Le Festival international des films sur l’art (FIFA) s’est achevé dimanche et la saison des prix a été généreuse. Une surprise, le film sur Duane Michals, The Man who Invented Himself, qui a remporté une mention spéciale, décevant à mon avis, et que j’aurais volontiers transformé en prix de complaisance. Même s’ils n’ont pas figuré au palmarès, j’ai envie de revenir sur quatre films célébrant l’architecture et le design qui ont été, pour moi, des moments jubilatoires. En bonus, un autre film sur la photo.
Ce sont les notes de mon inséparable carnet Moleskine, qui est mon espace de traces et de sens, celui qui soutient et prolonge mes efforts de contre-consommation de la culture.
1. The Practice of Architecture: Visiting Peter Zumthor | États-Unis | Michael Blackwood | 2012 | 58 min | Anglais
Le documentaire présente un long entretien entre l’architecte Peter Zumthor et le critique d’architecture Kenneth Frampton. Peter Zumthor appartient à une espèce d’architecte plus grand que nature, mais d’une nature en voie de disparition. Lauréat du prix Pritzker en 2009, il incarne cette tension entre la tradition et la modernité, oscillant entre l’attrait pour le naturel et celui pour le socialisé. Obsédé aussi par les rapports entre les ombres et la lumière, Zumthor aspire à créer des paysages habités par des installations existant comme si elles avaient toujours été là. Recherchant des effets de réduction dans un projet tantôt minimaliste tantôt heideggerien, Zumthor vise la chose, l’essentiel, le choc de la pierre, porté par le désir d’être enraciné en un lieu, dans cet interstice entre le sol et la terre. «Thrust the stone». Il signe des oeuvres qui sont monumentales, quelque soit leur dimension, comme The Memorial of the Burning Witches (avec Louise Bourgeois), Bruder Klaus Field Chapel, The Therme Vals, The Kolumba Museum.
Note : Peter Zumthor vient de remporter la médaille d’or du RIBA. À ce sujet, un article récent paru dans The Guardian complète ce portrait qui dévoile un peu plus ce créateur que l’on dit mystérieux. La traduction française de cet article est disponible sur Le Courrier de l’architecte.
2. Life Architecturally | Australie | Britt Arthur | 2012 | 52 min | Anglais
Ce documentaire suit le couple australien de starchitectes, Robert McBride et Debbie Ryan. On les connaît surtout pour The Klein Bottle House, récipiendaire de nombreux prix prestigieux. Cette maison d’été près de Melbourne a été créé d’après le modèle mathématique de la bouteille de Klein et son design, est-ce un origami et un coquillage ?, joue sur le motif très contemporain de l’amalgame entre l’intériorité et l’extériorité. La maison en forme de nuage adopte aussi ce vocabulaire ludique qui développe une continuité déroutante entre les murs et le sol. Le couple a ceci de fascinant que leur pratique collaborative est à ce point fusionnelle qu’on les décrit comme un seul auteur. En revanche, mais ceci explique peut-être cela, Debbie Ryan discute du sexisme structurel existant dans le monde de l’architecture. En contraste avec la haute architecture de Zumthor, McBride et Ryan sont engagés dans un projet d’usages ambitieux, mais à échelle humaine. Leurs écoles sont enthousiasmantes. Par exemple, la Pegs Senior retient la forme de l’infini pour créer une métaphore de l’apprentissage comme cheminement infini. Le concept géométrique qui est d’une grande poésie visuelle place à l’intersection des courbes, à la croisée des savoirs : la bibliothèque. Il faut voir aussi la Fitzroy Highschool qui intègre les nouvelles approches éducatives modulant l’apprentissage ouvert et les collaborations plus intimes.
3. Scandinavian Design Danemark, Norvège, Suède | Lone Krüger Bodholdt | 2012 | 28 min | Danois, sous-titre anglais.
Pas si génial, on en convient, ce documentaire réalisé pour la télévision suédoise fait partie d’une série. L’exercice visait, entre autres, à explorer les raisons expliquant la connection entre ces formes adulées et la région du monde qui les a vues naître. Mais, l’explication n’est jamais venue. Quoiqu’il en soit, les amateurs nostalgiques de design mid-century et autres fervents de la vague rétro ont pu s’en donner à coeur joie à travers les salles à manger scandinaves, les chaises, les lampes, la vaisselle, les tables, toutes ces choses affolantes conçues par les Alvar Aalto, Hans Wegner et leurs héritiers. Un pur condensé de simplicité, de minimalisme, d’expressivité. Intéressant de voir que la version technologique des nouveaux maîtres a ses contraintes propres. Entre la vente sur internet et la livraison d’un modèle en trois morceaux pour un acheteur qu’on ne verra jamais et qui doit réussir sa chaise du premier coup, il faut surpasser rien de moins que IKEA sur le territoire du design démocratique.
4. Janette la pionnière France | Danielle Schirman | 2011 | 59 min
Quel privilège que de rencontrer Janette Laverrière, designer et architecte, quelques temps avant sa mort en 2011 à l’âge de 101 ans. Ici encore, on dirait bien que dans le monde des objets, les femmes sont souvent plus à l’égal de ceux-ci (les objets) que de leurs confrères. Du coup, le projet esthétique de Janette est resté assez confidentiel. Cette créatrice méconnue a exploré une approche du design qui solutionne autant de problèmes qu’il ne pose de questions. Entendu que le design ce n’est pas de la décoration, ses miroirs sont des oeuvres qui nous entraînent de l’autre côté, aspirant nos images et nous retournant une vision réinventée de notre être. Ses «évocations» comme elle les désigne, souvent conçues en hommage avec des référents illustres, suggèrent une interprétation de nous-mêmes à travers le projet de transfiguration de l’art. Il faut voir le miroir La commune, un hommage à Louise-Michel ou le miroir L’origine du monde en hommage à Courbet, connu pour avoir appartenu à Lacan.
Alors qu’il est de plus en plus rare ne pas être désigné dans la grande encyclopédie libre, une des conséquences de cette consécration à voix basse, c’est que Janette Laverrière ne possède possédait pas encore de page Wikipédia jusqu’à maintenant. Prière de poursuivre.
5. La nouvelle objectivité allemande | France | 2012 | 20 min | Français
La qualité pédagogique de ce documentaire est exceptionnelle. Réalisé par Stan Neumann, ce film de la collection PHOTO est consacré à la « Nouvelle objectivité allemande ». Dans les années trente, c’est encore ici l’aventure d’un couple, allemand cette fois Bernd et Hilla Becher, engagé dans l’inventaire photographique de bâtiments industriels, ces chefs d’oeuvre en ruine : châteaux d’eaux, silos, haut fourneaux. Le protocole de leur démarche archivistique est stricte : un point de vue frontal, le cadrage au centre, respect du parallélisme, et le sujet qui est capturé par temps gris, mais sans nuages qui enjolivent la scène. Aucune anecdote, ni composition pittoresque qui pourraient compromettre la rigueur documentaire découlant des « typologies » qui en résultent. Cette pratique photographique inspirée par Eugene Atget et August Sander développe aussi une esthétique empruntée aux images d’identité judiciaire dont la recette est appliquée aux artefacts condamnés de l’ère industriel. Pas de subjectivité, mais une attitude qui a donné naissance à l’École de Düsseldorf. L’élève illustre des Becher, Andréas Gursky, a vendu l’une de ses photographies, intitulée « 99 cents », pour la modique somme de 3 millions de dollars en 2001 (et même un peu plus). Il vaut voir aussi son interprétation actuelle de l’objectivité à travers le viseur de la photographie numérique où Gursky a renoncé à capturer la réalité du monde pour lui préférer la réalité pixelisée de l’image.
Un regret, celui ne pas avoir vu « Dans un océan d’images », mais il y aura d’autres occasions.Vivement le FIFA 2014!
Nous sommes vraiment chanceux de pouvoir visionner toutes ces œuvres. De nous les avoir rendues accessibles dans ce carnet mérite de sincères remerciements et félicitations. Bref, Mme D. Martel, vous nous avez gâtés.
Merci à vous M. Pinsonnault de ces bons mots! Au plaisir de vous relire encore!