BloguesMarie D. Martel

Le café des savoirs libres à Montréal : Wikipédia et Open Street Map en bibliothèque

Montreal08

Les Bibliothèques de Montréal (BM) ouvrent leurs portes aux amateur.e.s des savoirs libres ! À l’instar de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), et de tant d’autres bibliothèques et institutions éducatives dans le monde, les BM collaborent désormais avec la Fondation Wikimédia pour faire connaître le projet de l’encyclopédie Wikipédia et proposer des ateliers dédiés au processus de contribution à l’édition francophone. Cette nouvelle initiative coïncide avec le passage à Montréal du fondateur de Wikipédia, Jimmy Wales dans quelques jours.

Au début de l’année, Wikipédia entamait les  célébrations entourant son quinzième anniversaire en invitant les bibliothécaires à participer à ces festivités et à l’encyclopédie. Au-delà de l’événement, quelques uns d’entre eux, liés aux activités de Bookcamp Montréal, ont fait le pari de poursuivre cette invitation dans la durée à travers des rencontres mensuelles dans les BM.

On le répète partout : Wikipédia est l’un des cinq sites les plus visités sur Internet, consultés chaque mois par près de 480 millions de visiteurs, il compte plus de 29 millions d’articles en 280 langues. Le projet Wikisource, qui constitue en lui-même une bibliothèque riche de 180 000 textes libres et gratuits, et celui de Wikimedia Commons, avec près de 27 millions de fichiers d’images, composent ce vaste réservoir des connaissances du monde. Wikipédia représente la principale source de référence au monde, la première source de documentation des écoliers et des étudiants. Si la référence a encore un sens en bibliothèque, leur destin est lié.

Par ailleurs, ce dépôt colossal des savoirs humains comporte des lacunes qui sont à la hauteur des contributions. Le volet québécois, qui est aussi montréalais, est préoccupant. Si l’on juge que le territoire des nouvelles entrées dans l’encyclopédie est presque couvert aujourd’hui, il n’en est pas de même pour le portail du Québec qui apparaît comme le « parent pauvre » de Wikipédia. L’importance de ces rendez-vous dans le contexte local prend ici une dimension d’autant plus significative en termes de responsabilité sociale:

Quand l’un ou l’autre des 20 millions de francophones qui visitent Wikipédia fait par exemple une recherche sur l’histoire du Québec, que trouve-t-il aujourd’hui ? Il ne trouve ni projet de développement de ce champ de connaissance, ni communauté de wikipédistes qui anime un tel projet, ni même un portail qui sert de vitrine présentant aux visiteurs le meilleur du contenu sur ce thème. Il trouvera au mieux, disparates et lacunaires, environ 5000 articles qui traitent de ce sujet, dont 80 % sont à peine des ébauches. Une étude de la Fondation Lionel-Groulx réalisée en 2014 afin d’évaluer la qualité des articles traitant de 10 grands événements de notre histoire et des principaux personnages associés à ces événements, étude portant sur plus de 200 articles, confirme la lamentable pauvreté des contenus sur le Québec et son histoire dans Wikipédia.

Résultat de l’absence de préoccupation et de soutien gouvernemental et institutionnel, de l’indifférence du milieu académique et du milieu de l’histoire, du manque de formation et de ressources, cette situation déplorable ne peut plus être ignorée par les personnes qui ont le Québec au coeur et qui ont à coeur la promotion de son histoire.(Pierre Graveline, « Le Québec, parent pauvre de Wikipédia », Le Devoir)

Pourtant, quelques wikipédiens dévoués encouragés par des esprits éclairés comme l’ancien PDG de BANQ, Guy Berthiaume et son équipe, ont soutenu le développement de l’encyclopédie au Québec. Il faut espérer que leurs successeurs continueront à revendiquer cette vision forte et engagée dans les savoirs libres pour favoriser la présence des contenus québécois sur le territoire numérique. Depuis 2014, les Mardi, c’est wiki ainsi que d’autres projets emballants ont vu le jour à la Grande bibliothèque:

Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ ) possède une masse d’ouvrages et de documents, anciens et modernes, ainsi que de riches archives portant sur les grands thèmes abordés, et met à la disposition des participants la documentation nécessaire à l’écriture d’articles wikis bien documentés. Les participants bénéficient sur place de l’aide de contributeurs d’expérience, ainsi que du soutien de bibliothécaires et d’archivistes spécialisés. Ces ateliers visent à améliorer le contenu francophone de Wikipédia, à augmenter le nombre de contributeurs québécois, à tirer profit des ressources documentaires et professionnelles de BAnQ et à mieux faire connaître le Québec, la Nouvelle-France, le Canada français ou, plus largement, l’Amérique française.

On ne peut que souhaiter que cette collaboration avec des wikipédiens-en-résidence se prolonge de façon durable afin de consolider les efforts et multiplier les activités, ateliers, édi-athons, etc., autour de la création de contenus québécois au moment où les autres bibliothèques publiques québécoises vont de l’avant.

Les Jeudi c’est wiki dans les bibliothèques de Montréal viennent prolonger par une proposition locale, cette initiative exceptionnelle en visant à sensibiliser le personnel des bibliothèques, à augmenter le nombre de contributeurs québécois et, particulièrement, à faire croître la présence documentaire et la visibilité de Montréal sur le web à l’aide des citoyens.ne.s passionné.e.s de leur quartier et des sociétés d’histoire. C’est aussi l’occasion de faire rayonner l’intelligence collaborative de Montréal au moment où le palmarès des villes intelligentes du Intelligent Community Forum (ICT) est en cours.

L’originalité des ateliers montréalais consistent à accueillir également des formateurs d’Open Street Map (OSM) qui ajoute à l’offre la transmission de l’art de la cartographie libre.

Cette communauté nomade Wiki & OSM adopte le rythme souriant des voyageurs du code et se déplace à chaque fois dans une nouvelle bibliothèque le dernier jeudi de chaque mois. La formule conviviale est celle d’un café-conversation où l’on s’appuie sur la force des apprentissages informels, du pair à pair, de la création collaborative de biens communs, pour s’ancrer. Ce sont des tiers-lieux éphémères dont les retombées sont pérennes. Déjà deux rencontres se sont déroulées à la bibliothèque Mordecai-Richler (en collaboration avec Mémoire du Mile End) et à celle de Frontenac. Une flotte de portables est mise à la disposition des participants qui n’auraient pas accès à des équipements; on offre aussi le soutien aux compétences numériques, et ces conditions sont intégrées dans une démarche globale de partage des savoirs et de littératie numérique.

Au-delà de Montréal, les bibliothèques publiques du Québec ont démontré leur intérêt à prendre la relève en invitant le vice-président de la Fondation Wikimédia Canada à relater ces initiatives québécoises lors du prochain Rendez-vous des bibliothèques publiques.

Pour mémoire, voici quelques unes des raisons qui ont déjà été énoncées pour inviter les wikipédiens en bibliothèque :

1. Il existe une convergence entre la mission de Wikipédia et celle des bibliothèques autour de l’accès libre et universel à la connaissance :

La mission de Wikimedia est d’habiliter et de mobiliser les gens dans le monde entier pour collaborer, développer des contenus éducatifs ouverts et les diffuser efficacement partout. Nous voyons les bibliothèques comme nos partenaires naturels dans cette entreprise. En travaillant ensemble, nous pouvons promouvoir la connaissance scientifique et culturelle, la maîtrise de l’information et l’accès ouvert.

2.Wikipédia clame haut et fort son amour des bibliothèques. La bannière et le modèle Wikipedia Loves Libraries proposent des ressources, des liens et des activités pour favoriser un rapprochement avec les bibliothèques.

3. Les wikipédiens veulent étendre le registre des sources utilisées grâce aux bibliothèques, ce qui signifie aussi d’autres types d’encyclopédie!

4. L’utilisation et la valoriation des collections de la bibliothèque, et notamment de présenter les ressources en ligne.

5. La venue des wikipédiens amène des nouveaux usagers, vraisemblablement des réguliers, ce qui favorise la fréquentation.

6. Les bibliothèques aiment non seulement l’information valide, elles aiment aussi accueillir les citoyens et les soutenir dans leurs projets territoriaux, selon qu’ils portent sur des sujets qui intéressent la communauté ou qui concernent l’identité locale.

7. La référence morte ou vivante ? La section de référence se meurt dans la bibliothèque, les ouvrage ont été élagués, remplacez celle-ci par une section vivante! La question est ouverte quant à la forme que prendra cette relation qui oeuvre à l’émergence d’une nouvelle référence vivante. Ce défi est précisément posé et expérimenté, avec le personnel et les usagers, lors des cafés Wiki-OSM.

8. Réduire le fossé des genres ? L’équation est à la fois simple et compliquée. Les wikipédiens sont, dans une majorité écrasante, des hommes et les bibliothèques appartiennent à un milieu principalement composé de femmes, que ce soit pour le personnel ou les publics. Ces exemples récents d’édi-athon lors du 8 mars, et de cette étudiante qui crée des articles sur le rôle des femmes dans l’histoire des sciences depuis l’âge de 12 ans, sont assez éloquents à cet égard. Car si le portail du Québec est pauvre, les contenus qui concernent les femmes ou le féminisme et son histoire au Québec, apparaissent dans une situation encore plus précaire.

Surveillez le prochain café Wikipédia & OSM dans une bibliothèque près de chez vous, ou à la Grande bibliothèque, mardi prochain, le 5 avril à 17h.

| Source : Wikimédia, auteur : Jean-Marc Plumauzille, http://www.acasafeliz.com, oeuvre personnelle, GFDL et CC-BY-SA-3.0 |