« De l’orée, Sourions à grandes dents. C’est tout ce qu’il nous reste, nous les loups sans logos, sans figure tutélaire. Des corps affectés à la tâche à venir, obligés de briser le joug des protecteurs carnassiers. Amies, amis, le festin commence ».
― Une meute quelconque
En Nouvelle-France, les villageois de Québec disaient des Montréalais qu’ils étaient des « loups ». Les loups étaient rebelles aux autorités de l’Église et du Roi. Ils couraient les bois, chassaient sans permission, refusaient de participer aux corvées de l’Église, désertaient, se mutinaient, parlaient pendant la messe, dansaient, buvaient, chantaient, faisaient l’émeute contre les hausses de prix ou contre les nouveaux interdits de l’État…
Pour leur part, les loups disaient des gens de Québec qu’ils étaient des « moutons ». Les moutons aimaient la sédentarité. Ils respectaient les commandements de l’Église et de l’État. Ils se montraient travaillants, pieux et révérencieux. Bref, ils aimaient l’ordre ― cette éternelle promesse de quiétude et de morgue.
Aux yeux des hommes d’État et des curés, les loups étaient des « fainéants », des « paresseux », des « sauvages ». La hiérarchie devait d’ailleurs faire la « « guerre à l’oisiveté », à « l’insubordination et à la licence », comme l’affirmaient le gouverneur Jean Talon et ses bergers, en 1670.
Les loups refusaient d’être des sujets de l’Église et de l’État. Sans surprise, certains loups devenaient ainsi tout aussi « sauvages » que les Amérindiens… Car derrière les frontières poreuses de l’État embryonnaire français se cachait une civilisation de liberté, un monde où les désirs n’étaient pas péchés, où l’individu n’était sujet de personne et le commandement inexistant.
Les moutons
Bien entendu, même si la coïncidence est forte, les loups ne sont pas tous à Montréal (encore moins sur le Plateau…) et les moutons à Québec (malgré l’hégémonie radiophonique de quelques bruns moutons à calotte).
Plus encore, les loups sont souvent un peu moutons et les moutons un peu loups. C’est à l’intérieur même de la bête que se livre le combat entre la liberté et la servitude. Le « cœur bas et mou », comme dirait La Boétie, certains moutons suivent le troupeau, jusqu’au jour de la tonte : au son du rasoir, ils s’éveillent alors pour enfin comprendre que le berger n’était pas le sauveur qu’il prétendait être. D’autres, majoritaires, se laissent docilement tondre. Certains en tirent même un certain plaisir… Ils ne s’éveilleront qu’au dernier moment, celui qui précède la mort. Les yeux écarquillés, ils comprendront enfin que leur liberté n’était que celle de se balader dans l’enclos. D’autres encore croiront jusqu’en enfer les fables du berger. Et finiront en tartare.
Reste encore la garde rapprochée du berger, les moutons aboyeurs. « Le peuple a toujours ainsi fabriqué lui-même les mensonges, pour y ajouter ensuite une foi stupide », affirme La Boétie. Les moutons aboyeurs guettent les tentatives de rébellion et les désordres des loups. Ils prennent pour eux les désirs du berger, parlent avec ses mots et mordent tous ceux qui tentent de s’évader de l’enclos. Comme l’affirmait Malcolm X, lorsque le maître est malade, ces moutons serviles se demandent : « Que se passe-t-il, patron, nous sommes malades ? ».
« Bêêêêêêê! », disent les amis verts du Parti conservateur, les directions des institutions scolaires, des « animateurs » radio, la police et les médias de masse. « Bêêêêe! », c’est de la « violence et de l’intimidation », clament-ils en reprenant le spin médiatique et mensonger du Parti libéral. Tous sont solidaires dans l’objectif de nier la parole des contestataires. Ces moutons aboyeurs sont les pires ennemis des loups. Pour eux, l’ordre est sacré, fétichisé comme rationnel et démocratique, il est une fin en soi : « Toute personne empêchant un étudiant d’assister à ses cours par le blocage ou le piquetage étanche est donc dans l’illégalité », dit la Fondation 1625. « Vous aurez beau instaurer le meilleur système de votation qui puisse exister, voter en grand nombre pour quelque chose d’illégal et d’illégitime ne rend pas la chose plus démocratique pour autant », souligne la critique de l’État Johanne Marcotte [son blogue, 17 mars]. « La meilleure manière de lutter contre la destruction de l’environnement et pour une société plus juste, c’est de passer son foutu DEC, son bac, son doc, bref de finir ses études et de s’inscrire dans la société comme adulte compétent », affirme Yves Boisvert [La Presse, 21 mars].
Pourtant, même Claude Ryan, qui n’a pas tout à fait le profil d’un révolutionnaire, affirmait en 1983 que les associations étudiantes ont le droit de poursuivre tous les objectifs que « ses membres veulent démocratiquement lui donner ». Le député libéral désirait ainsi fermer « la porte à des injonctions et à des contestations de toutes sortes qui mettront bien plus de désordre et d’instabilité qu’elles n’apporteront de solutions » [Le Devoir, 23 mars].
La répression est également idéologique. Les prétentieux commentateurs de l’actualité ont cette malheureuse propension à considérer que leur absence d’analyse générale est un gage de justesse et de sagesse. À l’heure où le gouvernement appuie les projets les plus polluants de l’histoire de l’Amérique du Nord et se lance dans des coupures tous azimuts, la prétendue « confusion » attribuée aux revendications étudiantes concernant l’austérité et l’écologie en témoigne de manière tristement éloquente.
Contre les loups
À l’UQAM, ce haut lieu de la « terreur rouge », l’administration a même décidé de suspendre indéfiniment plusieurs militantes et militants. On les accuse d’avoir levé des cours ou d’avoir perturbé la visite d’un sous-ministre. Le simple fait d’avoir « bloqué un couloir » semble être suffisant pour être menacé d’expulsion. Les actions répressives de l’administration semblent d’ailleurs parfaitement orchestrées : certaines accusations concernent des actions commises il y a plusieurs mois, voire plusieurs années. Elles font comme par hasard surface au moment même où la grève est déclenchée. Alors que ces actions furent mises en œuvre par des centaines d’étudiants, elles visent également des militants bien en vue de la communauté, dont plusieurs anciens exécutants élus. Tout indique que l’administration tente d’utiliser son autorité afin de briser le mouvement social qui s’agite entre ses murs… Reste à voir si les étudiantes et les étudiants auront le soutien nécessaire à la fin de cette répression politique.
Les loups devront donc avoir les reins solides. Les coups sont durs, pernicieux, lâches et violents. En 2012, par-delà les conventions élitistes de la bedonnante « démocratie » libérale, les loups ont pris d’assaut la cité et sont devenus des acteurs de l’histoire.
Ils ont réussi.
On ne leur pardonnera jamais…
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Notes
Une meute quelconque, « Loup y es-tu? », texte collectif en ligne ici : http://www.littor.al/2015/03/loup-y-es-tu-le-loup-devore-et-la-subversion-du-pouvoir-souverain/
Texte Collectif, « Présumer de l’illégalité de la grève étudiante : un instant! », Le Devoir, 23 mars 2015, en ligne ici : http://www.ledevoir.com/societe/education/435192/presumer-l-illegalite-de-la-greve-etudiante-un-instant
Malcolm X, « The House Negro and the Field Begro », disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=7kf7fujM4ag
Lorsque j’avais 15-16 ans, dans un cours d’éducation religieuse, la prof (une vieille fille qui maniait le sarcasme et la dérision avec une précision chirurgicale) nous avait demandé de nous décrire par le biais d’une représentation animale. Surprise!! Nous étions toutes et tous, sans aucune exception, des panthères noires et mystérieuses, des tigresses sculpturales ou des louves fidèles au regard incendiaire… Les jeunes hommes se disputaient les « totems » puissants mais, surtout, je me souviens que l’image du loup, le dominant alpha, remportait la palme haut la main.
Étrangement, le chien saucisse, la perruche colorée et le mouton étaient tous absents de notre imaginaire d’ados puérils aux égos surdimensionnés…
Vous savez, Mme D. Les loups, c’est une image. Vous êtes presque drôle avec vos crypto-déductions psychanalytiques.
À une amie qui avait pris connaissance de votre article que j’avais partagé sans commentaire sur mon mur et qui me demandait en blaguant, « les moutons sa jappent? », je lui ai répondu:
D’après l’auteur, la majorité silencieuse seraient des moutons dociles et « les prétentieux commentateurs de l’actualité » (je suppose de droite), des moutons qui aboient.
Les étudiants révoltés seraient des loups, grands défenseurs de la liberté, qui ne font qu’une bouchée de la docilité et des aboiements de tous ces « suiveux » en affrontant le berger (le maître) dans la rue.
Heureusement, que ce point de vue sectaire et scissionniste n’est pas celui des étudiants en révolte, ni le mien d’ailleurs.
Me suis-je bourré, et si oui, je m’en excuse à l’avance.
J’ai repris l’image puisque le parallèle avec le Nouvelle-France, Québec et Montréal était drôle. Et aussi parce que le loup est le symbole de la contestation en 2015. Il est toutefois vrai que notre élite nous traite en moutons, et qu’une partie de nous-mêmes aime ça et reproduit ce comportement. J’ai toutefois ajouté que les loups étaient un peu moutons et l’inverse, de même que c’est en chacun de soi que se livre la bataille entre le conformisme et la liberté.
Rien de sectaire ou de scissionniste (!) l’à dedans.
Quand aux moutons qui aboient, ils peuplent effectivement la classe politique et médiatique québécoise.