«Le pardon est fort comme le mal, mais le mal est fort comme le pardon.»
– Jankélévitch
Pour moi, les Fêtes ont toujours eu l’aspect d’une mauvaise blague. J’avais trois ans la première fois que j’ai voulu rétablir les faits au sujet de Noël. J’ai fait la file toute seule dans le village des clichés en carton-pâte d’un grand centre d’achat de la ville de Québec. (Je suis originaire de Lévis.) Une fois arrivée sur les genoux du Père Noël de service, j’ai arraché sa barbe devant tous les autres enfants en hurlant au scandale : « Les adultes nous mentent. »
En grandissant, j’ai compris que les adultes se mentent d’abord à eux-mêmes. Devant ces tables trop pleines de nourritures aux couleurs pas mangeables, le partage inégal des richesses devient indécent. Ils se seront déculpabilisé le judéo-chrétien en larguant quelques cannes à la guignolée, avant de s’en laver les mains. On oubliera aussi que la montagne d’appareils électroniques sous nos beaux sapins est assemblée par des enfants qui souffriront de paralysie avant l’âge de trente ans à cause des matériaux chimiques dans lesquels ils se tuent vingt heures par jour. On passera outre ces usines à vêtements qui s’effondrent au Bangladesh, où on crève de déshydratation et de surtravail pour quelques roupies, c’est qu’il faut se mettre sur son trente-six. Exit l’exploitation, la misère, la pauvreté. Exit les guerres, on les mettra sur pause à minuit. Exit les catastrophes et les drames humains, sauf si c’est pour faire oeuvre de charité, après tout, l’année fiscale se termine le 31. Exit les mononcles cochons, les remarques sexistes et la misogynie ordinaire, fais pas ta féministe, c’est le temps où tout le monde il est heureux d’être ensemble et de se tâter le bourrelet.
Noël, c’est le temps d’une paix, pis tous ceux et celles qui n’arrivent pas à se le rentrer dans la tête à grands coups de pelle passent pour des Grinchs maussades, solitaires et rabats-joie. Quand tous les super-über-hyper-méga-marchés de l’occident se peinturent la façade avec la magie des Fêtes, il faut manquer de son coeur d’enfant pour pas s’émerveiller devant la surface en paillettes des choses… Alors, pour ne pas être le Scrooge de service, on met du fard sur nos peines, on laque nos colères et on vernit nos blessures. C’est le temps de rapiécer ce qu’il reste de notre courtepointe sociale et familiale, un bref instant, en attendant que les masques s’affaissent.
Or, cette paix préfabriquée aux accents de valeurs chrétiennes, noyée dans le lait de poule et le Tia Maria, corrompt la possibilité même de pardon en reléguant l’impardonnable sous les bancs de neige, qu’il se fonde dans l’oubli avec le printemps. Pardonner, ce n’est ni taire ni oublier. L’oubli retire le temps du pardon. Le silence ou ce qui se tait dans ce que l’on dit s’ajoute à la violence de l’offense, il attise ce qui ne passe pas. Pardonner, c’est peut-être aller au plus près de l’insurmontable, car il y a lieu de se demander, comme Derrida, « si la possibilité du pardon […] ne se mesure pas à l’épreuve, justement, de “l’impossible”. » (Derrida, 2012, p. 21) C’est dans cette impossibilité, dans son rapport à l’impardonnable, que le pardon trouve son sens, sa difficulté, sa hauteur, son ouverture vers l’autre.
L’impardonnable, c’est ce que m’a appris 2013. Année de petites agressions, de violences intimes, de dialogues rompus, d’hystérie des réseaux sociaux, de divisions irréconciliables, de racisme ordinaire, de sexisme acceptable. En ce sens, 2013 se situe en parfaite continuité avec 2012, quoi qu’on en pense lorsqu’on voit nos camarades de lutte se haïr à grands coups de charte. 2013 a été ce qu’il reste après l’éclatement : le déséquilibre du monde. L’épuisement des formes de la crise dans l’épilepsie du quotidien. La déception et le sentiment d’impuissance devant l’éternel retour du Même politique. L’essoufflement des grandes luttes dans les petites trahisons.
L’invention de la haine n’a même plus pris la peine de se dissimuler. 2013 a été pleine d’irréconciliables : des attaques répétées à nos droits fondamentaux à la répression policière, de la censure scientifique aux crises environnementales, de la corruption systématique aux inégalités qui se creusent dans les politiques d’austérité, du désengagement au mépris, etc. D’autres auront fait des bilans plus précis, mais ce que je cherche à dire, c’est que chacun, chacune porte un peu plus de failles. Ce qui m’aura fait le plus mal, cette année, année où je me suis enfin réconciliée avec ma part féministe, aura été de constater la systématisation du mépris des femmes. Il y a le mépris contre lequel on a l’habitude de lutter : celui de la publicité, celui de la culture de masse, celui des discours antiféministes, celui de politiques infantilisantes, celui de la chosification de nos corps qui nous dépossède de nous-mêmes, entre autres exemples. Mais, beaucoup plus insidieux et douloureux, il y a le mépris sournois de ces individus dits de gauche qui se font les grands défenseurs de la condition féminine sur l’espace public, mais qui, dans la sphère privée, contemplent passivement la violence dont sont l’objet les femmes qui les entourent, et ce, quand ils ne sont pas carrément la source de l’agression : vous aurez été ma part d’inacceptable.
Cependant, peut-être est-ce là, justement, dans le déchirement, dans l’irréparable, dans la persécution des ruines que se trouve l’éventualité de se (re) donner lieu mutuellement. Selon les mots de Hannah Arendt : « [Le] pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible – à savoir défaire ce qui a été fait – et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin ». En attendant toutes les petites fins du monde, c’est à même nos blessures que s’ouvriront de nouveaux combats.
Alors que j’arrivais à la vingtième année de mon passage sur la planète, une comédie satirique de Jean Yanne prenait l’affiche dans les cinémas. Cela s’intitulait: «Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». C’était en la déjà lointaine année 1972.
Plus de quarante ans ont passé depuis.
Avec des profusions de très bonnes raisons pour être d’un cynisme sans bornes tout au long de ce parcours marqué par les stoïques tic-tac mesurant le passage du temps. De petites nouvelles réjouissantes par-ci, plus rarement de grosses par-là. Tout comme à l’inverse d’assommantes grosses mauvaises nouvelles en quantité apparemment inépuisable. Et l’imperturbable tic-tac qui poursuit sa lente procession.
Cette constatation faite, quelle attitude adopter? Faudrait-il ne plus voir que le côté sombre de ce monde, et même blâmer l’occasionnel et bien temporaire décrochage venant de temps à autre marquer un petit répit? Toute pause est-elle nécessairement coupable?
Depuis vos toutes premières interventions ici, Mme Lemieux-Couture, on vous sent inconfortablement coincée dans un bas fossé hors route, comme si un dérapage d’une chaussée trop glissante vous avait un jour immobilisée dans le décor. Coincée depuis lors à ronger votre frein. L’idée de remonter un moment sur la grand-route de la vie ne vous dit rien qui vaille?
Mais je suis pour ma part un ours. Je maugrée à répétition contre des tas de trucs qui ont souvent l’heur de m’exaspérer. La bêtise qui nous entoure me sidère. Comment concilier nos formidables réalisations (dans tous les domaines) et cette idiotie chronique qui paraît affliger depuis toujours tant d’entre nous? Ce monde est ambivalent. À la fois plein d’espoir et terriblement décourageant.
Et rien ne changera jamais. La médaille aura toujours deux faces.
Alors, tâchons malgré tout de «Faire contre mauvaise fortune bon cœur». Et même si ça n’aide pas nécessairement autant qu’on le désirerait, par contre ça ne peut pas nuire. De l’avis d’un vieil ours préférant de loin le calme relatif de son antre aux perpétuelles turbulences extérieures.
Et que la brève pause du temps des Fêtes puisse être marquée à l’enseigne de l’espoir d’un pas dans la bonne direction. Même un tout petit pas. Car c’est de ce côté qu’il faut mettre le cap, sur notre capacité à «espérer» et en bout de ligne peut-être avancer un peu.
Quant à plutôt chercher à «pardonner», cela équivaut à un repli sur soi qui ne déboucherait sur rien d’utile. Même si la chose s’avérait praticable…
(Quel sale temps il fait… Jour après jour. Grrrr… Assez. Je retourne m’allonger. Hibernation jusqu’au printemps. On fêtera sans moi. Meilleurs souhaits à tout le monde. Et essayez de ne pas trop faire de bruit, hum…? Merci.)
Cher M. Perrier,
J’aimerais vous réconforter quelques peu, si cela est possible, en vous disant qu’avoir une perspective critique sur le monde qui nous entoure ne nous empêche pas de vivre. Au contraire, cette pensée critique mise en action nous permet de vivre mieux.
Au plaisir!
Plusieurs points agacent dans ce texte.
Mais de quel pardon parle-t-elle?
Ce papier tient plus du pamphlet d’adolescent-e frustré-e marxisé que d’une véritable critique de la surconsommation du temps des fêtes.
Outre l’aspect judéo-chrétien que la traditionnelle position marxiste rejette, il y a l’aspect familial de Noël. Il y a des gens qui ne peuvent se voir qu’au temps des fêtes, lesquelles connotent tout ce rassemblement qui réchauffe les cœurs. Si Mme Lemieux-Couture n’y voit que la décadence de l’occident, c’est que sa propre vision de Noël est altérée.
Fêter Noël en famille n’arrêtera jamais les conflits majeurs. Ces derniers ne sont pas tous absolument créés à la suite de l’avarice des bourgeois-capitalistes-exploiteurs. Mélanger la violence dans le monde, la lutte des classes, Noël et la misère humaine démontre son bas niveau de connaissance en politique et son argumentation incohérente, malgré des citations un peu partout de gens qui lui semblaient importants.
Vous devriez plutôt dire que plusieurs points « vous » agacent, au lieu d’universaliser votre propos. Ce serait plus juste.
C’est intéressant de constater qu’un point de vue différent du vôtre sera considérer comme celui d’un « adolescent-e frustré-e marxisé ». Comme il s’agit d’une réflexion sur le pardon, et non sur la surconsommation, — valeur sommes toutes chrétienne (et, comme je ne l’ai pas rejetée, peut-être ne suis-je donc pas aussi « marxisée » que vous le prétendez?) —, je me vois dans l’obligation de déduire votre manque d’aisance en compréhension de lecture et votre piètre capacité d’interprétation.
Ça me rejoint. Mon article à ce sujet.
http://www.lametropole.com/blog/patrice-berthiaume/le-mythe-de-l-imaginaire
Très intéressant. Merci.
Oui c’est vrai, la fête de Noël est devenu un monstre commercial qui enseigne aux enfants une culture matérialistes dégueulasse et encourage la surconsommation et tout et tou tje suis 100% d’accord avec vous.
Mais je ne sais pas pourquoi, j’apprécie toujours les moments ou j’ai le temps de retourner dans mon patelin natal (venant d’une région éloignée, je ne m’y rend pas souvent) pour revoir famille et amis que je n’ai malheureusement pas le temps de voir autant que je le voudrais.
Il y a des fêtes dans chaque société humaine, avant la célébration de Noël, a peu près toutes les culture ont fêter les solstices d’hiver.
Oui c’est récupéré par les entreprises (quel secteur de nos vie ces dernier n’ont pas envahi?), mais j’ose encore apprécier le temps passé avec la famille et les amis durant ce temps de l’année.
» J’avais trois ans […] j’ai arraché sa barbe devant tous les autres enfants en hurlant au scandale : « Les adultes nous mentent. » »
Hahahaha, quel enfant épic! Ça devait être absolument génial à voir! 😀
Intéressante réflexion, merci.
J’aimerais connaître le ou les événement(s) qui sont sous-entendus par le « mépris sournois de ces individus dits de gauche qui … » ?
Je faisais référence à des expériences personnelles et à des témoignages de proches qu’il n’y a pas lieu de citer ici, mais qui représentent, certes, une réalité plus générale.
Martine Delvaux a traité admirablement du sujet dans un article sur la lutté étudiante, ici : http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/393183/derapages-sexistes-dans-la-lutte-etudiante
Les pratiques sexistes et la violence contre les femmes dans la gauche sont d’autant plus des sujets délicats que les protagonistes de cette oppression refuse de la voir comme telle et accuse les femmes qui la dénoncent de diviser la lutte.
Cela dit, c’est certainement un sujet sur lequel je reviendrai plus en profondeur en 2014.
la semaine dernière, dans un journal de gauche montréalo-montréalais, une féministe valétudinaire nous a fait cadeau de son panier de médailles d’or pour 2013…seulement des femmes…ce n’était ni précisé ni annoncé d’avance…le vieil outil du mépris silencieux et de la culpabilité allusive…
cela sur fond de charte, bien sûr, ce qui apparaissait vitement, à mesure que madame Chose nous LISAIT sa liste, en majorité des femmes vedettes qui se sont prononcées pour la charte des valeurs péquistes.
y’en aura pas de facile, mais à droite c’est encore pire, comme nous le verrons tous en 2014, en lisant avec une assiduité exemplaire les esprits éclairés qui nous guident dans le Journal de Montréal, à l’insu de notre plein gré…
Oui pour le pardon, mais avec dépollution. Sinon, c’est le miséricordieux chrétien qui nous autorise à recommencer années après années les mêmes bêtises.
Noël est à mon avis ce que l’on peut trouver de pire comme produit de la culture actuellement : soit une représentation angélique, féerique et névrotique du monde. On ne parle pas ici du conte et de la mythologie qui autrefois instruisaient sur une réalité tapis derrière les apparences. La suite de mensonges, Père Noël, Petit Jésus, Reines au nez rouge, et maintenant les lutins (comme s’il en manquait), ébranle probablement une faculté essentielle chez l’enfant : la confiance en soi. Cette tromperie monumentale n’est-elle pas une forme d’intrusion psychologique par laquelle l’individu s’appliquera à voir plus tard dans le politique une métaphore de ce qu’il aura connu du monde jusqu’à présent: sauveurs, cadeaux, tromperie, abus, mensonges. Considérant comme normal cet état du monde il n’aura guère le réflexe de condamner ces agissements mais sera plutôt enclin à les imiter.
Bon, je pousse peut-être un peu loin, je ne suis pas psy. Je suis pour les festivités du solstice : rencontres, famille, amis, congés…assumant que la vie est en elle-même bien assez féerique quand on s’applique à découvrir ses beautés ; tout autant qu’elle peut être cruelle parfois.
Pas de cadeaux cette année. Moi qui en donne d’habitude plus que le portefeuille et le temps ne le permet, j’ai décider de festoyer sans rentrer dans le cercle des paradoxes du temps des fêtes.Je me suis beaucoup retrouvé dans ce texte.
Le 25 au soir, ma cousine de 8 ans, fière comme son sourire, grand et contagieux, me donne un paquet. Elle et sa soeur ont pris des heures a confectionner des savons, avec une étoile dedans et une carte, un mot qui laisse sans mots. Quelques jours après je regarde l’emballage cadeau, fait de patchwork ou mon nom est écrit au glitter.
Le féminisme est une lutte constante. L’enseignement de notre monde est un devoir pour nous, privilégié qui ne travaillons pas 20 heures dans un sweatshop. En décembre ou en juillet, on devrait se tenir les coudes, et laisser notre doigt pointer ailleurs que sur les autres. Or l’humain est une créature complexe, il a besoin d’avoir un moment ou il se dit qu’il s’apprécie, ne serait-ce qu’une fois par année. J’appel donc au gris, à la nuance. Entre le Grinch et Martha Stuart en tablier qui matche avec la couleur du plat de la dinde. Pour l’instant, quelque part au Québec, un femme est partenaire de lutte. Merci pour le texte.