On se lève à 5h du matin. On espère que le déjeuner sera le bon et l’équipement aussi. Je dis «on» puisque, maintenant, je ne suis plus seule à me lever à 5h du matin dans la nuit noire, à me demander si le déjeuner est le bon et l’équipement aussi. Mon chum s’est mis au demi, on se comprend.
J’en ai fait plusieurs, je n’arrive plus très bien à les compter; les dossards et les médailles sont dans les boîtes d’archives familiales ⏤ en gros, deux par année depuis 2013, une dizaine. Une passion? Ou une manière de vivre pour mieux aimer la vie.
Les passagers et les passagères qui portent des dossards envahissent le métro à six heures, et on sent la fébrilité dans l’air souterrain. Il est d’ailleurs possible de personnaliser son dossard et d’y faire écrire son nom par exemple; les encouragements de la foule prennent un tour plus familier : « Go Marie!» … quoique que je courais avec deux autres Marie cette année 😉 Mais, à côté de moi, dans le métro ce matin à six heures, il y avait cette coureuse seule avec elle-même et son dossard sur lequel elle avait fait écrire « Merci la vie. » Première émotion de la journée, les coureurs et les coureuses ont leurs raisons de courir, et la course est souvent le signe d’une victoire sur autre chose.
Après le déjeuner et l’équipement, la température et le parcours figurent parmi les principaux sujets de prédilection et de préoccupation. Les conversations qui sont reliées à ceux-ci tournent en boucle pendant des mois avant le Jour « J ». Et même au-delà puisqu’il semble que les coureurs n’arrêtent jamais vraiment d’en parler en convoquant les années antérieures et les anecdotes qui s’y rattachent, comme un récit en randonnée qui s’intensifie à mesure qu’avance la préparation d’une nouvelle épreuve. Réglons la question pour cette fois : Il a fait beau et chaud… Mais plus chaud qu’en 2018 où les conditions étaient parfaites, mais moins qu’en 2017, qui, pour moi, a été un véritable cauchemar : j’ai épuisé, outre moi-même, mon répertoire complet de sacres en duo avec ma co-coureuse, j’ai refusé d’enfiler mes fidèles Brooks pendant plusieurs mois après cette ÉPREUVE et je me suis débarrassée du tee-shirt ⏤ laid ⏤ de cette édition pour mieux l’oublier. Et voilà comment ça repart : En 2016… en 2015, etc…
Le parcours. Depuis que le départ ne se déroule plus obligatoirement sur le vénérable pont Jacques-Cartier, ce que l’on peut observer au sujet de la température se produit aussi pour le parcours. Tout le monde a son point de vue sur le design de parcours. J’en ai un aussi, et notamment sur le parcours de cette année que j’ai adoré. Connaissant assez bien le quartier Hochelaga-Maisonneuve, j’avais bien prévu que les gens seraient au rendez-vous et dehors pour encourager les coureurs ⏤ et que, pour une fois, on ne finirait pas la course, en disant : « Ah, c’est tellement mieux à Ottawa où toute la ville est sur le trottoir et où les citoyen(ne)s rivalisent d’imagination pour vous faire rire avec des pancartes délirantes, pour vous donner des ailes et des tape m’en cinq. Et bien, courir dans l’est, qu’on se le dise, c’est aussi réjouissant qu’Ottawa et les autres capitales prisées par les bandes des grands chemins. Évidemment, comme j’ai tendance à vouloir remercier tou(te)s les bénévoles le long du trajet, ça demande un surplus d’efforts dans l’équation du carburant carbo-neutre : quoiqu’il en soit, je les remercie infiniment, ils et elles étaient magnifiques ⏤ et les Rosemontois(es) aussi.
Les nouveaux parcours permettent également de gambader aux côtés de l’élite : Nous avons vu, à quelques pas de nous, mais autrement plus rapides je le confirme, Boniface Kongin et Mohamed Aagab précédés de ces officiels en moto qui nous criaient, plus ou moins élégamment faut-il le préciser, de se ranger pour les laisser passer. Wow quel spectacle! Mais le clou de ce parcours a été, sans l’ombre d’une hésitation, ce cadeau qu’a été la traversée du Stade olympique avec deux rangées de jeunes sportives qui, avec leurs pompons comme des essaims de mouches à feu, faisaient scintiller ce lieu culte en formant une haie d’honneur pour nous, oui pour nous le monde de la foulée ordinaire. On avait du mal à respirer tellement les émotions nous étreignaient. Et, expérience ultime, nous sommes entrées, mes copines et moi, dans le stade en même temps que Grace Momanyi qui a remporté les honneurs du marathon chez les femmes.
C’est vrai qu’il y a eu ce retard au départ d’une cinquantaine de minutes, voire une heure, une situation regrettable qui a terni l’événement avant même qu’il est commencé ⏤ mais heureusement que l’on n’était pas sur le pont Jacques-Cartier où l’on gelait par définition…
Cette année j’ai couru avec des girls extraordinaires, merci mes amazones.
Il m’est arrivé d’aller inscrire les résultats des gagnant(e)s dans la page Wikipédia du Marathon de Montréal au cours des dernières années. Cette fois, un wikipédien m’a doublé de vitesse. Je vais revoir ma stratégie l’an prochain.
Depuis que ma mère m’a libéré du carrosse, à un an et quelques semaines, je fais de la course à pied. Par tempérament bien plus que par talent naturel. J’aime ça! Tout est là. Et à six ans , mon père, ingénieur à une époque vampirisée par les curés et les docteurs, mon père m’amenait voir passer les trains, devant la gare de triage d’Outremont. Ça m’incita aux voyages, au grand air et aux « autres » qui habitent les vrais pays de notre planète.
Hier, j’ai couru trente minutes loin du marathon, pour aller voir ailleurs, dans l’air du temps à venir, mais aussi pour me souvenir de mon temps plus jeune, quand je le courais le marathon de Montréal. On partait du pont Jacques Cartier, tout en haut de notre fleuve, et le pont tremblait de toutes ses poutres, mais doucement sous le bruit de nos pas. Ça le rassurait et le faisait mettre en action ses membres, avant l’invasion des chars motorisés, le lundi d’après. Le départ n’est plus sur le pont, et l’auto le tue, ce pont, lentement mais sûrement.
Hier, donc, un 30 minutes vers le MIL, le nouveau pavillon des Sciences du l’UdeM. Merveille! Des bâtiments tout en verre, qui laissent entrer la lumière du jour jusque dans les classes. Et en surplomb, pas pour narguer le bas paysage, mais pour le mettre en évidence. Sur toute sa longueur. La longueur mise en évidence par la hauteur, il y a du Einstein la-dedans, je trouve. Et haut, une passerelle, pour aller s’y perdre, sans moteur, sans parachute, à pied.
J’ai fini mon jog dans la côte, en remontant sur la passerelle, un peu. Juste un peu! Fatigué, comme si j’avais couru un marathon. Mais d’une bonne fatigue, selon mon âge et le parcours, surtout, hors de mon entendement connu. Après avoir vu ce MIL, arrivé au bout de ma course, je respirais par les yeux. Comme sur le pont Jacques Cartier, il y a 40 ans, avant le départ du marathon de Montréal. La respiration, tout est là, peu importe votre âge. Et la science, la vraie, nous dit ce qui est, pas ce qu’il faut faire…