Si on croit que le fracture numérique est derrière nous et que le savoir est à la portée de nos écrans grâce aux MOOCs, on rêve un brin (de la grosseur d’une fibre optique). Dans l’angle mort, il y a cette fracture de la bande passante qui divise le monde entre une très petite minorité équipée pour accéder aux cours en ligne, et tous les autres qui ne peuvent même pas y penser.
Les Massive Open Online Courses (MOOCs) ne manquent pas d’arguments en leur faveur et, dans un article récent, Martin Lessard propose un état des lieux qui mérite le détour.
Dans The Chronicle of Higher Education, on tempère l’enthousiasme actuel en invoquant, non pas un argument frontal contre les MOOCs, mais plutôt une mise en garde contre les conditions actuelles pour l’accès à ces cours.
Aux États-Unis, fait-on valoir, 66% des gens ont accès à une connexion Internet (Pew Internet). Et, dans les écoles primaires et secondaires, les enseignants affirment qu’un seul étudiant sur cinq est doté des outils numériques nécessaires pour faire les travaux. C’est une situation qui sévit même dans les milieux jugés aisés. Les MOOCs sont des cours gratuits pour autant que l’on ait les moyens de se payer la connection haute vitesse et la bande passante qu’ils requièrent.
Sebastian Thrun, professeur d’informatique à Stanford et fondateur de Udacity, une compagnie qui offre des MOOCs reconnaît candidement que la fracture de la bande passante est un sérieux problème : « I agree this is an issue, a big issue.»
D’entrée de jeu, l’auteur de l’article suggère que les bibliothèques publiques pourraient représenter une alternative honorable, voire indispensable, à ce problème : «Public Libraries…might become de facto classrooms for those online learners who lack sufficient Internet services at home.»
Je propose une traduction du reste de cet article que l’auteur, Jeffrey R. Young, consacre au rôle des bibliothèques publiques en tant que partenaires des apprenants à travers la bande passante.
Le rôle des bibliothèques publiques (traduction)
Les bibliothèques publiques pourraient de facto devenir les salles de classe pour les élèves des MOOC n’ayant pas accès à Internet à la maison. Mais, de nombreuses bibliothèques proposent pour le moment une solution qui est loin d’être parfaite en raison des horaires limités pour les utilisateurs et des longues files d’attente pour accéder aux ordinateurs partagés.
Plus de 40 pour cent des bibliothèques publiques ont déclaré qu’elles ne fournissent pas suffisamment d’accès à Internet pour répondre aux besoins de leurs clients, et 65 pour cent ont dit qu’elles n’avaient pas assez d’ordinateurs publics pour répondre à la demande, selon une étude de l’American Library Association en 2012. Mais, la technologie dans les bibliothèques s’améliore, a déclaré Larra Clark, directeur au bureau de l’association pour la politique des technologies de l’information, en partie grâce à des subventions qui faisaient partie de mesures de relance du gouvernement américain.
La Bibliothèque publique de Purcell, dans l’Oklahoma, est l‘une des institutions qui a bénéficié de ce fonds de relance.
Il ya quelques années, le réseau de la bibliothèque était le plus lent de l’État, et le système avait du mal à charger la plupart des pages Web, a déclaré Peggy Cook, directrice de la succursale. Mais, en 2010, une subvention a permis d’installer la fibre optique dans le bâtiment, ce qui a considérablement amélioré le service pour les 5000 utilisateurs hebdomadaires de la bibliothèque qui peuvent utiliser l’un des 20 postes publics, des cinq portables en prêt, ou encore leur propre ordinateur portable pour se connecter au réseau sans fil de l’immeuble.
Aujourd’hui, plusieurs étudiants comptent sur la bibliothèque de Purcell pour suivre des cours universitaires en ligne. La bibliothèque a même accepté de superviser les tests (proctor) des cours en ligne offerts par l’Université Cameron pour les étudiants qui veulent éviter d’avoir à conduire les 80 miles qui les séparent de ce campus.
Les bibliothèques ne sont pas les seuls endroits qui offrent l’Internet gratuit de nos jours, bien sûr. Les étudiants qui suivent les MOOCs de l’Université Harvard et des autres universités d’élite peuvent accéder à leurs cours à partir de chez McDonald ou d’autres restaurants qui offrent l’accès Internet à leurs clients. Maintenant, est-ce que l’on peut arriver, de cette manière, à répondre à un quiz universitaire tout en mangeant des frites, ça reste encore à voir.
La bonne nouvelle est que le nombre de personnes ayant accès à Internet augmente de plus en plus, et, comme M. Thrun de Udacity le fait remarquer, l’accès à Internet est beaucoup moins cher que les frais de scolarité.
La fracture de la bande passante est une forme de ce que les économistes appellent l’effet de la Reine rouge, explique M. Hilbert [chercheur à l’Université de la Californie du sud], se référant à une scène où Alice fait une course contre la Reine rouge dans De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll.
Comme dit la Reine rouge à Alice: » Vous pourrez bien courir aussi fort que vous en êtes capable, vous resterez à la même place. Si vous voulez arriver à quelque chose d’autre, vous devrez vous exécuter au moins deux fois plus vite que ça! »
M. Hilbert a déclaré que la perspective de se maintenir avec la technologie numérique s’apparente à cette course – il faut un investissement continu en argent et en temps rien que pour suivre, et puis il faut encore, par la suite un montant exceptionnel de travail pour prendre de l’avance sur le peloton.
« La question est: Quel est le service de base ? » demande ce dernier. « Il y aura toujours des inégalités. Mais 100 ans après l’introduction de la voiture, tout le monde ne possède pas une Ferrari, mais tout le monde a accès à un moyen de transport motorisé grâce aux autobus. »
Et bien non, pas tout le monde, et il y a encore moins de gens qui ont l’équivalent en ligne. Les universités qui envisagent les MOOCs devraient garder cela en mémoire.
On aura compris que les bibliothèques publiques sont ici assimilées aux transports en commun en tant que véhicules pour le partage du savoir de demain. Mais, il est tout à fait juste de faire remarquer que, de la même manière que tous les citoyens n’ont pas partout accès aux autobus collectifs, tout le monde n’a pas non plus accès aux services des bibliothèques publiques. Et puis, les bibliothèques publiques existantes, comme on l’a dit plus haut, ne sont pas encore elles-mêmes suffisamment équipées pour conduire à bon port, technologiquement parlant, ceux qu’elles peuvent actuellement desservir. Comme pour les frais de scolarité, c’est un choix de société.
Pour aller plus loin :