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Renverser quelques renversements

« Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications »

― Albert Camus, L’Homme révolté

Des  manifestants « malintentionnés » ont projeté une « flèche ou une fléchette » à l’aide d’un « arc ou d’une sarbacane » sur un policier « qui avait comme seule protection un casque et une matraque », affirme  le SPVM, l’Agence QMI.

Aucun témoin, aucun accusé et impossible de voir la dite flèche (même en photo) « puisqu’il s’agit d’un élément de preuve », souligne l’Agence QMI, le SPVM [TVA, 30 mars].

Ça c’est de la propagande efficace! du grand journalisme! Comme par hasard, la crypto-nouvelle suit de quatre jours le crypto-événement et arrive au moment précis où la police de Québec est vertement critiquée pour sa violence et ses abus.

Manifestement, les journalistes n’ont pas retenu la leçon de 2012: « Les fausses armes saisies étaient destinées à une répétition de théâtre » : http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/montreal/archives/2012/06/20120612-191005.html

Prochainement sur vos écrans: un policier blessé par un tomahawk ensorcelé. Non, tiens, mieux: un policier blessé par une étoile de ninja ― yah! ― avec en prime un courriel du dragon témoin de cet « affrontement » pendant lequel les policiers « ont dû intervenir » afin de sauver la princesse « prise en otage » par des « communistes de l’UQAM ».

Contester l’ordre et le pouvoir donne du relief à la lâcheté mensongère régnant en notre société. La grève étudiante en cours en fournit encore une fois la preuve. Tellement qu’on se doit de rectifier quelques faits élémentaires et de renverser quelques renversements spectaculaires.

Renversement  I : la violence et l’intimidation

Il s’agit du plus lâche des mensonges. Un mensonge qui fut le résultat de la campagne de propagande du Parti libéral du Québec et qui est toujours relayé par les journalistes sans qu’aucune preuve ne soit mise de l’avant ― sinon quelques courriels dont la source n’est même pas vérifiée.

Disons-le puisqu’on en connait quelques-uns… Les grévistes sont doux, respectueux, non-dogmatiques, ouverts et courageux. Leurs assemblées donnent d’ailleurs lieu à des débats d’une qualité incommensurablement supérieure à ceux que nous propose notre société unidimensionnelle. On respecte les tours de parole, on se garde de trop montrer d’enthousiasme ou de colère (il est généralement interdit de taper des mains, histoire de n’« intimider » personne), on interdit les procès d’intention, on voit à ce que tous et toutes aient le droit et le temps de s’exprimer…

Un Benoit Dutrizac, qui aime traiter les étudiants de « morveux », de « fascistes » ou de « terroristes » ne parlerait pas deux minutes dans une telle assemblée sans être rappelé à l’ordre. Ses propos ― et pour cause!― seraient jugés méprisants et démagogiques.

Renversement II : les bourreaux et les victimes

Si la jeune Naomie Tremblay-Trudeau a été défigurée par un policier, la vraie question c’est « qu’est-ce qu’elle faisait-là ? », dit Régis Labeaume. Une question objective relayée par Jérôme Landry, dans les pages du Journal de Montréal. Éric Duhaime soutient pour sa part que la faute revient en fait à… l’ASSÉ (!) et à Amir Khadir (!!), qui devraient être poursuivis par la victime (!!!). Dominic Maurais affirme quant à lui que les chiens (les vrais) qui ont mordu les manifestants « méritent un bon gainsburger (…) Non seulement les policiers font leur job, mais également les canines. C’est un message qui est envoyé. Don’t mess around. ». Et il poursuit son émission en écoutant des chansons parlant de chiens (toujours les vrais), histoire de fêter un peu.

Lorsque les étudiants et les syndicalistes demandent plus de justice sociale, on les met face à leurs « responsabilités individuelles »; lorsque les sbires de l’État agissent de manière violente ou illégale, on renverse les rôles, et ce sont désormais les victimes ou le contexte ― enfin n’importe quoi sauf celui qui a commis la dite action ― qui deviennent « responsables ».

Prenons garde. Ce type de raisonnement parfaitement stupide et tautologique (on devrait dire : tragi-comique) pourrait nous faire tourner la tête jusqu’à ce qu’on vomisse le peu de démocratie qui reste en ce bas monde.

Renversement III : un message confus

Les journalistes sont de drôles de patentes… Dans une société normale, ce sont eux qui auraient à expliquer les revendications des grévistes. Or cela semble impossible. Pourquoi? Parce qu’ils ne comprennent rien ― ou alors ils font semblant de ne rien comprendre.

Des liens entre l’éducation et l’austérité? C’est confus.

Des liens entre la pollution industrielle et le néolibéralisme? C’est re-confus.

Une grève sociale? Comprends pas.

Manifestement, les journalistes ont tendance à considérer que la minceur de leur analyse devrait être généralisée à la société dans son entièreté. En ce sens, c’est peut-être bon signe qu’ils ne comprennent rien.

Renversement IV : les bébés gâtés

Ce mensonge est certainement parmi les plus absurdes. Alors que les grévistes sacrifient de leur temps et de leur énergie pour faire avancer des idées collectivistes, alors qu’ils font face à une répression policière et institutionnelle incroyablement violente, ce sont eux qui seraient des « bébés gâtés » et des « enfants rois ».

Non pas les carrés verts qui désirent que « je-me-moi » puisse traverser les piquets de grève; non pas les militants conservateurs de la Fondation1625 qui pleurnichent sur les épaules des autorités parce que « je-me-moi » veut terminer sa session; non pas les « pauvres-petits-commerçants-du-centre-ville-pris-en-otage » qui se plaignent parce que « je-me-moi » fait de moins bonnes affaires…

Vous avez tout faux.

Les grévistes, semble-il, doivent tendre les deux joues à la fois. Les « enfants rois », de nos jours, ont changé de camp. Ils défendent désormais l’égalité et la révolution sociale. Ils sont à la fois « individualistes » et « communistes ».

Soyons patients : le sang finira par monter à la tête de ces haut-parleurs de la médiocrité.

En attendant, continuons de les effrayer, nous sommes sur la bonne voie.

*

Pour un bel exemple de mauvais journalisme se faisant le relai des autorités, cliquez ici : http://trouble.voir.ca/trouble-en-vrac/un-etudiant-que-nous-avons-invente-ecrit-a-sophie-durocher-vous-ne-pourrez-pas-croire-ce-qui-lui-arrive-ensuite/ ).

Pour un autre exemple, cliquez ici http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/montreal/archives/2015/03/20150330-104352.html

Encore un autre: http://ici.radio-canada.ca/regions/quebec/2015/03/25/006-manifestation-etudiante-police-quebec-arrestations.shtml