Le nouveau guide qui propose les Lignes directrices pour le développement des bibliothèques publiques au Québec est paru au printemps dernier. C’est un document attendu depuis bien longtemps, produit sous les auspices de l’ASTED et du Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine ainsi que par l’intermédiaire de représentants crédibles des milieux documentaires. Il est appelé à devenir le repère fondamental, pas une bible, ni une somme normative, mais un outil permettant d’orienter la planification stratégique des projets de bibliothèques, ou des bibliothèques conçues comme projet, tout en constituant un répertoire commun de concepts pour situer les bibliothèques publiques québécoises d’aujourd’hui.
Il fait suite aux Normes pour des bibliothèques municipales paru en 1974 (alors que les premières normes américaines ont été publiées en 1934) et surtout à l’ouvrage Pour des bibliothèques de qualité dont la publication remontait à 1996. La forme et le contenu sont inspirés de l’approche ontarienne des Ontario Public Library Guidelines – 6th Edition avec un modèle à cocher oui/non.
Voici une lecture commentée soulignant les faits saillants ainsi que les points de rupture entre la proposition d’aujourd’hui et celle d’hier – quand la perspective historique est intéressante.
1. Les valeurs qui sont promues sont inspirantes: l’approche participative, l’approche usager, la créativité, la démocratie, le développement durable, l’équité.
2. L’orientation du document n’est pas de nature normative – les normes sont des données à haut risque par les temps qui courent – mais qui recommande des conditions pour le développement des bibliothèques fondées sur l’expérience et le consensus des meilleures pratiques.
3. Différents niveaux de services sont proposés : service de base, bon, excellent. La présence de ces cibles d’amélioration fixe un horizon d’excellence pour les bibliothèques publiques québécoises souvent réputées pour leur retard.
4. Une philosophie communautaire émerge. Le discours des « community-led-libraries » qui structure l’approche canadienne et américaine et celui du développement durable trouvent un écho ici : les bibliothèques contribuent au développement de la communauté. La vision proposée dans le document supporte cette philosophie et l’importance accordée à l’information communautaire y est significative. Ce terme n’apparaissait pas dans les documents antérieurs sinon lorsqu’il s’agissait de référer aux «communautés culturelles». On préférait alors s’appuyer sur la notion plus quantitative de collectivité.
5. Toute rénovation ou construction doit désormais être réalisée selon les principes du développement durable, suivant la loi sur le développement durable (L.R.Q., c. D-8.1.1), un concept qui n’existait pas dans les normes précédentes. La formulation de cette orientation réfère à la notion d’écoresponsabilité et tient compte «des répercussions sociales et économiques sur le milieu.»
6. En 1996, l’accessibilité était assurée par la présence de «personnel qualifié et accueillant» ainsi que par l’amplitude des heures d’ouverture. En 2012, les bibliothèques publiques se définissent en référence à l’accessibilité universelle pour 1) leurs installations physiques – selon les lois et règlements du Québec – incluant des aménagements adaptés pour les personnes à mobilité réduite- et pour 2) les services web conformément aux normes (WAI et WCAG 2)).
7. La formation est posée comme un service essentiel. Il s’agit d’une différence transformative si on compare la bibliothèque d’aujourd’hui avec celle de la génération précédente pour laquelle la formation n’est pas conçue comme un élément stratégique de l’offre.
8. Le bibliothèque numérique est une réalité et le livre numérique aussi. La collection numérique, incluant les livres numériques dont « des titres libres de droits » et les jeux vidéo, est présupposée dans la composition des ressources documentaires. On estime que 15% du budget d’acquisition y soit consacrée. On compte désormais les livres numériques au sein de la collection de livres pour mesurer l’atteinte de la cible moyenne de 3 livres par habitant. Il est aussi recommandé que la bibliothèque «exploite les possibilités de l’édition numérique et contribue à la mise en place de stratégies qui en facilitent l’accès.»
9. L’engagement technologique de la bibliothèque sur le territoire numérique est citoyen. Il est souligné par un encouragement à développer un accès 24h/24 via un site web, à exploiter les logiciels libres et les médias sociaux. Le soutien auprès des citoyens numériques se traduit aussi par une augmentation importante de l’offre de postes informatiques en bibliothèque. En 1996, on préconisait 8 «micro-ordinateurs» pour des populations desservies de 100 000 habitants et plus; en 2012, le service de base en recommande 5 fois plus, un service excellent, 8 fois plus, c’est-à-dire près 67 postes informatiques pour le même nombre de citoyens. Le registre des équipements qui sont suggérés en vue de répondre aux besoins du milieu s’est étendu: «des consoles de jeux vidéo, des lecteurs MP3, des ordinateurs portables, des tablettes de lecture, des liseuses, des logiciels multilingues.»
10. Des espaces pour les lecteurs et la communauté. On place l’emphase sur la bibliothèque comme « lieu communautaire » pour une diversité de publics et d’usages. On recommande la présence d’aire de repos, avec ou sans restauration, pour «agrémenter le séjour des usagers à la bibliothèque». Enfin, on note que «la croissance du nombre de documents numériques et l’évolution des usages associés à la bibliothèque» vont faire diminuer les espaces pour les collections au profit de ceux destinés aux lecteurs.
11. En 1996, on prévoyait une collection pour les adolescents sans programmer des espaces appropriés pour les accueillir. En 2012, on recommande de créer des espaces adolescents pour que les jeunes s’y sentent à l’aise tout en privilégiant la présence d’ «applications et d’équipements multimédias et interactifs» dans ce secteur.
12. La salle d’allaitement fait désormais partie des aménagements à prévoir dans toute bibliothèque.
En plus des valeurs qui sont mentionnées plus haut, le modèle de la bibliothèque d’aujourd’hui au Québec se traduit donc par:
- une philosophie communautaire
- la formation
- la bibliothèque numérique
- un engagement technologique citoyen
- le développement durable
- l’accessibilité universelle
- des espaces pour une diversité de lecteurs – plutôt que pour les collections.
Les bibliothèques publiques du Québec ont un projet social et technologique plus subtantiel et plus structuré que jamais dans leur histoire.
J’ai feuilleté rapidement le document le printemps dernier et il aurait été probablement souhaitable que je prenne quelques instants pour le revoir avant de commenter; n’empêche, je saute sur l’occasion pour saluer qu’on semble y souligner l’appartenance des bibliothèques publiques au territoire Nord-Américain, mais je ne peux m’empêcher de tiquer sur « comme aux États-Unis et dans le reste du Canada. » Ah oui, ah bon, et au Québec ont fait quoi pendant ce temps?
On s’inscrit dans une tendance amorcée j’imagine il y a une quarantaine d’années aux États-Unis – le New Left Britannique comme réponse à la défiance –, mais qui ne s’est installé au Canada proprement qu’avec les premiers gouvernements Harper, avec le long battement des gouvernements Chrétien entre les deux (le Très hon. Monsieur Martin étant ailleurs politiquement) gouvernances conservatrices rendant nécessaire qu’on s’interroge aujourd’hui sur la réelle portée des concepts qu’on utilise. Il semble que le Québec ne marche définitivement pas au même rythme que ce continent et plutôt que d’y voir un manquement quelconque, je me demande s’il n’est pas plutôt possible de développer un modèle qui ne s’accommode des thèmes ou du vocabulaire de cette New Left, alors que cela ne sied pas si bien à une culture d’origine catholique, et non pas protestante, et francophone – comme le Brésil Portugais, un exemple important à souligner dans la perspective de la construction des Amériques.
Le Québec et son réseau des bibliothèques peuvent participer de cette construction, mais si sa contribution se limite à suivre les autres (avec des retards qu’on cherchera à expliquer plus tard), je me demande dans quelle mesure cette contribution est significative. C’est mon dada, c’est mon bobo, n’empêche, encore une fois, le Québec au grand complet à vibrer au rythme du concept de la « classe moyenne » durant la dernière campagne comme si c’était autre chose qu’une étiquette et un mode de vie : un couple blanc hétérosexuel, deux enfants, une maison en banlieue, et qui préfère servir le poisson le vendredi.
On ne cherche pas à résoudre des malaises raciaux centenaires à ce que je sache au Québec, alors je crois qu’il faut être prudent quand on choisit d’importer un concept dans un autre contexte socioculturel, juste pour suivre une tendance.
Je veux bien que la bibliothèque participe à du community-building, mais pourquoi le ferait-elle? Parce qu’elle participe à un plus grand ensemble (p. ex., la construction des Amériques, ou appelons-le comme il semble bon de l’appeler) et qu’elle s’éloigne justement des communautés qui doivent maintenant être capable de s’habiliter là où la bibliothèque auparavant aurait pu être un appoint?
Est-ce vraiment le cas au Québec, ou cherche-t-on simplement à familiariser ces concepts auprès de la concitoyenneté pour rattraper un quelconque retard et suivre la tendance?
Le cas échéant, la bibliothèque québécoise est-elle prête à reconnaitre ce qui s’est passé le printemps dernier, parce que l’habilitation des communautés c’est aussi des communautés qui parfois décident de rejeter les lignes directrices qui viennent d’en haut et qui comprendraient très mal que leurs bibliothèques ne soient pas libres d’en faire autant, de temps à autre.
J’attends avec impatience votre lecture critique de ce document, bien à vous. DQ
Dans trois semaines aura lieu la 14e Semaine des bibliothèques publiques (20 au 27 octobre 2012). Il aurait été pertinenet que Marie D. Martel en fasse mention, d’autant plus que plusieurs activités fourmilleront à travers le Québec tout au long de cette Semaine. Le site: semainedesbibliotheques.com
Mireille Mertrand, relationniste
Mireille Bertrand, et non Mertrand !