«Comment les jeunes sont-ils actifs culturellement ? Quelles sont les motivations derrière cet engagement chez les jeunes ? Quels sont les impacts de la culture et comment cette participation à l’ère du numérique?» L’étude inédite La participation culturelle des jeunes à Montréal : des jeunes culturellement actifs réalisée par Christian Poirier et Culture Montréal s’intéresse à ces questions pour «ouvrir de nouvelles pistes de réflexion concernant la participation culturelle, le développement des publics et de la relève artistique».
Une cinquantaine de jeunes de 12 à 34 ans, de l’ensemble de l’Île de Montréal, ont été rencontrés par le biais de 37 entretiens. L’échantillon est très petit et il «ne vise pas l’exhaustivité statistique.» Par ailleurs, ces informations qualitatives ont été analysées et comparées avec les différentes conclusions d’une importante revue de la littérature avec laquelle on diverge sur certains aspects. Les principaux résultats concernant les pratiques culturelles, notamment littéraires, des jeunes montréalais suggèrent que la ville de Montréal et la Grande bibliothèque ont la cote.
D’une façon générale, les pratiques sont riches et diversifiées mais Internet, les jeux vidéos et les réseaux sociaux constituent la langue seconde universelle. Les jeunes sont équipés à la maison et le cellulaire est leur prothèse intégrée. Internet est :
- une source de connaissance et d’informations;
- le prolongement des diverses pratiques culturelles;
- une activité en soi par la navigation;
- une source pour l’écoute de la musique et le téléchargement de contenus culturels;
- une source de possibilités (découvertes) et un accès accessibilité aux contenus culturels;
- un substitut, dans certains cas, aux supports traditionnels;
- une source de critiques «lorsque vient le temps de participer à une activité culturelle.»
- une source de sociabilités virtuelles et réelles via les réseaux sociaux (Facebook est considéré comme «un outil de sociabilité essentiel»);
- une source de premier plan pour le visionnement de vidéos er de films;
- une source de création multimédia : Plusieurs jeunes utilisent les supports numériques pour réaliser des œuvres ou les retravailler;
- une source de préoccupation concernant la qualité de l’information et sa fiabilité;
- une source pour la création littéraire : «l’écriture est également présente dans la vie quasi quotidienne des jeunes avec les courriels, les blogues, les messages textes…»
Du côté de la participation littéraire
1. La lecture est une pratique «importante et constante» qui rejoint la plupart des jeunes (et surtout les filles).
La lecture rejoint plusieurs jeunes rencontrés. Ainsi, la quasi-totalité des 12-17 ans et des 18-24 ans lit, avec cependant des degrés variés : lecteurs occasionnels ou assidus, réguliers dans leur pratique ou fonctionnant plutôt par phases, adeptes de séries à la mode, de classiques ou même de livres de motivation personnelle ou de témoignages. Les modalités d’accès aux livres sont également variées : bibliothèques, collection familiale, cadeaux, achats personnels, prêts entre jeunes… Au sein des groupes, ce sont surtout les filles qui disent lire, cette activité étant équilibrée dans le reste de l’échantillon.(p.104)
2. La pratique de la lecture est multi-support : c’est-à-dire que les jeunes lisent encore sur les supports traditionnels (en tout cas davantage que ce que la littérature suggérerait) ainsi que sur, non pas un, mais différents types d’outils numériques.
Si la littérature indique que les jeunes lisent de moins en moins sur les supports traditionnels, la recherche apporte un regard plus nuancé en pointant que de nombreux jeunes lisent encore sur les supports traditionnels, et ce parallèlement à l’utilisation de nouveaux supports numériques. (p.245)
Par ailleurs, Internet constitue un médium de lecture classique et une porte d’entrée vers l’écriture, ou encore la bibliothèque :
Un garçon du groupe G3 et une fille du groupe G4 disent lire beaucoup de mangas sur des sites Internet. Ce sont les seules instances de lecture classique sur ce média ; par contre, une participante du groupe G4 l’utilise pour effectuer des recherches sur les nouveautés en matière de livres, puis les commande à sa bibliothèque. Un des garçons du même groupe lit de courtes histoires et des images humoristiques destinées à être partagées sur les médias sociaux. Il les lit soit directement sur le site, soit sur ceux publiés sur Facebook. Il contribue lui-même à leur diffusion en publiant certaines histoires qu’il apprécie particulièrement. Internet est aussi mentionné comme source d’inspiration : un jeune garçon du groupe G3, qui dessine des graffitis sur papier, dit avoir commencé en regardant comment réaliser cette activité sur le réseau. (p.416)
3. La pratique de la lecture, les librairies et les bibliothèques : on achète un peu, on évite de partager et la bibliothèque ne représente pas un choix qui fait l’unanimité.
Les jeunes filles du groupe G1 achètent certains livres ou les collections qu’elles affectionnent. Deux participantes de ce groupe disent adorer la série Aurélie Laflamme et la posséder au complet. L’une affirme se faire offrir des livres par ceux qui ne les veulent plus, mais la plupart disent ne jamais les partager, de crainte de les perdre. Dans le groupe G4, une fille préfère acheter les livres pour ne pas avoir peur de les abîmer. Une participante
dit ne jamais prêter ses livres, tandis qu’une autre adore les partager et faire des cadeaux. Dans le groupe G2, quelques filles disent lire pour le plaisir, et en particulier des livres «d’adolescents, genre, pas trop touchy. » Quant à la fréquentation des bibliothèques, les avis sont partagés. La plupart condamnent cette pratique, particulièrement en solitaire. Une jeune du groupe G1 affirme que « moi je suis déjà allée toute seule, on a ri de moi parce que j’étais toute seule à la bibliothèque.» Une autre du même groupe dit également y aller seule. Toutefois, la majorité prend son livre et quitte immédiatement. Dans le groupe G2, les avis sont également divisés : l’une dit ne pas aimer du tout les bibliothèques, car elle les trouve trop silencieuses, tandis qu’une autre affirme apprécier leur tranquillité et les fréquenter pour faire ses devoirs et ses travaux d’équipes. Une grande lectrice du groupe G4, quant à elle, est bénévole à la bibliothèque. Elle lit les nouveautés et demande même au responsable de commander certains livres. (p.208)
4. La bibliothèque serait assez peu fréquentée, sauf pour la majorité des jeunes de 18-24 ans.
La bibliothèque est assez peu visitée par les jeunes de 12 à 17 ans ainsi que ceux des groupes de discussion. Elle est toutefois fréquentée par la majorité des 18-24 ans. Quant à eux, les participants de 25 à 34 ans ont assez peu abordé la question lors des entretiens. Est-ce le signe d’un certain détachement à l’égard de ces institutions ? Cela est assez difficile à confirmer. Chez les plus jeunes, E1 visite de manière régulière la Grande Bibliothèque, tandis que C10 emprunte des livres à la bibliothèque de son quartier. Les autres y vont de temps à autre ou pas du tout. Chez les plus âgés, A2 fréquente aussi la Grande Bibliothèque et B5 amène son fils à la bibliothèque de leur quartier. Les autres n’en font pas mention. Les 18-24 ans se distinguent parmi les tranches d’âge puisqu’ils fréquentent presque tous la bibliothèque. La Grande Bibliothèque et les bibliothèques de quartier sont visitées afin d’emprunter des livres et des CD, étudier ou bouquiner et faire des découvertes. (p.110)
À cet égard, l’étude indique une différence entre la littérature et ce qui a été observé par les chercheurs :
La littérature tend à montrer que les bibliothèques et les librairies constituent les établissements culturels les plus fréquentés. La recherche montre plutôt que les avis sont partagés, voire même polarisés. (p.245)
5. Les jeunes ont une représentation globalement négative de la bibliothèque qui s’améliore avec l’usage.
Les jeunes possèdent globalement une représentation négative des bibliothèques qui deviennent toutefois, au fur et à mesure qu’ils les découvrent, des lieux potentiellement appréciés. L’exception va toutefois à la Grande Bibliothèque, très appréciée par tous les jeunes qui la fréquentent. (p.302)
Ceux qui apprécient les bibliothèques de quartier soulignent les aspects suivants :
B2 … apprécie l’abondance de choix, le fait de simplement pouvoir se promener dans les allées, choisir des livres au hasard et découvrir de nombreux univers. Elle aime aussi le calme de l’endroit … C2 s’y procure la majorité de ses livres : « Mais oui, ça m’arrive d’y aller, très souvent même. En général, je les prends à la bibliothèque. » D4 se rend à la bibliothèque principalement afin d’y emprunter des CD et E3 fréquente les bibliothèques de son quartier (Dollard-des-Ormeaux et Roxboro) et celle de l’école, surtout pour étudier, mais également pour s’y procurer des livres l’été ou après l’étude. Elle considère que la bibliothèque apporte un certain sens de la communauté…Enfin, mentionnons qu’E5, s’il ne nie pas l’importance des bibliothèques publiques, considère celles-ci comme étant essentiellement un « accès » aux livres. (p.271)
6. La bibliothèque, et surtout la Grande bibliothèque, représente un lieu affectif (lorsque les jeunes ont eu l’occasion d’en faire la découverte si l’on en croit, la proposition précédente).
Plus que d’être fréquentée, la bibliothèque fait souvent l’objet d’un attachement important. Par exemple, B2 dit de la Grande Bibliothèque que c’est son « endroit préféré sur terre » tandis qu’E4 affirme qu’elle se sent littéralement chez elle à la bibliothèque de son quartier : « I’d say it’s really peaceful and people are just very calm and they’re just there to read and just work. It’s a nice environment and I feel at home there. » (p.111)
7. Il existerait un argument économique en faveur des activités en bibliothèque.
Plusieurs jeunes privilégient les sorties gratuites comme les festivals ou les bibliothèques. (p.355)
À réfléchir.