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La promesse (bis)

Sur son blogue, comme c’est dans son habitude, Richard Martineau nous livre un papier tout en finesse et en intelligence. « La promesse », à lire seulement si vous avez beaucoup de temps à perdre. En voici un pastiche.
La scène se déroule dans le salon de la famille Martineau à Outremont. Richard a réuni ses enfants pour leur annoncer une mauvaise nouvelle.
— J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Vous ne pourrez pas aller à Walt Disney cet été.
— Hein ? Pourquoi ?
— Parce que moi et maman on a décidé d’aller à Vegas.

Maman Sophie entre dans la pièce en dansant de façon grotesque: « Veeeegaaas ! Here we come! ».
— Et alors ?, disent les enfants.
— Et alors, j’ai pas les moyens d’acheter quatre billets pour la Floride, c’est pas le bon moment.
— Mais tu l’as promis, papa !
— Je sais bien, mais la situation a changé.
— Mais tu pourrais louer une des cinq pièces de la maison qui ne servent à rien ou encore vendre une de nos quatre voitures, non ?
— Et on irait quand à Vegas ?

― « Veeeegaaas ! Here we come! », rétorque maman toujours en dansant comme une abrutie.
— Maman pourrait vendre ses bijoux, elle en a plein ses tiroirs… Ou tu pourrais couper dans le vin hors prix.
— Tout ça pour que VOUS alliez en Floride cet été ? Ha! Vous avez entendu ça vous autres?
— Une promesse c’est une promesse, papa ! Le contrat, c’est un des fondements de la société? Comment tu peux pourfendre le « gouvernemaman » quand il s’agit de programmes sociaux et vouloir en même temps que l’État s’immisce dans des contrats privés?
— Je ne suis pas plus contradictoire que la société l’est, je vous ferai remarquer. Je sais que c’est plate, mais vous n’avez plus les moyens que vous aviez. Tout le monde devra faire des sacrifices… Sauf ceux qui n’en font jamais.
Les enfants sont en furie. « C’est injuste! Y’a juste nous qui faisons des sacrifices alors que toi et maman vous en mettez plein la panse comme des porcs d’aristocrates! Allez chier. Tous les deux! ».
La mère se tourne vers son mari (sans jamais cesser de danser).
— Richard, fais quelque chose ! Tu ne vois pas que tu me fais de la peine ?
— Je sais. Tu es sensible. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Ils sont sur la paille ! Ils sont pris à la gorge ! Mais ne pleure pas mon amour. Ça nous prend du courage, de l’intelligence ― oui, oui : de l’intelligence! ― par les temps qui courent. Nous devons faire comprendre à ceux qui ont moins que nous de se serrer la ceinture, sous peine d’avoir à le demander aux riches.

― Les « riches »! Tu me fais peur quand tu parles comme Amir Khadir.

― N’aies pas peur. Tout le monde doit faire sa part. Et notre part à nous c’est de dire aux autres de la faire.

― Si on diminuait le salaire minimum, ça pourrait les aider?
— Voyons, Sophie, le salaire minimum c’est un dogme syndical au Québec, tu le sais bien! On ne va tout de même pas s’attaquer à ça! Hellooooo !!!!!
— Il faut revenir sur notre promesse, Richard, c’est un principe démocratique! Et si on coupait un peu plus dans la santé?
— Ben voyons, couper dans la santé. La maladie, c’est un dogme au Québec. On peut pas toucher à ça.

― Mais ils sont presque morts déjà! Me semble qu’ils pourraient faire un effort.

― Un effort? Mais c’est un dogme au Québec, c’est triste mais c’est ça.

― Alors tu as raison. Si on veut aller à Veeeeegas, il faut bien que quelqu’un fasse des sacrifices.

 

Elle continue à danser. Son chum marque le rythme en claquant des doigts.

Ils ont réellement l’air idiot, mais personne ne le remarque.
(Ce conte ― qui n’en est par ailleurs aucunement un !― est dédié aux chroniqueurs réactionnaires et jaunes qui, du haut de leurs salaires et privilèges indécents, invitent constamment les plus pauvres qu’eux à se sacrifier pour le Dieu économie…)