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Morbide Israël

Si les colonialistes d’autrefois fondaient leur légitimité sur une prétendue supériorité civilisationnelle, et qu’ils affirmaient haut et fort leur sentiment de supériorité, ce discours est quelque peu passé de mode…Le colonialisme est désormais parfumé de démocratie, de raison et de liberté. On tue pour la « paix ». On envahit des territoires pour « se défendre ». On protège, à coup de bombes intelligentes, la « vie démocratique », la « souveraineté », la « civilisation ».

Spectacle sanglant

La guerre faite au nom de la démocratie libérale (une belle illusion) est une guerre pour le libre marché (une autre belle illusion). C’est peut-être ce qui explique son côté divertissant. On a créé des applications i-Phones permettant de suivre les bombardements en direct. C’est pratique. On a également vu des Israéliens se rassembler entre amis afin de regarder les feux d’artifice créés par leur armée. On boit de la bière. On mange des chips. À chaque coup de tonnerre, on applaudit, on rit et on tape des mains. « Et encore un de rôti ! Youpi! » Clap! Clap! Clap! On ne voit que le spectacle de lumières, mais on sait que derrière chacune d’entre elles se trouve des corps déchirés, des membres arrachés, des éclats de verre dans la peau, des enfants ensevelis sous la pierre et des crânes fracassés. Certains Israéliens ont même la chance d’écrire des messages sur les ogives avant qu’elles ne soient lancées sur la bande de Gaza. On s’entend, c’est symbolique : elles vont crever les yeux des Palestiniens avant qu’ils n’aient le temps de les lire. Mais ça permet tout de même à tous et à toutes de participer, chacun à sa manière. N’est-ce pas cela, la démocratie?

La guerre menée par Israël se veut par ailleurs très propre, très blanche. On avertit les civils avant de les tuer, c’est gentil. On lance même des bombettes pour signaler aux Palestiniens que le vrai massacre s’en vient, d’ici quelques minutes. Ça leur laisse du temps pour les prières ou pour embrasser leurs enfants une dernière fois. C’est très humanitaire.

Du sang dans la bouche                 

Sur le plan rhétorique, la guerre démocratique prend des allures franchement morbides. Rappelons-le, puisque c’est malheureusement nécessaire : Israël bombarde un morceau de territoire qu’elle a spolié, qu’elle occupe et qu’elle enserre de ses chars d’assaut. Israël, c’est des dizaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, un mur de 700 kilomètres, les déplacements de population, l’accaparement de l’eau potable et des terres fertiles, les frappes aériennes pour plaire à l’opinion publique et la guerre pour remporter des élections.  Israël, c’est Itzhaq Rabin, ce modéré premier ministre, qui ordonne de « casser les membres des enfants palestiniens plutôt que de les tuer »[1]; c’est Ariel Sharon, le responsable des massacres de Sabra et Shatila, qui compare les Arabes à des « bêtes à deux pattes »[2]; et c’est cette députée, Ayelet Shaked, qui soutient que les mères palestiniennes « doivent mourir, et leurs maisons doivent être détruites de telle sorte qu’elles ne puissent plus abriter de terroristes »[3].

La logique victimaire d’Israël semble sans fond… Sous prétexte de souffrances passées, elle domine et massacre à son tour, mais sans jamais l’assumer. Le colonialisme, et pour cause, est passé date. Il lui faut maintenant faire appel à de fins concepts publicitaires afin d’anéantir ses ennemis.

Désormais, on fait la guerre pour la paix. Il ne saurait en être autrement, Israël est démocratique. C’est pour cette raison qu’elle n’est pas responsable de la souffrance qu’elle provoque. Elle fait la guerre juste ‒ nous allions écrire la « guerre sainte ». Vous l’avez sans doute remarqué : toute la responsabilité repose sur les épaules du Hamas, comme si ce dernier était la cause et non l’effet de la violence du colonialisme.

(Il faudrait choisir : le Hamas ou Israël, la tyrannie ou la démocratie, le terrorisme ou la sécurité. Toute alternative à ces concepts propagandistes est considérée nulle. L’antisionisme, vous connaissez la chanson, en est toujours un de « façade ». Il faudra cependant un jour sortir de cette logique… Si, pour la Palestine, la seule alternative se situe entre l’islamisme radical et l’acceptation de l’occupation d’Israël, les jours sombres ne font que commencer. Mais est-ce possible d’aller au-delà de ce faux dilemme? La Palestine peut-elle s’émanciper de ces deux formes de dominations ? Refuser l’occupation et le Hamas? Telle est selon nous la seule alternative pouvant amener paix et liberté à se peuple déjà magané par l’histoire. L’espoir est mince, très mince, mais pour une initiative allant en ce sens, lire ce manifeste : Gaza Youth Breaks Out [4]).

C’est l’acceptation de cette logique binaire, donc, qui permet à Stephen Harper de défendre « de façon inébranlable le droit d’Israël de se défendre » [5]. Comme le souligne Baird, notre ministre des Relations internationales, Israël, en tant que « démocratie », ne trouve pas d’« équivalence morale » dans le Hamas, qui fait quant à lui « preuve d’un mépris flagrant pour la vie humaine » [6]. C’est aussi cette logique qui permet au caricaturiste Guy Perkins, du Journal de Montréal, de nous présenter, à côté du Capitaine America, le « Capitaine Hamas » portant un bébé comme bouclier [7]. Et c’est encore cette logique qui permet à Joël Dion, le consul-général d’Israël à Montréal, d’affirmer que la mort d’enfants palestiniens jouant sur la plage et bombardés par l’armée relève de la responsabilité de leurs parents, qui n’auraient pas dû les laisser sans surveillance. [8]

Lise Ravary, chroniqueuse à Radio X et à Radio Canada, va dans le même sens. Sans complexe, elle nous dévoile une insensibilité qui ferait pâlir le marquis de Sade en personne:

« Ils [les soldats israéliens] ont lancé environ 500 attaques aériennes depuis le début. Moins de 100 personnes, dont la moitié serait des civils, ont été tués [sic]. Un c’est trop mais je ne crois pas que l’armée israélienne soit si « poche ». Et puis, la preuve a été faite que le Hamas demande aux civils de se tenir sur les toits des maisons pour servir de boucliers humains. » [9]

Autrement dit, pour reprendre cette rhétorique savante, s’il y a des morts et des corps mutilés, ce n’est parce que le Hamas est trop « poche ». De la part de ceux qui nous saoulent à longueur d’année en ce qui a trait à la prise en charge de nos « responsabilités », ce type de renversement a de quoi surprendre ‒ et c’est le moins qu’on puisse dire.

On aura beau chercher, jamais les amis du sionisme ne trouveront quoique ce soit à reprocher à l’État d’Israël. Le colonialisme? L’apartheid? La purification ethnique? Ce sont des choses du passé… La guerre démocratique renverse radicalement les rapports de force et de domination. Elle tue en pleurnichant, une Charte des droits et libertés entre les mains. Elle transfigure les mangeurs de pays en héros et leurs problèmes de digestion en prétexte pour mieux se bourrer la face.

Enrobées de sucre démocratique, ces innommables horreurs deviennent plus facile à avaler.

Jusqu’au jour où elle aura tout dévoré.

*

Notes

[1] Jawad Squalli, «Intifada : exit, le soi-disant processus de paix…», Rebelles, vol.12, no 1, printemps 2001, p.22.

[2] Ibid.

[3]  Le Figaro, 15 juillet 2014 : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/07/15/97001-20140715FILWWW00370-erdogan-accuse-israel-de-terroriser-la-region.php

[4] « Merde au Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l’ONU et à l’Unrwa. Merde à l’Amérique ! Nous, les jeunes de Gaza, on en a marre d’Israël, du Hamas, de l’occupation, des violations permanentes des droits de l’homme et de l’indifférence de la communauté internationale » .Gaza Youth Breaks Out http://gazaybo.wordpress.com/manifesto-french-2/

[5] QMI, « Harper réitère l’appui du Canada à Israël », Canoe.ca : http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2014/07/20140719-210304.html

[6] Baird juge «injustifiées» les critiques à l’endroit d’Israël, La Presse.ca, 14 juillet 2014

[7] Guy Perkins, « Hamas », Le Journal de Montréal, 16 juillet 2014 : http://blogues.journaldemontreal.com/humour/photocaricatures-de-malaka/capitaine-america-vs-capitaine-hamas/

[8] « Mais quand on est en guerre avec quelqu’un, est-ce que vous, en tant que père, vous laisseriez vos enfants jouer sur la plage? », sur les Ondes de Radio Canada Information, le 17 juillet.

[9] Sur Facebook, le 11 juillet. Et ce n’est qu’une des nombreuses stupidités mortifères articulées par la chroniqueuse, qui en remet pratiquement chaque jour.