Des lectures qui passent d’une main ou d’une machine à l’autre.
1. Les Amazones par Josée Marcotte (L’instant même, 2012)
Tout neuf. L’auteure compose une expérience de pensée en explorant un monde possible où la femme est devenue un loup (une louve) pour la femme. Entre la dystopie post-féministe et la fable poétique, la narration chevauche les Hunger Games, La servante éclarlate, et L’Éuguélionne. C’est une écriture qui se cabre et l’effet est aussi puissant que troublant : Les Amazones ébranlent sans ménagement cette croyance tranquille, si bien ancrée en vertu de laquelle un système de femmes nous permettrait d’accéder à une société de paix, de justice, d’amour et de plénitude sexuelle. Évidemment, depuis que circulent les vidéos de l’agente 728, cette croyance a déjà été quelque peu malmenée. Quoiqu’il en soit, la critique vise ici et atteint avant tout une conception normative de l’être, autoritaire, intransigeante, intolérante à la différence, quelqu’en soit le genre. Josée Marcotte est une jeune auteure qui a un talent fou et qui s’en sert pour déplacer des montagnes de conventions. On peut la découvrir via son blogue. Elle vient aussi de publier un nouveau titre :Les mots sont verbe aux Écrits des Forges.
2. Il pleuvait des oiseaux par Jocelyne Saucier (Les éditions XYX, Collection : Romanichels, 2011)
Emprunté à la bibliothèque. Ce roman est couvert de trophées : Prix des collégiens 2012, Prix des lecteurs de Radio-Canada 2012, Prix des Cinq continents de la Francophonie 2012, finaliste du Grand Prix de Montréal, et on ne s’est pas privé, du côté de la préparation matérielle en bibliothèque, pour agrémenter la couverture avec, bien à la vue, tous ces galons et médailles. On pourrait ajouter que l’oeuvre a aussi profité d’une remarquable unanimité critique. Cet émoi collectif ne s’est pas tout à fait rendu rendu jusqu’à moi. Il est vrai que le récit est beau avec de beaux protagonistes bien campés et de bons ingrédients : un récit historique captivant, avec une tragédie en toile de fond : un grand feu de forêt qui décime une ville forestière et sépare des amants, avec aussi le thème du rejet de la vie en société, le choix des hommes libres qui retournent au bois, la quête et la résilience artistique, la résilience tout court, l’amour au quatrième âge. Mais, je me suis trouvée perdue dans la forêt à force de suivre tous ces sujets et ces bons sentiments via des pistes hésitantes. Mais c’est beau.
3. Deux livres avec les photographies de Melvin Charney pour sujet
Empruntés en bibliothèque. Le premier intitulé Melvin Charney (Musée d’art contemporain de Montréal, 2002) a été publié, sous la direction du conservateur Pierre Landry, à la suite d’une exposition consacrée à cet artiste en 2002. Le renforcement mutuel entre la photographie et l’architecture explose dans l’oeuvre de Charney, qui s’est éteint le 17 septembre dernier. Et, le résultat est sublimé par le commentaire brillant de l’architecte-sculpteur-photographe qui accompagne la chronologie de son travail. Tout particulièrement lorsque la ville est interpelée :
Il existe deux façons de regarder une rue. Un rue peut-être tout simplement un «vide», une absence entre les choses. Dans mes premières photographies, j’ai tenté de montrer la rue en tant qu’espace ouvert où on peut errer le curieux…À Montréal, la rue est une entité physique qui subsume les bâtiments intérieurs. Ses paramètres définissent un espace «intérieur». J’ai commencé à prendre des photographies de la rue comme je l’aurais fait d’une pièce ou d’un couloir, avec ses côtés dépliés pour révéler l’enceinte et la continuité.
À relire et à revoir encore et encore pour les photos de Montréal, ses images construites, assemblées, peintes et son Dictionnaire, sorte d’oeuvre de documentation totale avec pour sujet, les bâtiments et les villes, entrepris en 1970 et terminé en 2001 avec la représentation du World Trade Center.
Le second ouvrage est une oeuvre de poésie, Comme si le vide avait lieu (les éditions du passage, 2006) de Carole Forget, créé à partir de trois photographies de Melvin Charney. Un dialogue exigeant entre la photographie, l’architecture et l’écriture.
4. Blankets par Craig Thompson (Top Shelf Productions, 2003)
Recommandé par mon fils et emprunté à la bibliothèque de son école. Les premières pages de ce roman graphique sont à la limite du supportable, et en raison du procédé de flash-back utilisé, on n’aura pas la chance de s’en remettre car les épisodes reviennent nous étreindre et nous hanter ça et là jusqu’à la fin. Cette autobiographie fait un détour par la littérature de l’objet, ici le fil conducteur est une couverture (blanket) qui accompagne le récit initiatique d’un jeune, depuis l’enfance, à travers les abus, l’intimidation, la fascination religieuse, l’éveil artistique et la découverte du premier amour qui remplace peu à peu la dévotion évangéliste. Récipiendaire d’une dizaine de prix prestigieux, on l’a souvent dit, même Oprah, rarement un premier amour graphique aura-t-il été représenté avec autant de nuances, de grâce et de vérité. Et Blankets – que l’auteur préfère désigner en tant que«roman illustré» – a été placé, par le Time en 2012, sur la liste des 10 meilleurs romans graphiques qui racontent des mémoires, aux côtés de Maus et de Persepolis.
5. Anthologie du présent par Louise Warren (Les éditions du passage, 2012)
Emprunté à la bibliothèque. Les concepts de collection, collage, bibliothèque, qui structurent ce projet m’enchante. On apprécie aussi la continuité dans l’approfondissement de cette thématique qui cherche à relier et à ordonner ce qui ne l’est pas, que ce soit des textes ou la vie, et qui avait été déjà abordé dans son précédent recueil : Attachements. Observation d’une bibliothèque (2010). L’oeuvre poétique est ici conçue comme l’anthologie immédiate du langage dont la matérialité éclaire et donne une présence aux choses. La parole poétique fait survenir le monde à travers le tricot dense des mots projetés et des phrases travaillées par les gestes de la passion amoureuse et ceux du quotidien :
c’est très court une maille
ça n’appartient pas à la nuit
l’air glisse à l’envers
un jardin sur les genoux
clame à l’endroit
la maille dans le jourtout est muet
dans la bouche
le jour se vide
creuse un trou
on recommence plus serré
Cette Anthologie avec un grand « A » appartient aussi à l’héritage de Sylvia Plath, à travers, par exemple, le poème Ariel (« I am the arrow… ») que rappelle l’atmosphère de début du monde de cet extrait :
nous avançons
suivant de près
la surface des pierresdes flèches de fumée
s’échappent
lancent des nomsparmi les lueurs
mains noircies
feuilles
nuits
nos empreintes
Bonne lecture!