Pour reprendre les mots de Slavoj Zizek, la violence n’est pas un accident du système, elle en est le fondement.[1] Loin de moi l’idée d’expliquer, de comprendre ou de justifier les attentats de Boston, la violence est inexcusable, mais elle se situe toujours déjà quelque part avant. Outre le spectacle malaisant des effusions de sang esthétisées par les bulletins de nouvelles en temps réel et des commentaires désespérément racistes se faire aller à coups de médias sociaux, c’est la chasse aux sorcières qui est déclarée ouverte. À voir comment, avant même d’avoir un coupable sous la main, on cherche à récupérer l’horreur pour en faire un instrument du pouvoir me sidère et me le fait comprendre comme un double drame.
Il n’y a rien de nouveau dans la forme de l’attentat à la bombe. Pourtant, l’expression « attentat domestique » circule comme une forme nouvelle et des chroniqueurs à la Martineau se permettent de lire dans les tasses de thé en disant que « tout porte à croire que les attentats de l’avenir ressembleront à ça. » [2] Il n’y a rien de nouveau, non plus, à user de l’horreur pour ostraciser ceux et celles qui critiquent l’ordre établi ou justifier la marginalisation systématique de minorités. Toute domination cherche à préserver son pouvoir. Et c’est ce qui permet à Martineau de swinger, une fois de plus, sa charge contre les « carrés rouges ». En parlant de la radicalisation des discours religieux et politiques, Richard y va d’un « de plus en plus de gens ont recours à des actes illégaux pour faire avancer leurs idées. » Et voilà qu’il enfonce le clou du délire paranoïaque : « On lance des roches. On pète des vitres. On enfume le métro. […] Certes, ce ne sont pas des actes terroristes. Mais ça participe de la même logique. » D’un coup de langue et de baguette magique, Martineau peut maintenant justifier qu’on judiciarise et criminalise tous les « radicaux » qui s’en prennent à l’honnête population des honnêtes gens qui pense honnêtement comme lui.
L’ennui, c’est que c’est un leurre : l’attentat à la bombe date des années 1800 et ne représente en rien les attentats de l’avenir. Qu’on pense au massacre de Haymarket square, à l’attentat de Piazza Fontana, ou même, plus près de nous, à la tragédie aérienne de Sault-au-Cochon, par exemple, il s’agit toujours de blâmer d’abord un groupe considéré comme la gauche radicale de l’époque. Aussi, le discours dominant se répète. Il stigmatise et diffame ceux et celles qui le fragilisent avant même de connaître l’identité des coupables. À la limite, il n’a que faire des véritables coupables, pourvu qu’il puisse instrumentaliser les événements de manière à se préserver dans les affres de son idéologie. Le discours dominant voudrait bien que la gentille et soumise population craigne ces vilains anarcho-étudiants-féministes-immigrants-criminels péteux de vitres qui se nourrissent de chair de bébés morts tout en martyrisant d’innocents chatons, pour s’assurer que ces discours marginaux ni ne gagnent en popularité, ni ne grugent quelques miettes de pouvoir qui effriterait sa domination en gagnant, ô malheur, des droits et libertés à la sueur de leur front. Ils sont, ô combien, irresponsables et narcissiques de vouloir penser un monde meilleur, criminalisons-les donc, eux qui sont le péril de notre innocence, ou rétablissons la peine de mort avant qu’ils ne déciment toutes nos belles valeurs, grand Dieu! Béni soit le capitalisme. La morale bourgeoise n’a de cesse de prôner un régime de terreur sous l’égide de la loi du plus fort, mieux vaut donc écraser ces imbéciles qui pensent que c’est la solidarité et l’égalité dans les rapports mutuels qui devraient être au centre de nos comportements.
Il est où votre devoir de réserve, hein, M. Martineau, il est où ? Vous qui nous disiez, il y a quelques jours, combien il est important d’assumer le devoir qui accompagne chacun de nos droits.
« En devenant anarchistes, nous déclarons la guerre à tout ce flot de tromperie, de ruse, d’exploitation, de dépravation, de vice – d’inégalité en un mot – que [la Loi, la Religion et l’Autorité] ont déversé dans les cœurs de nous tous », écrivait Kropotkine. [3] Or, le spectacle de la domination 2.0 n’a certainement pas dit sont dernier mot, bien au contraire, elle radote et Martineau cancane avec elle.
[1] ZIZEK, Slavoj, Violence : six réflexions transversales : essai
[2] MARTINEAU, Richard, « Terrorisme 2.0 » in Le Journal de Montréal, 16 avril 2013
[3] KROPOTKINE, Pierre, La morale anarchiste
Ce qui me tue dans cette histoire: les gens vont trembler, la classe politique va se raidir et personne parmi les bien-pensants n’osera plus critiquer P-6. C’était de voir tous les journalistes aujourd’hui à RC s’interroger sur la sécurité dans les prochains marathons. Comme si courir était un acte politique… Martineau va aider à garantir un ordre inflexible: celui de la sécurité dépassant de loin le besoin de libre expression
La violence, c’est la violence. Pour vous, il y a peut-être une diffėrence (la « bonne » violence viendrait des « bons étudiants » et autres opprimés de la Terre et serait pardonnable?) mais pour moi, non. Martineau a raison: il ne cite pas Kropotkine dans un texte pédant, mais il a le mérite de ne pas être hypocrite comme vous.
Cher Claude,
Tout d’abord, j’aimerais vous remercier de me donner l’opportunité d’être pédagogique ce matin. Vous nous dites que la violence, c’est la violence. On vous remercie chaleureusement pour cette information. Vous auriez pu dire « quand il pleut, il pleut » ou ce qui serait plus approprié à votre situation « quand tu es idiot, tu es idiot » ou « l’idiotie, c’est l’idiotie ».
Si vous saviez lire autre chose que Martineau, vous auriez compris que Marie-Christine ne fait aucunement de distinction entre bonne violence et mauvaise violence. Nous sommes toutefois tous heureux de savoir que vous ne le faites pas non plus: on se sent déjà plus en sécurité.
Finalement, vous y aller avec un argument de poids: « Martineau a raison ». C’est vraiment ici que vous m’avez convaincu. Vous avez raison, il ne cite pas Kropotkine, il préfère citer Jean Laberge ou Éric Duhaime: à chacun ses philosophes.
Je suis un peu inquiet par contre de constater que vous connaissez assez Marie-Christine et M.Martineau pour savoir qu’elle est hypocrite, alors que lui non. Peut-être avez vous des pouvoirs magiques que je ne possède pas. Enfin, Marie-Christine, contrairement à Martineau, n’a pas l’hypocrisie de faire passer du racisme et de l’intolérance pour du « gros bon sens ».
Allez! Retournez lire votre Journal de Montréal, des textes comme celui-ci sont trop compliqués pour vous.
Bonne journée!
Martineau est un imbécile. Mais on peut l’imaginer gloussant de plaisir au fait que les blogueurs du voir (vous, Cyr et Day) sont incapable faire un billet sans parler de lui et stimulez le nombres de clics sur son blogue.
Surtout pour un ancien employeur avec qui il est en conflit. Le pire c’est que ni le blogue de Martineau ou le votre sert à quelque chose. Vous prêchez tous aux convertis.
Le lectorat du jdm déteste les gauchistes. Celui du voir déteste Martineau.
C’est improductif des deux bords.
Mais laisser ce commentaire, ça c’était productif!
Et le vôtre?
Ça devient circulaire, les amis. Mais bon, Bruno, dans la vie, j’écris des romans, je suis donc parfaitement inutile à la société. Mais ce qu’il y a de bien avec l’inutile c’est qu’il est utile à définir l’utile. Ainsi dépasse-t-on les contradictions.
Ce qui me fait royalement chier, c’est que Martineau ne représente pas la droite. Pas plus que Marc-André Cyr, par exemple, représente la gauche.
Mais malheureusement, ce ne sont que les deux extrêmes, comme les deux compères que je viens de nommer, qui s’engueulent et se prennent au cheveux tout le temps. Et inévitablement, les deux camps en viennent à penser que l’autre bord est peuplé de paranos extrémistes. Et par conséquent, leurs cercles sociaux respectifs attirent les gens qui leurs ressemblent. Ce qui réconforte leurs positions respectives.
Et on ne peut que constater que la frange plus nuancée et pausée de la population devient de plus en plus inexistante pour eux.
Et pourquoi mademoiselle Lemieux-Couture croyez vous que je trouve les écrivaines et auteures inutiles?
Ce n’est vraiment pas le cas. Les gens qui pensent que les écrivains sont des parasites inutiles ne sont même pas capable lire une boite de céréales.
Je ne suis pas parfait mais ce n’est pas mon cas.
Personne n’est à même de représenter universellement le reste du monde. (C’est bien là un des problèmes de la « démocratie » représentative. Or, ce n’est pas le sujet ici.) Mais, en croyant pouvoir énoncer à notre place ce que l’on pense, dans un camp comme dans l’autre, vous participez de ce mode qu’est la représentation. Ce qui fait toute l’ironie de votre commentaire.
Outre cela, je n’ai jamais dit que vous trouviez les écrivaines et auteures inutiles. Je m’assume, tout simplement, dans mon improductivité. Il n’y a rien que j’écrive qui soit utile ou productif et ça me va parfaitement.
Je pourrais même ajouter, à ce débat, que tout art en soi est inutile puisqu’il est, au préalable, l’interprétation d’un milieu, d’un environnement perçu par un artiste qui en dégage sa réalité. Belle ou non, c’est selon les goûts.
Ainsi, est-ce sur cette constatation de l’inutilité de l’art et, par contamination, de maints artistes, de gratteux de guitares de tout acabit, de peintres du samedi et de danseurs en goguette et de sculpteurs et de photographes et de théâtreux mal dans leur peau, de pouètes pouet pouet et autres bien-être soucieux que les détracteurs des artistes se basent pour s’objecter à l’octroi de subventions pour le milieu artistique qui, pourtant, est financièrement rentable et fait vivre plus d’un individu.
Ce qui est inutile peut-il être viable? On peut, par exemple, trouver une utilité à un livre qui ne nous atteint pas; on peut le caler sous un meuble que l’on veut stabiliser ou bien creuser ses pages encollées pour y cacher nos secrets. On peut le transformer à notre guise; le lire afin de se rassurer qu’il n’est qu’un feu de paille ou bien faire un papier d’allumage et voir s’envoler, se dissiper ses volutes d’encre.
En ce qui concerne la productivité, alors non, créer une œuvre artistique n’est, à mon avis, pas productif quoique cela peut s’avérer rentable mais rarement l’artiste en bénéficiera. Pour être productif, l’artiste ne devrait que se consacrer qu’à son art. Lorsque l’on sait que 9% des écrivains y parviennent et qu’une poignée de peintres-sculpteurs/photographes, que la majorité des comédiens ne vaut pas un »clou » alors c’est habiter un fantasme.
Quant à vous mademoiselle MCLC, laissez donc le soin à vos lecteurs de juger de l’utilité de vos textes (de magnifiques portraits sociaux), qui ont émergé de toutes vos solitudes.
Bonjour,
Martineau vit «hors de l’Histoire», il est de ceux qui croient qu’elle aurait atteint sa «fin», que la démocratie-libérale (voire néo-conservatrice) est l’aboutissement ultime de l’aventure humaine qui se résume autrement dit ainsi: l’émancipation des esclaves face aux maîtres résultant dans l’élaboration d’une société pacifiée qui «sublimerait» les désirs de reconnaissance des individus, préjugés comme moteur de violences indésirables à travers l’activité économique, la science et le spectacle.
Le désir de reconnaissance se traduisait autrefois (dans le pré-moderne) par une irrationalité identitaire, impérialiste ou autoritaire. Maintenant, dans la démocratie libérale, ces phénomènes serait «traduits» dans le jeu du commerce et de l’accumulation de capital ou de prestige, version pacifiée de cette volonté de puissance. D’où sa crainte des «extrémismes», de l’idéologie, de la religion, du nationalisme, qu’il perçoit comme moteurs d’instabilité politique, en bref comme une menace au «american way of life». Croyant que l’Histoire est arrivée au bout de son chemin et qu’il n’y a pas de meilleur système d’organisation sociale que le libéralisme il prétend de ce fait avoir quitté l’idéologie. Ce qui est absolument prétentieux et faux, car toute pensée politique est indéniablement idéologique. Il n’y pas d’état naturel d’organisation politique, seulement des systèmes plus flexibles ou plus performants, plus égalitaire ou plus libres commercialement.
Donc en conclusion, couvert du manteau de la tempérance post-idéologique Martineau défend bel et bien une idéologie, le néo-libéralisme, et ce même si il s’en défend. Alors cessons de prétendre qu’il parle le «gros bon sens», ou qu’il parle la langue d’une majorité silencieuse. Il parle plutôt la langue idéologique de la bourgeoisie, qui ne peut que défendre ses propres intérêts. Il s’agit d’un «Uncle Tom» qui s’accommode bien du jeu du Capital et qui refuse de mordre la main qui le nourrit de peur de se faire fouetter.
Je suis de ceux qui croient que l’Histoire n’a pas terminé son chemin et qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour moderniser le monde.
Tout à fait, d’ailleurs, si l’on regarde notre situation mondiale, sous différents angles, bio-psycho-socio-philosophique, l’on se rend compte que mis à part le savoir technique et scientifique, dans les mains d’une minorité, nous sommes loin d’être civilisés et éduqués…alors quand on dit de notre monde moderne et des individus qui la composent, qu’ils sont évolués, ça ne résiste pas à une analyse le moindrement critique…
Une petite lutte médiatique entre narcissisme interposé croyant avoir le dernier mot à défaut d’avoir une lutte des classes !
En réalité le passage à l,’acte à Boston pose le dilemme suivant: nos explications par les intentions, les croyances, les désirs, la conscience sont imparfaites, sources de confusions et de contradictions mais ne pouvons pas ou ne voulons pas y renoncer, pour toutes sortes de raisons, les raisons morales n’étant pas les moins importantes…
Comme nous ne connaitrons pas le fin mot de cette histoire. Il est plus important d’agir sur les effets politiques, juridiques du geste de Boston sur nous