Le journal Rue Masson racontait cette expérience dans son édition du 24 avril 2013:
Quatre bibliothèques nouveau genre ont été inaugurées dans Rosemont mardi après-midi sous le parrainage de Michel Rabagliati. Ce sont des bibliothèques libre-service, des sortes de boîtes aux lettres où l’on retrouve des livres usagés qui attendent de nouveaux lecteurs. Ce projet est l’idée d’une citoyenne de l’est de Rosemont qui trouve qu’il manque de culture dans son coin de quartier.
Rosemontoise de naissance, Lyne Drouin a vécu à plusieurs endroits dans le quartier. « On a déménagé à l’est de Pie-IX. On aime ça, c’est beau, c’est vert, mais il n’y pas beaucoup de lieux de rassemblements, pas de bibliothèque, pas de centre culturel », se désole-t-elle.
Son amoureux tombe par hasard sur un article à propos des Little free library. Aux États-Unis, des mordus de livres, qui veulent faire partie du réseau, installent des boîtes à livres devant leur propriété. N’importe qui peut y prendre un livre, en échange d’un autre livre qu’ils ont déjà lu. Lyne Drouin trouve l’idée géniale.
La suite appartient aux mains besogneuses du comité Priorité culture qui, pour construire ces microbibliothèques, s’est inspiré des plans proposés par le réseau des Little Free Libraries lequel compte plusieurs milliers de membres aux États-Unis et dans le reste du Canada.
10 raisons pour créer des microbibliothèques
La diversité de ces initiatives un peu partout à Montréal et ailleurs dans le monde est impressionnante. Elles appartiennent à un ethos complexe de nouveaux usages qui condense la culture du faire-soi-même-la-ville, l’urbanisme tactique, la participation culturelle, la création et de la valorisation des biens communs, le partage des savoirs, l’essor des pratiques amateures, l’action locale citoyenne, la mobilité, la médiation ingénue, la lecture sociale.
En marge des bibliothèques publiques dont elles se servent souvent comme d’un repoussoir, ces bibliothèques émergentes sont à la hauteur du regard, à portée de la main et de l’autre, notre voisin, notre voisine à qui l’on tend l’autre main. Ce sont des bibliothèques comme tiers lieu, mais dans la rue, qui favorisent les rencontres décontractées, informelles et bruyantes, la confiance, le désordre, la sérendipité, l’événement, l’injection du jeu dans l’espace public.
Gratuites, sans frais de retard, sans enregistrement… les collections collaboratives des microbibliothèques fonctionnent hors les murs et le système, hors les politiques, les règles de ceci et de cela, tout le rituel souvent cryptique et anxiogène conduit par les agents de la circulation et les institutions de la lecture publique.
Que les microbibliothèques soient créées par des bibliothécaires bénévoles, des artistes, des designers ou des institutions, les avantages de ces dispositifs sont multiples, à commencer par la réconciliation d’une communauté avec la culture et le savoir.
Les microbibliothèques sont des occasions de :
1) faciliter l’accès en réduisant les obstacles matériels entre les gens et le livre. Elles permettent de rejoindre les clientèles mal desservies pour des raisons socioéconomiques ou qui sont géographiquement situées dans des corridors éloignés.
2) faire de la littéracie l’affaire de la communauté. Qu’est-ce que la littéracie ? C’est la clé pour déverrouiller les capabilités et le futur des gens.
3) contribuer à abolir les murs culturels qui sont de l’ordre des représentations du pouvoir. Ce sont les barrières que dressent l’institution, son autorité, sa posture de légitimité et qui la rende inaccessible pour plusieurs. Une microbibliothèque doit faire sa place comme tous les autres dans la concurrence de la rue. Elle est fondée sur une relation différente, d’égal à égal entre les citoyens ou avec les bibliothécaires lorsqu’ils sont partie prenante. À échelle humaine, elle permet de rejoindre ceux qui sont socialement exclus.
4) favoriser les échanges et les conversations entre les gens, entre les voisins autour du livre. Les microbibliothèques sont des leviers pour la création de liens entre les citoyens, et plus généralement, pour la création de communauté. Elles enrichissent la sphère publique.
5) promouvoir la lecture, le livre et la bibliothèque en forgeant une image et une expérience positive et renouvelée de celles-ci.
6) délocaliser la bibliothèque pour investir la culture urbaine. En prenant le risque de la rue, la bibliothèque se retrouve dans cet entre-deux, une zone à la fois sauvage et socialisée, lieu de fête comme de résistance et où elle participe à la recherche des significations nouvelles pour la culture dans la ville.
7) insérer la bibliothèque dans le monde des réseaux. En la fragmentant, la bibliothèque se représente comme un appareil mobile, ludique, ouvert, flexible, adaptable. Et, les microbibliothèques disposent souvent de prolongement sur le web et leurs images circulent de façon virale.
8) s’engager dans le mouvement des communs. Les microbibliothèques contribuent à réinventer les usages, via des pratiques et des échanges non marchands, au profit de la création de la valeur par les biens communs.
9) amorcer des réflexions et des créations collectives dans l’espace public.
10) participer à l’animation de la rue pour les piétons en offrant des promesses d’échanges et d’interactions, en valorisant l’expérience culturelle locale, en introduisant de la sérendipité, du désordre, des éléments ludiques dans les trajets. À travers la marche et la culture, elle agit en faveur d’une ville durable.
La diversité des matériaux, des supports et des formes de mobilisation auxquels les créateurs de microbibliothèques ont eu recours est à la mesure de l’imagination humaine et…des spécificités locales. On a vu des cabines téléphoniques, des abris bus, des salles de lecture portables, des bibliobox, des clés USB, des vélos et même un char d’assaut détourné et recyclé en «arme d’instruction massive» par un artiste en Argentine.
Pour aller plus loin :