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Lettre ouverte à nos discordances

Je ne peux pas dire que je me réveille ce matin dans un Québec déchiré par sa multitude, car il y a plusieurs mois, déjà, que des déchirements sont manifestes. Ce que je peux dire, c’est que je me réveille dans un Québec meurtri par sa plus vieille psychose, cette plaie identitaire qui fait de la province une société aux différences irréconciliables.

Je vois surgir cet antique visage du discours de la haine, notre xénophobie ridicule qui nous pousse dans nos pires retranchements de rupture entre anglophones et francophones. Nous cherchons à blanchir nos mains du sang qui les recouvre en blâmant l’Autre. Alors que nous sommes tous et toutes responsables, comme société, des événements d’hier.

J’ai envie de vous dire que je suis l’enfant d’un Québec pluriel. Que mes langues maternelles sont à la fois l’anglais et le français, l’une et l’autre indissociable de ce que je suis. Que tout discours contre l’une ou l’autre de ces facettes est un discours contre moi. Nous sommes un peuple riche de culture qui s’enferme dans les discours de peur et de haine.

On me parle du racisme, mais je ne vois que des racismes. Des petites haines pourtant explicitement exprimées lors de la commission Bouchard-Taylor, il y a quelques années, par exemple. Avons-nous oublié si vite ce fond obscur de notre identité qui revient par bribe, comme un affect qui échappe à notre refoulement collectif, chaque fois qu’il s’agit d’aborder des questions comme la langue, la culture, l’immigration, …? Nos racines identitaires sont enchevêtrées de refus de la diversité et de repliement sur soi.

On me parle des éditoriaux des grands médias anglophones fédéralistes qui confortent le mépris des francophones. Ça me ramène, il y a quelques années, dans mon cours de littérature québécoise, à l’UQAM. En regardant le corpus d’œuvres au programme, strictement unilingues francophones en pure laine tricotée serrée, je m’insurge. Comment se fait-il qu’aucune œuvre québécoise anglophone ou migrante ne soit au programme? Cette simple question m’a valu les foudres de la classe entière, j’étais devenue l’ennemie révisionniste d’un peuple unidimensionnel, dont il ne faut protéger qu’un seul aspect de la culture. Je ne nie pas le racisme, je dis qu’il est pluridimensionnel et que nous en portons tous et toutes les stigmates.

J’entends qu’il est question d’un geste politique, d’un attentat politique, mais c’est un geste psychotique. Qu’un geste psychotique ait une portée politique, soit : tout crime a une portée politique, tout crime dresse le portrait d’une blessure profonde de notre « vivre ensemble ». Il ne faut pas pour autant se lancer dans une chasse aux sorcières où s’entremêlent tous les débordements. Pointer les anglophones, les séparatistes, les hommes, les étudiants, la gauche libertaire n’est pas seulement absurde et contradictoire, mais cela n’arrangera rien. Il faut passer outre les émotions vives du choc, prendre une pause, un recul et questionner le contexte social qui a favorisé une telle violence. Nous vivons une époque de malaise, nous devons veiller à ce que ce malaise serve de levier pour nous hisser au-dessus du marasme au lieu de nous enliser plus creux.

Récupérer un geste psychotique pour en faire un cheval de bataille politique et justifier une identité définie à la négative témoigne peut-être d’une psychose encore plus parlante que le geste lui-même.

Je me réveille ce matin dans un Québec malade et j’ai mal de vous entendre. En épinglant mon carré rouge, ce matin, j’ai pensé à tous ces mois de violence subie dans une lutte pour la nécessité d’un accès démocratique aux études. J’ai pensé à ce qui nous a unis dans nos différences pour affirmer ensemble notre désir de justice sociale et d’équité. J’ai pensé aux déchirements politiques soulevés par ce mois de campagne électorale pour rugir dans un résultat d’élections à l’image de nos solitudes et dans cet attentat à l’image des terreurs qui nous éloignent. J’ai pensé en épinglant mon carré rouge ce matin, que nous avons encore beaucoup à faire pour nous comprendre et bâtir un monde meilleur.

J’ai envie de dire à tous ceux et celles qui m’ont blessée dans les derniers mois que je vous pardonne et que je vous aime. J’ai envie de vous demander pardon. J’ai envie qu’on efface toute la virulence et qu’on trouve un chemin sur lequel nous pouvons tous et toutes marcher ensemble. J’ai envie que nous oublions la haine et les divergences pour nous laisser envahir par l’empathie et la compassion. Nous sommes aujourd’hui 8 millions de Québécoises et de Québécois blessé-e-s dans notre multitude. Nous sommes unis dans cette blessure, assurons-nous de la panser ensemble pour ne plus jamais laisser de tels actes être possibles.