Mo Yan, Le veau, Éditions du Seuil, 2012.
Dans la nouvelle de Mo Yan, l’auteur en jeune homme raconte un épisode où des veaux se sont faits châtrer sous ses yeux pour le bien de la commune – on n’aurait pas eu assez de nourriture pour tous les rejetons que leur ardeur sexuel aurait pu générer.
Sa tante lui promet qu’il aura droit à une portion des testicules, parées dans le détail et qui seront sautées avec art. Ce festin, toutefois, risque de lui échapper car on lui confie la garde des veaux qui sont en convalescence. Alors qu’il veille, les villageois qui mènent l’affaire et qui sont ses aînés, des vieux singes pleins de ruse, pensent à leur panse sans penser à la faim qui tenaille le gamin.
Les veaux qui se sont faits châtrer parlent et pleurent avec leur gardien de 14 ans qui partage leur printemps, si ce n’est leur détresse :
Les veaux pleuraient à chaudes larmes et très bruyamment. Je leur caressai le front, plein de pitié pour leur sort.
C’est un veau qui dit :
On nous a coupé les roustons, à quoi bon vivre encore ?
Et le narrateur candide qui précise :
J’étais mécontent de ne pas pouvoir manger les testicules des veaux, et eux étaient mécontents de les avoir perdus, c’était le lien entre nos frustrations.
Le jeune homme aura son repas, mais ses «frères veaux» ne lui pardonneront pas et les questions n’en seront que plus difficile à digérer : Qu’est-ce qui fait qu’un veau est un veau ou un homme ? Comment survivre dans ces conditions ? Quel avenir sans avenir ?
Après des jours de marche en direction du bureau du vétérinaire, sans avoir pu dormir, les bourses remplies de pus et couvertes de mouches, l’un des veaux mourra. Les cadres qui vont profiter de sa viande infectée souffriront d’une violente indigestion.
C’est un conte cruel, curieusement drôle, pénible pour la chair et l’âme, mais savoureux du début à la fin.
Le monde des animaux communique avec celui des hommes, et leurs vies de misère se ressemblent.
Est-ce qu’il y a un récit dans le récit initiatique ? Est-ce que le veau est une métaphore du peuple chinois, de sa progéniture sacrifiée, privée de ses capacités créatives, de sa dignité, engagée dans une marche funèbre, absurde, sans sommeil et sans rêves? Je ne sais pas trop, on ne s’entend pas sur le statut de Mo Yan en tant qu’écrivain politique.
Quoiqu’il en soit, le génie que déploie Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012, en peignant son bestiaire métaphysique, en faisant parler les animaux comme des hommes et les hommes comme des animaux constitue la forme la plus prodigieuse de l’esprit littéraire. La forme la plus pure de ce qui distingue les animaux des hommes.
Cette nouvelle est suivie d’une seconde intitulée Le coureur de fond.
L’ouvrage est accessible dans une bibliothèque près de chez vous.