BloguesMarie D. Martel

La littérature derrière les Oscars 2012 : deux pouces levés ?

Certains disent que si l’industrie du livre s’effondre, ce ne sont pas les librairies ou les grandes maison d’éditions qui seront les plus affectées mais Hollywood. Derrière la plupart des nominations dans la catégorie des meilleurs films aux Oscars 2012 se cachent des oeuvres littéraires. Les connaissez-vous?

1. Monsieur Lazhar

Le texte de la pièce Bashir Lazhar par Évelyne de La Chenelière a inspiré le film Monsieur Lazar réalisé par Philippe Falardeau qui figure dans la catégorie du Meilleur film étranger. Monsieur Lazhar est le récit d’un homme en survivance, projeté dans un monde dont il est déconnecté spatialement, c’est un réfugié, et temporellement, devant une classe d’enfants. Le discours, saturé de sensibilité et de force, interpelle, sans toujours les réconcilier, les thèmes du suicide et de la résilience, de l’immigration et de l’accueil, de l’incompréhension et de la dignité, de la solitude et de la confiance en l’autre. La distance entre le texte de la pièce et le scénario est considérable mais le sens de l’expérience est commune. Littérature de l’altérité. On peut lire un extrait de la pièce ici. Lu en v.o.: Deux pouces levés !

Note : j’ai parcouru quelques forums de discussion consacrés à la traduction de l’expression appréciative Two Thumbs Up, et j’avoue que ce n’est pas génial mais j’ai choisi la voie littérale considérant le contexte américain.

Dans la catégorie des meilleurs films :

2. The Descendants

L’oeuvre à la source du film du même nom, réalisé par Alexander Payne, a créé un effet de surprise notamment parce que l’auteure, Kaui Hart Hemmings, a choisi d’explorer l’univers d’un narrateur masculin. On connaît les protagonistes des romans de Philipp Roth et cie qui se sont investis dans l’analyse psychologique de l’homme américain, débordante de narcissisme et d’obsessions sexuelles, mais peu d’auteures ont jusqu’ici contribué à cette quête. Elle le fait avec aplomb et plus de générosité que les autres. Elle ose aussi l’humour qu’elle pratique habilement. Et puis, on ressent, à la lecture, une fascination à découvrir ce paradis de carte postale qu’est Hawaï à travers les lunette, sans teintes, de l’enfer. Le nom de l’auteure figure sur le générique ce qui donne à penser que cette dernière fait une apparition dans le film. Littérature transgenre. On peut lire ici la critique du New York. Times. Lu en v.o.: Deux pouces levés !

3. The Help

Le film The Help, réalisé par Tate Taylor (en français La couleur des sentiments), est basé sur le roman du même nom écrit par Kathryn Stockett. Ce roman, qui raconte l’histoire de servantes afro-américaines, a figuré pendant 100 semaines sur la liste des Best Sellers du New York Times. Le manuscrit de Stockett a été refusé entre 45 et 60 fois ( les témoignages ne concordent pas) avant de trouver preneur. On peut lire et entendre une entrevue du Daily Telegraph ici. Cela dit, il semble que le roman comme le film soient terribles et ne méritent pas les honneurs et l’attention qu’on leur accorde. Selon une critique, le roman serait surtout pétri de clichés, mélodramatique, avec ce que peut avoir de douteux, un exercice de réhabilitation raciale à travers les yeux d’une blanche du Sud. Je ne l’ai pas lu et je ne le lirai pas, je crois.

4. Hugo

Le livre est un cadeau et le film réalisé par Martin Scorsese en 3-D aussi. L’oeuvre de Brian Selznick, intitulé The Invention of Hugo Cabret (en français L’invention d’Hugo Cabret), est inspiré de la vie de Georges Méliès, le pionnier du cinéma français. Le livre a remporté le prestigieux prix Caldecott en 2008. Difficile à classer : sur 533 pages, 284 sont des dessins, qui sont magnifiques, en noir et blanc. L’auteur lui-même hésite quant à son identité : «not exactly a novel, not quite a picture book, not really a graphic novel, or a flip book or a movie, but a combination of all these things». Littérature transcatégorielle, livre-objet et littérature transgénérationnelle : je l’ai prêté à des enfants comme à des adultes. Lu en v.o. et traduit: Deux pouces levés !

5. Money Ball

Benett Miller a réalisé ce film de sport biographique basé sur un roman de sport biographique, qui porte le même nom, écrit par Michael Lewis, en 2003, et qui a immortalisé les accomplissements théoriques et pratiques de Billy Beane, gérant général des Oakland’s A. Les deux oeuvres, le film et le livre, défendent la thèse selon laquelle l’approche sabermétrique, fondée sur une utilisation astucieuse des statistiques, permet de bâtir des équipes de façon scientifique et gagnante (zeugme). Du point de vue empirique, c’est très convaincant surtout avec Brad Pitt comme pitcher. Je parle du film que j’ai vu ( et aimé! ) parce que je n’ai pas lu le livre…Comme je suis de ceux/celles qui pense que le baseball est une erreur de la culture, il n’existe aucun monde possible où je pourrais le lire. Mais j’adore le sous-titre : The Art of Wining an Unfair Game et comme les critiques sont bonnes et pour ne pas décevoir ceux de l’autre équipe, on peut sans doute s’entendre pour un pouce levé.

6. War Horse

War Horse est la démonstration qu’il nous faut avoir recours à un concept de super oeuvre pour réunir toutes les expressions qui partagent un contenu ou une essence artistique en commun. Dit, plus simplement, l’oeuvre War Horse existe en tant que roman et c’est aussi une pièce de théâtre puis un film. Le réalisateur Steven Spielberg a adapté le roman pour enfants qui raconte, à l’aide une narration à la première personne, l’histoire d’un cheval pendant la première guerre mondiale. War Horse n’est pas écrit par le cheval lui-même mais par Michael Morpurgo, un des plus grands écrivains pour la jeunesse anglais. (Faisons un peu people tant qu’à être dans l’ambiance du Kodak Theater : Morpurgo a épousé la fille du fondateur de la maison d’édition Penguins, OMG…)

Toutefois, ce qui doit nous éblouir ici, au-delà du talent incontestable de l’auteur, c’est de voir avec quelle complicité, notre cerveau littéraire accepte de croire au récit des animaux qui parlent. Bien sûr, on peut encore lire les fables pour jouir de cette expérience singulière qui en dit long sur l’imagination humaine, mais les productions contemporaines sont plus rares, me semble-t-il, même si les adeptes de PETA se multiplient: le roman d’un manteau de fourrure ferait sûrement un bon film pour la cause. Lu en traduction: Deux pouces levés !

On remarque que si tous les films sont associés à des réalisateurs masculins, la moitié des oeuvres littéraires qui les ont inspirés et qui sont présentées ici sont écrites par des femmes. Un bilan mitigé.

D’autres articles sur les livres qui font les films de cette année :

Ces livres sont disponibles dans une bibliothèque publique près de chez vous. Ces temps-ci, il vaut mieux réserver car on se les arrache.
| L’image est tirée du livre L’invention d’Hugo Cabret par Bian Selznick |