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Vers une coalition entre le Parti Nul et les abstentionnistes ?*

* Comme la nouvelle nous semble de la plus haute importance pour notre vie démocratique, nous diffusons ici un article du journaliste Arsèle Lapin, pour l’Agence Uchronie-Presse.

Nouveau rebondissement en cette fin de campagne électorale historique et passionnante, et vice versa. Dans un ultime effort pour obtenir la majorité, des abstentionnistes tendent la main au Parti Nul (PN), pour former une coalition d’union nationale après les élections.

Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM et abstentionniste déclaré, s’est adressé aux médias lors de sa tournée abstentionniste dans la circonscription d’Ungava : «En 2008, il y a eu plus de 40% d’abstention. Les abstentionnistes formaient une majorité claire, loin devant le parti ayant obtenu le plus de voix, soit 33% pour le Parti libéral du Québec. En 2012, nous avons subi un certain recul, mais nous sommes confiants aujourd’hui de répéter notre score de 2008, et même peut-être de l’améliorer.» Une porte-parole de l’organisme féministe « Les abstentionnettes masquées » a rappelé lors de l’événement qu’il y avait parité entre les hommes et les femmes chez les abstentionnistes.

À un journaliste qui lui demandait de confirmer les rumeurs d’une coalition entre les abstentionnistes et le PN, M. Dupuis-Déri a répondu qu’il y avait effectivement des discussions informelles à ce sujet, et qu’une alliance pourrait permettre de regrouper en un seul bloc plus de 50% des personnes inscrites sur les listes électorales.

Divisions

Il s’agit d’une offre alléchante pour le PN, déstabilisé par le départ de son candidat vedette, Julien Villeneuve, alias AnarchoPanda. Cela dit, une source anonyme dans les hautes instances du PN a déclaré qu’il «n’est pas question d’envisager une alliance avec les abstentionnistes. Nous ne partageons pas du tout la même vision de la démocratie, nos valeurs sont incompatibles», même s’il semblait possible pour la formation de collaborer avec les abstentionniste sur des dossiers précis.

Par ailleurs, un Nul a tenté de perturber la conférence de presse de M. Dupuis-Déri, en déroulant une bannière frappée du slogan : «Votez stratégique ! Votez nul !» Les gardes du corps de M. Dupuis-Déri ont rapidement maîtrisé l’homme, qui a tout de même eu le temps de crier : «Les abstentionnistes ne font rien, ils sont paresseux ! Il vaut mieux voter Nul ! Attention Québec, les Nuls se réveillent !». L’individu de race blanche serait connu des services de police et même du Directeur général des élections et de la Commission Charbonneau.

Un communiqué de presse abstentionniste a été émis peu après indiquant que «s’abstenir reste le seul choix stratégique. Voter Nul, c’est encore une fois participer à un système corrompu. Il est aussi plus écologique de s’abstenir, car cela dépense moins d’énergie que d’aller annuler son vote.»

La proposition d’alliance entre les abstentionnistes et le PN a été dénoncée par un membre du collectif «Trash ta pancarte» qui diffuse des photos de pancartes vandalisées [https://www.facebook.com/trashta.pancarte]. Sous couvert de l’anonymat, il a déclaré que «Dupuis-Déri n’a aucune légitimité pour s’exprimer au nom des abstentionnistes, il n’a aucune crédibilité, c’est un imposteur. Il s’adonne à de la petite politique. Il cherche à détourner un mouvement populaire légitime pour son propre compte et je suis certain qu’il a des actifs cachés au Delaware. Je ne serai pas surpris qu’il soit financé par un système de prête-nom par une firme de génie conseil. Avec deux noms de famille, il peut sans doute recevoir deux chèques de la même personne.»

Violence et intimidation

Pour sa part, M. Dupuis-Déri tient à se dissocier des actions du collectif «Trash ta pancarte» : «Vandaliser une pancarte électorale, on sait ce que ça veut dire, ça veut dire l’intimidation, la violence, ça veut dire aussi le fait qu’on empêche des gens d’avoir leur face partout sur les poteaux ; pour nous, c’est ce que ça veut dire et pour une grande, grande, grande partie des Québécois, c’est ce que ça veut dire, c’est du terrorisme, c’est un génocide de pancartes. De tels comportements sont inadmissibles en démocratie.»

M. Dupuis-Déri en a profité pour souligner «le travail exceptionnel et le professionnalisme de la police, malgré des situations difficiles, le stress et la fatigue, tout au long de la campagne électorale, et aussi tout au long du gouvernement du Parti québécois, et tous les 15 mars lors de la manifestation contre la brutalité policière, dont celle de cette année puisque l’arrestation de masse avant la manifestation à même fait en sorte qu’il n’y a pas eu de manifestation. La police protège notre droit fondamental de ne pas manifester, c’est-à-dire de ne pas exprimer d’opinion politique, ce qui ne peut que réjouir les abstentionnistes !»

Les propos de M. Dupuis-Déri ont été dénoncés par le club Abstentionnistes et progressistes pour un Québec libre d’élections (APQ Libre-e), dont un membre a expliqué, sous couvert de l’anonymat, que «M. Dupuis-Déri représente un virage à droite, voire à l’extrême droite, de l’abstentionnisme. Il est l’homme de main des “Abstentionnistes identitaires”, qui proposent que l’abstention devrait être interdit aux femmes musulmanes portant le voile et à celles et ceux qui ne maitrisent pas bien le français. À l’APQ Libre-e, nous encourageons une abstention ouverte et pluraliste. Cela dit, nous proposons un amendement au règlement P6 interdisant de se cacher dans un isoloir pour voter : si vous décidez  de voter, il ne faut pas se cacher pour exprimer ses opinions politiques. C’est pour cela que la journée des élections, nous nous abstenons, mais sans porter de masque.» Il en a profité pour prendre ses distances lui aussi du collectif «Trash ta pancarte» : «C’est triste à dire, mais ils infiltrent le mouvement abstentionnisme, ils détournent par la violence notre message légitime. Ce ne sont pas des abstentionnistes, ce ne sont que des jeunes qui profitent des élections pour s’adonner à leur passe temps favori : détruire, vandaliser, tout casser. Ils n’ont peut-être même pas l’âge légal pour s’abstenir.»

Vers une victoire des abstentionnistes?

Rappelons qu’en 2008, le taux d’abstention avait atteint 57,43%, soit le plus haut taux depuis 70 ans. La circonscription d’Ungava est un bastion abstentionniste, avec un taux record de 73,92% en 2008, suivi de près par Westmount-Saint-Louis, avec un taux d’abstention de 73,30%. En 2012, le taux d’abstention avait chuté pour l’ensemble du Québec à 25,4%, mais une abstentionniste rencontrée à Ungava a déclaré qu’elle était «confiante que le taux d’abstention augmente cette année, tellement la campagne électorale est ennuyeuse et les partis politiques pitoyables». Les votes annulés, dit «blancs» ou «nuls», ne sont pas comptabilisés dans notre système électoral, un situation que déplore le Parti Nul.