BloguesMouvements sociaux

Les bœufs sont lents, mais ils vont de l’avant

Comme toujours, la Manifestation annuelle contre la brutalité policière aura provoqué la répression qu’elle tentait ironiquement de dénoncer. Comme toujours, les jappements des moutons aboyeurs en service commandé auront été tout aussi unidimensionnels que convenus.

On connaît la chanson, inutile d’en répéter le terne refrain…

Cette année, les policiers avaient toutefois à composer avec une certaine nouveauté : l’abandon des poursuites de la Ville de Montréal à l’endroit de quelque 2000 manifestants en vertu du règlement P-6. Apparu pendant le Printemps étudiant de 2012, ce règlement élargit énormément le pouvoir discrétionnaire de la police, qui ― avec toute l’objectivité qu’on lui connait― peut juger de la tenue ou non d’un rassemblement selon son « analyse » de la situation.

À cet effet, le juge Richmond n’a pas été tendre à l’endroit de la police de Montréal

« La banalisation de cette violation de la loi par des officiers supérieurs du SPVM est ahurissante. Non seulement la procédure ordonnée risquait de faire condamner des innocents, elle ébranle sérieusement la confiance qu’on peut avoir dans la preuve documentaire qui est utilisée chaque année dans des milliers de poursuites pénales » [La Presse, 10 février].

Ce jugement vient confirmer les nombreuses critiques émises suite au Printemps 2012 ― par l’ONU, Amnistie internationale ou la Ligue des droits et libertés. Les grévistes parlaient alors de profilage, de brutalité, de mépris, de violations des droits, de membres cassés et de yeux crevés sans qu’on ne les prenne au sérieux.   On se souviendra qu’Yves Boisvert soutenait alors que : « S’il y a une “criminalisation” du conflit, c’est que des actes criminels ont été commis au nom de la cause, ou avec la cause comme prétexte. Pas parce que nous vivons dans un État policier » [La Presse, juin 2012]. Jean-François Lisée affirmait quant à lui que le règlement P-6 était « absolument raisonnable » [Le Devoir, 23 mars 2013]; Lysiane Gagnon tournait en ridicule les critiques de l’ONU en affirmant que les « atrocités » policières étaient une vue de l’esprit [La Presse, 4 mai 2013]; et notre cher Premier ministre avait pris la peine de souligner la « bravoure » ― vous avez bien lu : la bravoure ― des forces de l’ordre [Le Devoir, 18 mai].

On aimerait les entendre sur ce jugement sévère à l’endroit du SPVM… Mais ne retenez pas votre souffle trop longtemps  (c’est mauvais pour la santé) : aucun éditorial n’a traité de ces quelque 2000 arrestations. C’est bien connu : 2000 arrestations illégales, ce n’est rien en comparaison des feux de poubelles et des vitrines cassées. Rien en comparaison de la « violence et de l’intimidation » des grévistes. Rien en comparaison de la « terreur » étudiante. Et ― surtout! ― rien en comparaison de la bisoune à Joël Legendre.

En ce 15 mars 2015, afin de procéder aux « arrestations annuelles contre la brutalité policière », le SPVM a donc été dans l’obligation d’innover… un peu. Ian Lafrenière, qui en est le porte-parole, explique : « Le juge n’est pas venu dire que les gens n’avaient pas commis d’infractions. Tout ce que ça veut dire, c’est que maintenant, lorsqu’on arrête quelqu’un en vertu de P-6, au lieu d’invoquer l’article 2.1, on donne l’article 6 » [Le Devoir, 16 mars].

Autrement dit : Ian Lafrenière affirme avoir ingénieusement découvert la manière de continuer exactement comme avant…

500.1

Plus précisément, les manifestants ont été arrêtés en vertu du règlement 500.1. Ce règlement est un article du Code de la sécurité routière interdisant d’entraver la circulation lors « d’une action concertée ». Autrement dit, comme toute manifestation entrave nécessairement la circulation, ce règlement permet aux autorités d’interdire tout rassemblement. Il a été invoqué à Québec, à Sherbrooke, à Gatineau, à Montréal… Militant contre ce règlement, Samuel Daigle-Garneau, du Comité de financement pour la contestation de 500.1, est bien conscient que cette lutte, qui implique des centaines d’arrêtés, ne sera pas facile : « Nous menons une campagne de financement pour payer les frais d’avocat pour la contestation de l’article 500.1. Nous avons perdu notre cause en cour municipale et nous avons décidé de la porter en appel. Le procès se déroulera bientôt », dit-il.

Mais c’est une lutte selon lui essentielle : « Aujourd’hui, elle [la police] a tout simplement le prétexte pour arrêter qui elle veut, quand elle veut et il est temps que cela cesse ». Ce petit comité organise des soirées-bénéfices, met en ligne des documentaires et tente, tant bien que mal, d’éveiller la population aux abus que permet un tel règlement. Les manifestants ne pourront cependant pas bénéficier de l’apport de la presse pour diffuser leur version des faits.

Règlements anti-manifestations, lois « spéciales », arrestations de masse, pouvoir accru des services de surveillance : l’étau se resserre et on ne pourra certainement pas compter sur les journalistes pour critiquer cette répression. Même les juges, qui ne sont généralement pas réputés pour défendre les libertés collectives, font un meilleur travail que ceux que l’on désigne comme les « chiens de garde » de la démocratie. Jusqu’où les abus devront-ils mener pour que notre élite provinciale se sorte la tête du poulailler ? « Mystère et boule de gomme », comme dirait Heidegger. La cour aura beau blâmer vertement les policiers pour leurs abus, ces derniers auront toujours un pas d’avance sur la justice. Il ne faut pas l’oublier : ce que condamnent les juges, ce sont des violences qui ont déjà été commises, les coups de matraque qui ont déjà été donnés et l’humiliation qui a déjà eu ses effets.

Si les politiciens et les journalistes ne surveillent pas les agissements illégaux de la police (dommage que cette dernière ne soit pas de confession musulmane…), cette négation de nos droits fondamentaux ne s’en trouvera que renforcée. Et l’état d’exception dans lequel vivent présentement les manifestants pourrait bien devenir permanent.

 

***

Saluons quand même l’exception qui confirme la règle : Josée Legault, « Abus policiers et silence politique », Journal de Montréal, 11 février 2015 : http://www.journaldemontreal.com/2015/02/10/abus-policiers-et-silence-politique

Sur la campagne menée contre le règlement 500.1, suivre les liens suivant :

https://www.youtube.com/watch?v=Diysdx7hW1Y

http://contre5001.wordpress.com

Pour faire votre part c’est ici: https://www.facebook.com/events/1377639632552806/