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La grande terreur rouge

« Saccage ». « Violence ». « Intimidation ». « Harcèlement ». « Vandalisme ». « Climat de peur ». « Anarcho-manipulateurs ». « Antisémites ». « Extrême gauche haineuse ». « Ils  vivent dans un univers parallèle ». « Ils sèment la peur ». « Ils prennent en otage une institution ». « Bande de voyous ». « Fanatiques ». « Perturbateurs ». « Violents ». « Fascistes ».

Il aura suffi d’une lettre signée par une minorité de professeurs du département de science politique pour que les mensonges propagandistes tricotés par les relationnistes du Parti libéral sortent instantanément de terre pour refaire le tour des grands médias québécois.

Les dit-professeurs, qui se permettent de faire la leçon aux étudiants concernant l’utilisation de « sophismes », ne se gênent pourtant pas pour amalgamer des événements disparates : des murailles (qui décorent les murs depuis pourtant 15 ans), des autocollants visant les professeurs accusés de harcèlement sexuel, des graffitis visant un enseignant soutenant les politiques d’Israël (rappelons qu’il avait affirmé que les étudiants pro-Palestine avaient un « faible niveau intellectuel » et qu’ils étaient au « service du Mal »), des actions de perturbations visant le sous-ministre en visite à l’UQAM, les Assemblées générales, etc.

Leur message a par la suite été relayé par l’ensemble des médias québécois. Certains signataires ont même témoigné sur les ondes des radios poubelles de Québec ― comme si leur participation à ces tribunes populistes et démagogiques ne nuisait pas à la bonne réputation de l’université. Même Josée Boileau du Devoir, pourtant habituée à plus de nuances et d’intelligence, a comparé le comportement des radicaux de l’UQAM aux hécatombes totalitaires qui ont peuplé le 20e siècle (!).

La « terreur », donc, règnerait en maître à l’UQAM.

Une « terreur » anarchiste.

Une terreur bien présente dans les Assemblées générales, plus précisément celles où les votes de grève remportent la victoire. « Infiltré dans la salle de l’assemblée, Le Journal a été témoin de l’intimidation contre les opposants à la grève. », dit Anne Caroline « Pulitzer » Despantes [JdeM, 25 février]. Quelles sont les preuves de cette « violence » et de cette « intimidation »? Se contentant de retranscrire des propos cités hors contexte afin de démontrer que les étudiants sont sans nuance et irréalistes, elle n’en cite aucune… Scandale : l’un d’eux aurait même crié « Vive la révolte! ». Exit les appels au respect des opinions de tous. Exit les réflexions s’appuyant sur la sociologie ou la philosophie politique. Exit les appels aux opposants à la grève à venir se faire entendre au micro. Bref : exit les débats, qui sont par ailleurs fort supérieurs à ceux qu’on entend généralement dans l’espace médiatique.

Manifestement, nous n’avons plus les régimes de terreur que nous avions…

Les Assemblées générales étudiantes font même appel à une « nounou » afin de voir à ce que tous soient respectés pendant les délibérations. Marie Aucoin, qui tenait ce rôle lors de la dernière assemblée, a pour mandat d’être attentive à la dynamique des débats : « Concrètement, je reste attentive à toutes les interventions et je fais des interventions au micro une fois de temps en temps pour inviter les gens présents à faire attention aux dynamiques malsaines. J’affiche mon numéro de cellulaire à l’avant pour que les gens puissent directement s’adresser à moi s’ils ressentent des choses que je n’ai pas remarquées ».

Selon Camilo Céré Escribano, étudiant à la maîtrise en science politique, les choses se sont bel et bien passées sans intimidation, et surtout sans violence : « La seule violence que j’ai connue au cours des derniers mois à l’intérieur des murs de l’UQAM, c’est lorsque les policiers sont intervenus pour matraquer des militants lors de notre journée de grève à la fin novembre 2014 (ironique que les professeurs soient restés muets face à la répression contre leurs étudiants) ».

Fannie Poirier, étudiante au bacc, va dans le même sens. Il est important de tenir ces réunions dans le respect : « Question de pouvoir tenir des débats éclairés où il est possible d’entendre plusieurs points de vue différents avant de se faire une idée. Question de légitimité démocratique ». Selon Véronique Martineau, étudiante à la maîtrise, le respect de la parole des autres en assemblée va de soi : il vise à mettre de l’avant « le projet de société à long terme que nous voulons construire qui est basé sur des rapports égalitaires et l’écoute mutuelle ».

Tous s’entendent également pour dire que la couverture médiatique a été médiocre, voire dégoûtante. Les étudiantes et les étudiants regrettent d’ailleurs que personne n’ait souligné la qualité des débats que l’assemblée a permis.

Manifestement, notre élite ― universitaire, journalistique, politique, ― n’a pas encore digéré la grève de 2012. À ce moment, des gens ont pris la parole sans permission, hors du cadre permis par les penseurs professionnels. À leurs yeux, ce n’est pas toujours très beau. Pas toujours très élégant. « Aussi bien revêtir les laboureurs de robes trainantes », comme disait Platon. La pensée, vaut mieux la laisser aux penseurs salariés.

Ironie du sort : ces scandales patentés arrivent au moment exact où la police de Montréal est vertement critiquée pour l’arrestation abusive de quelque 3000 étudiants lors de la grève de 2012.  2000 arrestations illégales. 2000 contraventions illégales. 2000 abus. 2000 violences à ajouter à celles qui ont crevé des yeux et cassé des membres.

À peu près personne dans l’espace public ne s’est scandalisé qu’autant de violence ait été dirigée contre le mouvement étudiant. Ce silence est tout aussi scandaleux que « normal ». Chaque chose est à sa place : la violence de la révolte fait peur, celle de la police rassure. Pour un gros mot visant la hiérarchie, on compte cent coups de matraque.

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La réplique étudiante : « À l’UQAM, l’engagement politique étudiant ne cessera pas! » : http://www.unionlibre.net/engagement/

Ici, une lettre des professeurs dénonçant cet amalgame et se prononçant en faveur de la démocratie étudiante) : Lise-Marie Gervais, « Les juristes se dissocient de leurs collègues de science politiques », Le Devoir, 28 février 2015 : http://www.ledevoir.com/societe/education/433195/intimidation-a-l-uqam-les-juristes-se-dissocient-de-leurs-collegues-de-science-politiques