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Les tout petits tas de Foglia

Le racisme n’existe plus. Il a été léché, mâché et avalé par le spectacle de la « Fin de l’histoire ». Résultat : les tout petits tas de haine ordinaire déposés sur la voix publique sont maintenant parfumés à la sauce démocrate.

Pierre Foglia n’est pas raciste. « Essentiellement, un invité, c’est quelqu’un qui ferme sa gueule et qui dit merci, merci beaucoup de votre accueil, c’est gentil à vous, merci, merci. » [La Presse, 19 janvier]. Quel style, quelle élégance ! Foglia est le meilleur chroniqueur du Québec… Vraiment ! Imprévisible, vous croyez qu’il va poursuivre en nous parlant de son éternelle fiancée ? Mais pas du tout ! Il creuse courageusement son filon

« On a beau dire que le problème, c’est pas les musulmans… Un peu, quand même. Ce serait moins compliqué avec des Polonais et des Italiens. Le problème avec les musulmans, c’est qu’ils sont beaucoup plus musulmans que les chrétiens ne sont chrétiens. On a un Jean Tremblay à Saguenay. Ils ont 243 millions de Mohamed Tremblay un peu partout. »

Vous avez remarqué combien sa comparaison est honnête et convaincante? « Un » chrétien  pour « 243 millions » de musulmans, ça fait peur, non ? « Le » chrétien en question est par ailleurs fort bien choisi. Il n’est pas à la tête du gouvernement conservateur canadien, un État qui a fait la guerre à l’Afghanistan, qui expulse des « Mohamed » vers Guantanamo et qui censure les scientifiques. Bien sûr que non… « Le » chrétien dont on parle est notre presque attachant Ti-Coune national : le maire Tremblay.

Foglia aurait d’ailleurs pu nous parler des 15 millions d’« Ariel circoncis » et des quelques millions de « fumeurs de Tziganes » devant lesquels les « Tremblay » ne font décidément pas le poids. Mais il ne s’agit pas ici d’une chronique de Richard Martineau ou de Sophie Durocher, on parle de Foglia, le très respecté chroniqueur, qui poursuit avec subtilité :

« Juste pour ce que je viens d’écrire, je vais me faire traiter de raciste. Soit. De toute façon, quand je vois où mène l’antiracisme en ce moment, et avec qui, je ne sais plus très bien dans quel camp je ne veux pas me retrouver. »

Comme de nombreux « progressistes », le pauvre Foglia ne sait plus très bien dans quel « camp » il se trouve. Sa fiancée serait-elle tannée de l’entendre radoter ses anecdotes inintéressantes ? S’ennuie-t-il de son bicycle à pédale ? La neige aurait-elle cessé de l’attendrir et de l’inspirer ?

Enfin, quoi qu’il en pense, le racisme et la haine sont toujours bien vivants, ici comme ailleurs. Et le véritable problème émane précisément du fait que ces phénomènes sont désormais impossibles à nommer. Il est interdit de traiter quiconque de raciste sans qu’on parle automatiquement de « dérapages », d’« exagérations », de « mauvaise foi » ou de « point Godwin ». Le ministre Drainville a d’ailleurs interdit l’utilisation du terme lors des échanges de la commission [The National post, 15 janvier].

Entendu de façon stricte, soit comme la hiérarchisation des « races », le racisme, effectivement, est totalement discrédité, sinon dans la tête de quelques groupes tout aussi marginaux que dangereux. Si, cependant, on entend ce terme de façon plus générique, soit comme la stigmatisation d’un groupe de personne à partir de critères réels ou inventés, on constate alors qu’il est désormais en fulgurante expansion.

Le racisme d’aujourd’hui est ainsi « sans race ». Exactement comme l’antiracisme d’autrefois, il carbure à la différence. « Ils sont d’une autre civilisation. » « Ils ne sont pas inférieurs, c’est certain, mais ils sont différents. » « L’Islam, c’est pas une race ! » « Il faut défendre les valeurs de notre civilisation. »

Yves Michaud n’est pas raciste. Il n’invite pas les immigrants « noirs » à quitter la province, ni même les « jaunes » ou les « rouges ». C’est un monsieur généreux. Il fait dans la non-discrimination : tous les « mécontents n’ont qu’à plier bagage » [Le Devoir, 8 janvier]. Quitter un pays, y compris celui qui nous a vu naître et grandir, c’est si simple. Et c’est le prix à payer pour combattre la « menace » et le « cancer » représentés par les religions étrangères. Mathieu Bock-Côté n’est pas raciste. Il n’a d’ailleurs pas appuyé les propos « malheureux » d’Yves Michaud. « Cela dit, cela dit » [Bis]… ce qui le « désole », c’est que ces propos semblent « faire plaisir à ceux qui attendaient le dérapage » et qui se laissent guider par le « plaisir lapidaire » de la dénonciation sur les réseaux sociaux [Radio Canada, 10 janvier]. Richard Martineau n’est pas raciste. S’il porte la burka en ouverture de son émission d’information (de qualité), c’est parce que c’est un p’tit (très petit) comique à l’humour jaune (et parfois brunâtre).

Les seuls qui sont réellement « racistes » (rappelons-nous l’image des « foulards » du K.K.K. diffusée par Djemila Benhabid), les seuls qui sont réellement « fascistes » (plus précisément islamo-fascistes) : ce sont les non-civilisés (un peu comme les Indiens d’autrefois). Nous, on est du côté des gentils. D’ailleurs, demandez-le aux p’tits copains ci-haut nommés et ils vous le diront : « On ne s’aime pas assez ». « Le multiculturalisme, c’est du racisme inversé. » « L’ouverture à l’autre, c’est une négation de soi ». « Ça suffit les complexes de l’Occident ! »

Le Québec a historiquement été victime de discrimination. Plus encore : sa situation est toujours celle d’un peuple minoritaire. C’est pour cette raison que nombre de Québécois sont absolument incapables d’admettre que le racisme existe aussi « chez nous ». « Nous, racistes ? Allez voir ailleurs si c’est mieux ! » « C’est faux ! Y’a juste un fédéraliste qui peut dire ça. » D’autant plus que les nationalistes canadiens instrumentalisent chaque preuve de cette existence à son profit ; cela lui permet, par un juste renversement des perspectives, de nier que le racisme existe également « chez lui ».

Comme le Québec a laissé tomber les projets d’émancipation pour la plus « réaliste » conservation de « ce qui reste de lui », ce rejet de l’autre et la peur de l’étranger collent drôlement bien à sa situation politique. Faute d’avoir le courage d’affronter ce qui le menace réellement (l’impérialisme, le tout à l’argent, la privatisation de ses institutions…), notre élite est plus encline à laisser tomber ses petits tas de haine normale sur la tête de ceux qui tentent de trouver ici refuge.

Quitte à transfigurer ces petits tas nerveux en paroles émancipatrices et courageuses…

C’est peut-être plus lâche, mais c’est tout aussi réconfortant.