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Les bouffons d’un temps nouveau

Dans son film-choc, « Le temps des bouffons », Pierre Falardeau ‒ comme il le dit avec élégance ‒ filme les « bourgeois pleins d’marde d’aujourd’hui déguisés en bourgeois pleins d’marde d’autrefois. » Ce qui se trouve sous l’œil de sa caméra serait représentatif de la société québécoise dans son ensemble : « C’est toute l’histoire du Québec en raccourci. Toute la réalité du Québec en résumé : claire, nette pour une fois, comme grossie à la loupe. » D’un côté se trouvent les bourgeois colonialistes, ceux qui achètent et vendent le pays ; de l’autre, les Canadiens français, les autochtones et les immigrants, ceux qu’on exploite et à qui on a usurpé ledit pays.

Ce que le cinéaste n’a toutefois jamais dit, c’est que sa caméra avait cadré la scène en fonction de ses convictions nationalistes. À l’extérieur du cadre, festoyant en compagnie des « possédants », des « bourgeois anglais » et des « collabos » se trouvait un autre bouffon, et non le moindre : Pierre-Marc Johnson, alors président du Parti québécois.

Le cinéaste l’avait épargné…

Pourquoi ? Parce que Johnson était un de ceux que Pierre Falardeau considérait encore comme étant « de notre bord », celui des nationalistes[1]. En fait, Falardeau avait encore plus raison qu’il ne le croyait. Ce qu’il « grossissait à la loupe », ce n’était pas seulement la situation politique du Québec, mais les limites de la solution proposée par le PQ pour la changer, soit le nationalisme et son projet de souveraineté-association.

La souveraineté contre le pays

Le pays, si on ne le confond pas avec l’État, et le peuple, si on ne le confond pas avec la nation, ne sera pas émancipé de quoi que ce soit au lendemain de la souveraineté. Le pays, en tant que « terre qui nous a nourris » et en tant que langage « qui nous a bercés », comme aurait dit Elisée Reclus, n’est pas à amalgamer si facilement à l’État, qui est l’institution centrale administrant ce pays concret (constituées de rivières, de montagnes, de forêts, de lacs, de villages, de rues, de ponts, etc.).

Ce pays, au lendemain de la souveraineté, ne sera pas émancipé de quoi que ce soit. Il sera toujours asservi à la logique du profit, une logique que la souveraineté-association promet de reconduire sans faire de vague. L’État semi-souverain du Québec pourra ainsi poursuivre la destruction du pays, en le polluant, en injectant du poison dans son sous-sol et en le vendant au plus offrant (À ce sujet, le positionnement pro-gaz de schiste de certains indépendantistes est éclairant).

Par morceaux, l’État vend le pays.

L’État contre le peuple

« L’Etat, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : “moi l’Etat, je suis le peuple” », disait le Zarathoustra de Nietzsche. Le peuple ‒ pour faire bref : les classes populaires du Québec ‒ ne sera pas plus maître de ses institutions qu’il ne l’est maintenant. Il sera toujours séparé, nié par le pouvoir. L’État souverain du Québec serait libre d’administrer ses impôts, de signer ses traités et de voter ses lois ? En aucun cas cela ne signifie que le peuple aura prise sur la manière dont seront administrés ces pouvoirs. « Nous » n’aurons pas plus de pouvoir sur l’État québécois que « nous » n’en aurons sur l’économie, sur la politique ou sur la société québécoise. Le peuple toujours asservi, contrôlé et gouverné de l’extérieur. Cela, le projet de souveraineté-association nous le promet.

Le PQ n’est d’ailleurs pas sans être conséquent avec cette logique… Il brise les grèves pour les patrons (en nombre record sous la gouverne de Lucien Bouchard); coupe dans les plus démunis au nom du déficit zéro ; augmente les tarifs des particuliers ; augmente les frais de scolarité ; diminue les impôts des entreprises ; subventionne des millionnaires et des projets ultra polluants; etc.

L’objectif de la souveraineté-association ‒ un concept unique inventé par les péquistes ‒ n’a jamais été d’émanciper le peuple québécois. Les péquistes travaillent pour l’État-nation et non pour le peuple. Ils exploitent, oppriment et répriment le peuple ; détruisent, polluent et privatisent le pays. En ce sens, la candidature de Pierre-Karl Péladeau est grossièrement caricaturale : il « rêve » d’un pays qu’il abrutit par la désinformation ; il « rêve » d’un pays qu’il exploite avec brutalité ; il « rêve » d’un pays dépendant des aléas du marché ; il « rêve » d’un pays permettant les monopoles médiatiques ; il rêve d’un « pays » dont le sous-sol sera vendu au plus offrant ; il « rêve » d’un pays sans programmes sociaux, sans syndicats, sans écologistes…

Bref, il « rêve » d’un pays à… posséder. Et à moins de considérer que ses possessions privées seront magiquement les « nôtres » ‒ comme le veulent les fantasmes nationalistes conservateurs –, il faut bien admettre que cela n’a rien à voir avec une quelconque forme de liberté. La propriété privée n’est pas la propriété du peuple. La police sera là pour nous le rappeler, de même que l’armée ‒ qui serait par ailleurs encore « canadienne », tel que le veut le PQ.

Les indépendantistes « purs et durs » ‒ et qui sont en fait des souverainistes « radicaux » ‒ aiment dire qu’il ne faut pas imposer de « conditions » à la souveraineté ou à l’indépendance. Jean-François Lisée a même affirmé qu’il ne fallait pas « faire passer l’idéologie avant la souveraineté », comme si cette affirmation n’était pas elle-même idéologique. Lisée devrait s’assumer et le dire plus clairement : non seulement la souveraineté doit passer avant les idéologies, mais elle doit passer avant même les « idées » tout court. Comprise ainsi, la nomination de l’ex-président de Quebecor World dans leur rang prendrait tout son sens… André d’Allemagne, dans son essai « Le colonialisme au Québec », soutenait d’ailleurs avec justesse que si le Québec n’était pas menacé  d’« assimiliation totale », il était pourtant menacé de « rachitisme perpétuel ». Le fondateur du RIN n’avait pas prévu que ce rachitisme allait affecter non seulement la société, mais également le projet qu’il avait contribué à élever.

La liberté contre la liberté

Ce n’est pourtant pas de « conditions » dont il s’agit, mais de contenu. La liberté, l’indépendance n’existent pas « en soi » ‒ rien n’existe « en soi ». Entre la liberté des conservateurs et des socialistes, entre le projet d’indépendance révolutionnaire de Frantz Fanon et la souveraineté-association de Lucien Bouchard ; il n’y a pas seulement des différences de degré, mais une distinction essentielle, fondamentale, irréductible.

On aura beau tordre le réel jusqu’à le transformer en pure fiction, on ne fera jamais cohabiter pacifiquement les Métis et les seigneurs français, Michel Chartrand et ses geôliers de l’Union nationale, Duplessis et ses « enfants », « Bozo les culottes » et ses boss du Québec Inc., les « bêtes féroces de l’espoir » et les bourgeois d’Outremont, la violence révolutionnaire d’Hubert Aquin et Star Académie, les « camarades prisonniers politiques » du FLQ et les Lucides, Denis Vanier et la police de Montréal, le chanoine Groulx et Léa Roback, les anarchistes du Sommet des Amériques et le 22ème Régiment, les grévistes étudiants et les ministres libéraux, les chômeurs de la Gaspésie et les millionnaires de Montréal, les émeutiers de Montréal-Nord et le ministre de la sécurité publique…

C’est précisément grâce à cette méprise que le PQ peut mettre de l’avant à la fois ce qu’il appelle « indépendance » et son contraire, la dépendance. C’est pour cette raison que la souveraineté-association est en fait un « non-projet » sans consistance, un projet-vacuum dont le socle est l’irréductible nostalgie d’un « vieux » projet. Et c’est également pour cette raison que le PQ peut faire des appels à la coalition nationale tout en tapant fort démagogiquement sur la gauche souverainiste qui refuse de joindre ses rangs.

Il n’y aura pas de changement sans les risques et les turbulences qui l’accompagnent. On ne libère pas un pays en apposant un X anonyme qui ne nous engage à rien. On ne libère pas un peuple à l’aide d’une stratégie subordonnée aux sondages d’opinion et aux hasards de la société du spectacle. On ne libère pas un peuple en le braquant contre ses faux ennemis « étrangers ». On ne libère pas un pays sans qu’il ne soit question de libération. On ne libère pas un peuple sans qu’il ne soit question d’émancipation. Comme le disait si bien Falardeau

 « Je les ai vus à Montréal dans leur bureau avec leurs sales yeux de boss, leur sale voix de boss, leur sale face de boss, hautains, méprisants, arrogants. Des crottés avec leur chemise blanche pis leur Aqua Velva. Minables avec leur Mercedes pis leur raquette de tennis ridicule. Comme des rats morts. Gras et épais avec leurs farces plates pis leurs partys de cabane à sucre. Pleins de marde jusqu’au bord à force de bêtise et de prétention. Crosseurs, menteurs, voleurs. Et ça se reproduit de père en fils. Une honte pour l’humanité ! »

« Comme des rats morts. » Et peu importe la couleur du costume.

N’est-ce pas Monsieur Lisée ?

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[1] Cette information étonnante provient de la bouche de Pierre Falardeau lui-même, qui, un soir de Saint-Jean de 1996 (ou 1997 ?), nous l’avait confiée.