BloguesMarie D. Martel

Le brave petit glossaire du laboratoire vivant

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Les laboratoires vivants poussent comme des champignons à Montréal. Ce sont des pratiques qui visent à améliorer les services et à promouvoir l’innovation ouverte dans les organisations en utilisant des techniques issues de la gestion, des sciences sociales, du design de services, de la culture du logiciel libre, etc.  Radio-Canada, l’Insectarium, la Conférence régionale des élus, Communautique, la SAT en partenariat avec l’hôpital Ste-Justine, seraient des promoteurs de laboratoires vivants. Avez-vous le vôtre?

On dit que le laboratoire vivant échappe à toute définition. Cette résistance philosophique serait la garantie d’une flexibilité intrinsèque qui lui permet de s’adapter en fonction des usages et de faire face aux changements.

Dans les circonstances, un des premiers défis dans la mise en place d’un laboratoire vivant consiste à identifier les principaux concepts qui structurent cette trans-discipline qui émerge de manière à permettre aux acteurs de communiquer entre eux.

Bien sûr, la manière classique d’entendre la définition comme une proposition logique qui clôt son objet sur lui-même ne pouvait pas plaire apriori aux amateurs de l’innovation ouverte.

Toutefois, cette définition de la définition comme entité fermée remonte au temps de l’ « animal raisonnable » d’Aristote, et les philosophes ont eux-mêmes innové depuis longtemps, et heureusement sinon le métier aurait disparu, en tolérant l’usage de définitions souples à vocation pragmatique.

Du coup, on peut proposer une définition fonctionnelle pour l’animal de laboratoire vivant de manière à lui assurer un environnement intellectuel tranquille avec l’assurance qu’il est compris des autres animaux de laboratoire vivant dans le cours de cette démarche dans laquelle ils sont engagés ensemble.

Cette définition fonctionnelle du laboratoire vivant pourrait ressembler à cela : «un groupe de personnes qui collaborent en vue réaliser le design de produits ou de services à l’intérieur de certains paramètre ». Ces paramètres constitutifs sont : la complexité, l’ouverture, la fonction relationnelle ou l’aspect systémique co-, l’utilisateur, le sens et l’expérience.

Décrivant ces paramètres, voici le petit glossaire du laboratoire vivant, pour ceux qui voudraient tenter l’aventure, braver l’inconnu et le futur, et surtout, qui voudraient survivre, non pas tant à l’expérience d’un laboratoire vivant, mais bien aux défis de nos mondes en transformation.

Le petit glossaire du laboratoire vivant

1. La complexité. Il est assumé que nous vivons dans un monde complexe qui nous expose à des problématiques pour lesquelles les solutions ou les réponses ne sont pas accessibles, connues ou inventées. Cette situation requiert une approche nouvelle et créative pour favoriser l’émergence de pistes d’action possibles.

2. L’ouverture. Face à cette complexité, la démarche suppose, comme condition de possibilité et d’innovation, une approche ouverte qui fasse appel à des agents extérieurs, à des acteurs de différents milieux, qui valorise l’interdisciplinarité, la diversité et la mixité.

Par ailleurs,  cet aspect suppose aussi une dimension publique de documentation et d’ouverture des données de manière à ce que celles-ci puissent être accessibles, partagées, réutilisables dans d’autres contextes.

C’est ce qui fait que le laboratoire d’idée n’est pas juste une autre méthode de design participatif : le parti-pris en faveur d’un destin ouvert pour les données confère à ces dernières le statut de biens communs. Le laboratoire vivant crée des biens communs.

3. Le préfixe co-. L’innovation ouverte s’appuie sur un registre varié de méthodes et de techniques qui facilitent l’expression de l’intelligence collaborative sur une période prolongée. Le préfixe « co- » se place devant tous les mots d’action imaginables qui ont une…connotation positive : co-création, co-design, co-conception, co-construction, etc

La règle grammaticale dit que l’on ne devrait pas mettre de trait d’union entre le préfixe « co- » et le mot qu’il le suit. L’usage dans le discours vivant des locuteurs dans les laboratoires vivants commande que l’on mette ce trait d’union malgré tout sans doute parce que la démarche a quelque chose de transgressif dans son rapport aux normes et aux règles. Et surtout, pour marquer, dans la typographie même, le « lien » et pour souligner la dimension « avec les gens » qui qualifient, de manière essentielle, leur participation dans la création du processus, des expériences et des apprentissages.

Le « co- » rappelle aussi l’héritage du constructivisme qui figure dans le cadre conceptuel. La théorie des systèmes constitue un autre repère à travers lequel le laboratoire vivant se manifeste comme un système d’actions, et plus précisément, un système d’inter-actions, générateurs de nouveaux systèmes durables. Le trace du « co- » réapparaît ici à travers l’usage confirmé du vocable « écosystème » qui suggère sa qualité relationnelle et celui de « confiance » qui insiste plus sur la relation de qualité entre les membres.

Par ailleurs, la confiance, le souci de l’autre, l’empathie, le respect sont autant de sentiments qui caractérisent l’engagement émotionnel propre au laboratoire vivant. Les participants ne sont pas des amis, mais ils visent la réussite de la conversation et de la réflexion collective en pratiquant une sorte de camaraderie impersonnelle dans la durée.

C’est Samantha Slade, gardienne de cercle du Mandalab, qui a suggéré la référence au concept de camaraderie impersonnelle (Impersonal Fellowship). Et, si on prolonge cette analyse, on pourrait ajouter que la camaraderie impersonnelle est aussi utilisée pour décrire les relations dans l’exercice d’un dialogue socratique.

La camaraderie impersonnelle ne représente pas un investissement affectif susceptible de compromettre une discussion. Elle facilite l’émergence d’un espace intellectuel sain, propice à une délibération qui soit rigoureuse, fertile et apte au consensus. (The Socratic Classroom, Sarah Davey Chester, 151). La nature des relations entre les participants rapproche le dialogue socratique du laboratoire vivant et contribue largement à expliquer la réussite de ces derniers.

4. L’utilisateur. L’empathie pour l’utilisateur est aussi une valeur élevée en principe théorique. Dans le modèle du laboratoire vivant une diversité d’acteurs est impliquée, mais l’emphase est placée sur la présence nécessaire des utilisateurs en vue de garantir l’utilisabilité et l’adéquation de ce qui est conçu ou produit avec leurs besoins, l’appropriation par ceux-ci des dispositifs, l’efficacité. Le processus n’est pas seulement orienté sur l’utilisateur (user-oriented) il est conduit à partir de l’utilisateur (user-driven). On cherche à niveler les différences entre les acteurs, entre les experts et les utilisateurs et à déplacer les relations de pouvoir et de contrôle en faveur de ces derniers.

 5. Le sens. Le laboratoire vivant facilite l’émergence de possibles qui dressent un horizon de sens. Les projets ont une emprise territoriale, un ancrage local et une échelle humaine; ils correspondent à des aspirations et des désirs. Les solutions connectent avec les utilisateurs et les communautés, les transforment, favorisent leurs habilitation (empowerment), leur permet d’aller plus loin, de comprendre, de réaliser leur plein potentiel dans une perspective de cohérence sociale, holistique, durable.

 6. L’expérience.  Action, concrétisation, expérience. D’une part, les propositions, les idées, les pistes sont formulées en termes d’hypothèses et concrétisées à l’aide de prototypes, de maquettes, d’interfaces physiques et numériques visant à le mettre à l’épreuve dans une situation réelle, d’en tester la faisabilité et/ou d’y apporter des améliorations.  La simplicité est une des propriétés convoitées dans l’élaboration du système, tant au plan du processus que du résultat.

D’autre part, on cherche aussi à aménager des solutions qui favorisent, non seulement l’utilisabilité, mais aussi l’expérience de l’utilisateur.

Le Mandalab, un laboratoire vivant dans un quartier

Parmi ces cercles qui essaiment sur Montréal, je participe au Mandalab, à une résidence sur Montréal, ville apprenante avec la CRÉ ainsi qu’une autre résidence sur L’essor des fab labs dans la région métropolitaine, avec une curiosité qui va croissante.

Au-delà du vocabulaire, c’est d’abord en les vivant, c’est-à-dire en pratiquant une forme d’immersion dans un laboratoire vivant que l’on saisit le mieux la signification, la destination et le pouvoir de ces animations créatives.

On peut lire le récit d’un après-midi au Mandalab qui est rédigé par Samantha Slade, la gardienne du cercle sur le blogue qui lui est dédié. À la différence de la résidence de la CRÉ, par exemple, dont les visées sont plus ambitieuses, le Mandalab se définit comme un cercle citoyen, dans l’esprit du CitiLab de Barcelone, tout en s’identifiant plus particulièrement à une cercle de quartier. Mais, small is beautiful, la réflexion collective n’y est pas moins inspirante.

À l’occasion de ce cercle, une collègue est moi avons fait un appel aux participants en leur demandant de co-designer avec nous des bibliothèques plus participatives au plan du web, des espaces physiques, des services, des formations. Le résultat a été étonnant – selon l’étymologie du mot « étonner » qui signifie « frapper par le tonnerre ». Dans le mythe moderne du laboratoire faustien, il y a toujours un moment où ça explose avec des grands éclairs lumineux.

Pour aller plus loin :

* Merci à Samantha Slade et à Yves Otis de Percolab pour les enseignements autour de la méthode Équipage.

| Photo : Des participants de la résidence Montréal, ville apprenante à la Maison Notman, 19 mars 2013 |