaire qui, loin de la posture défensive qu’elle a adoptée depuis des décennies, passerait à l’attaque en critiquant notre rapport trouble à l’État, aux syndicats, à la bureaucratie et aux bien-pensants petits-bourgeois trop présents dans l’univers médiatique. Une gauche qui — pourquoi pas ? — serait également plus radicale, plus méchante, plus agressive, plus machiavélique, plus sure d’elle et moins moralisante. Une gauche qui n’aurait plus peur des mots comme « socialisme », « classes », « oppression », « exploitation »…
La droite en prendrait plein la gueule.
Ça ferait changement, non ?
*
*Guy Debord a radicalisé la formule de Hegel, pour lui, en notre Société du Spectacle, c’est le « vrai qui est un moment du faux ». La « réalité » peut être en quelque sorte fabriquée de toutes pièces. Nous sommes également d’accord avec cette affirmation. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir dans une future chronique.
Bravo! Très bon article, pour le peu qu’on en trouve de qualité de nos jours.
À certains moments, dans ce texte, on croirait pourtant lire une traduction en Français de Ron Paul, le politicien américain, surtout concernant la ‘menace’ islamiste.
J’sais pas si j’suis d’accord avec ton texte, ou en désaccord, mais je voulais relever ce truc.
Souvent, Ron Paul a raison. Pourquoi pas?
Les idées, pas le messager…
Vous avez la référence complète de ce texte?
C’est l’histoire d’un chargé de cours de l’UQAM qui se révolte contre le pouvoir, la richesse et le reste. Il blogue, il crie contre le capitalisme, il hurle à qui veut l’entendre. Puis, en même temps, il exige des frais de scolarité bas, des avantages sociaux, une rente, des soins, des augmentations de salaires, de conditions de travail améliorées. Pour lui donner la société qu’il désire, son employeur exige d’avantage de rendement sur ses investissements, son fonds de pension aussi. Le gouvernement augmente les impôts pour lui payer ce qu’il veut. Le chargé de cours force ainsi les entreprises à couper dans les coûts et à minimiser les conditions des honnêtes travailleurs que ce chargé de cours prétend défendre. Au bout de la ligne, derrière le gros méchant néolibéralisme, se retrouve un « progressiste » chargé de cours avec le doigt sur la gâchette. Malheureusement, dans une simplicité désarmante, il cherche un coupable, un groupe de méchants. Alors, qu’au bout du compte, il se trouve dans chacun de nos miroirs. Mais ça, c’est une réalité beaucoup trop non de gauche ni de droite pour qu’il l’accepte. Alors, il allume son porte-voix… et il crie plus fort son incompréhension de la complexité de notre monde économique.
… » de l’UQAM… »… L’histoire d’un chargé de cours de l’UQAM … » pas des HEC, pas de Sherbrooke ni de McGill, de « L’UQAM » , cette université de la Gauche ,…
Je suis un gradué des HEC et – à mon époque- les HEC c’était une amalgamation de la gauche , de la droite, avec des profs comme F.A. Angers, Gérard Parizeau , Roger Charbonneau, Hervé Belzile..
Les HEC 2014 est une école du Haut Savoir présidée par la présidente de l’IEDM, madame Hélène Desmarais…
Or donc, il n’y a pas de chargé de cours des HEC qui se révolte contre le pouvoir
quelle tristesse…
Très bon texte. Ce qui facilite beaucoup la tâche de la droite pour leur propagande, nous avons appris quoi penser depuis la petite école, sur la base des idées forces régis par cette droite.
Les entreprises et les syndicats sont dans la même arène et ils luttent chacun pour avoir la plus grosse part du gâteau. Au fond, syndicats et entreprises sont les deux faces de la même pièce.
La gauche qui critique le fait souvent sur le ton du ressentiment. Il y a alors beaucoup d’espace pour la droite pour faire croire que cette gauche ne fait que se défendre en raison de leurs frustrations.
Mais le plus grand obstacle dans tout ça, c’est que l’humain écoute beaucoup plus ses propres intérêts que l’intelligence des arguments. Il reste toujours sourd à ce qui ne fait pas son affaire.
M. McSween, tenter de comprendre avant de critiquer, ce serait bien. Et cessez de confondre votre incompréhension avec mes idées. Vous appliquez une analyse de droite à mon analyse de gauche pour dire qu’elle est incohérente. C’est assez pathétique, non?
À ce que je lis, ça bouge dans l’intestin de certains participants, c’est bon signe. J’essaie de rester honnête plutôt que seulement m’écouter parler. C’est de même qu’on grandit, c’est de même qu’on avance.
Vous m’énervez la plupart du temps, mais cette fois-ci, c’est sublime!
La droite étatiste en prendrait encore plus sur la gueule si les anarchistes décidaient d’utiliser une rhétorique la plus extrême possible en faveur du libre-marché, sans considérer le marché comme une obligation. Les droitistes seraient tous mêlés.
Vive le libre-marché anti-capitaliste!
Je partage en partie vos propos surtout sur la gauche et le mouvement syndical. Les monothéismes n’ont pas attendu la mondialisation de l’économie pour penser le monde. Elles accompagnent son déploiement. Les monothéismes supposent le monde, sa mondialisation. La parole religieuse du monothéisme sa puissance d’exposition, son autorité va delà des frontières géographiques, linguistiques. Dans quelle langue doit-on parler à Dieu? Dans quelle langue Dieu nous parle? Le polythéisme fut une religion de traduction. Le monothéisme est une religion de conversion.
Nous assistons à la victoire des monothéismes en Afrique, en Amérique du Sud et du Nord, en Australie sur les religions non abrahamique. Les monothéismes l’ont fait selon la langue du pouvoir du moment en anglais, en français, en espagnol, en arabe en fossilisant les cultures locales et leurs langues. Les monothéismes établissent des normes que nous assimilons comme des normes morales : sur ce qu’on doit manger, sur ce qui est le vivant et la mort, sur ce qui est humain et animal et son sacrifice, le rôle des hommes et des femmes, dans l’institution et dans la foi, en société, de la sexualité et son rôle, le mariage, des jours de repos, etc.
Ce qu’on nomme l’islamisation de l’occident ne se dénombre pas par le nombre de pratiquant dans les mosquées, mais par l’acceptation des normes religieuses dont l’Occident prétendait avoir sécularisé. La Cité de Londres veut devenir le financier de l’argent du monde musulman avec la conformité des préceptes du Coran. La médecine qui pratique la circoncision, la reconstruction d’hymen, des tests de virginité, aménagement des temps de baignade, le voile pour réaffirmer le conservatisme des rôles sociaux et sexuel, etc.
Les conquêtes des monothéismes sont interminables. On suppose une paix religieuse entre les monothéismes. Le premier geste du Pape François a été de visité son pays d’origine dont le protestantisme fait des gains de conversion important. Calcul papal comme celui de Rouhollah Mousavi Khomeini en 1989 condamna à mort l’écrivain Salman Rushdie à travers une fatwa qui accusa celui-ci de blasphème contre le prophète de l’islam Mahomet. Calcul politique qui renforce et expose sa puissance en parole qui autorise tout musulman de tous les pays du monde d’exécuté cet ordre religieux, puissance qui va au-delà des frontières et du temps puisqu’une fatwa prendra fin avec la mort violente ou pas de Salman Rushdie.
La laïcité suppose une autonomie du religieux et de l’État. L’intégriste politique ou religieux va jouer l’un contre l’autre, l’un avec l’autre en cherchant toujours de minimisé leur l’autonomie de ces deux pouvoirs.
je lis ce dernier texte et je me sens comme un » minus habens « .
Je pense à ce jeune écrivant à sa mère peu érudite : » chère maman, je t’écris lentement sachant que tu ne lis pas vite . »
Je me sens comme …maman…
M. Graton, je ne comprends pas votre message. Désolé.
Tout est rapport de force… et le pouvoir est toujours du côté de l’argent!
je veux dire tout simplement que je trouve difficile la lecture du texte de » une personne « :
je ne suis peut-être pas assez vite sur les patins ( minus habens ) et un peu comme la maman du kid qui – pauvre elle – est peu érudite…