Difficile de critiquer en région. Être artisan de la culture en région est un exploit en soi, alors critiquer le travail de ceux et celles qui la font relève de l’acte de pur courage, de celui qui nous faisait admirer les preux chevaliers. Parce que si tu critiques, tu te feras trancher la tête. Les raisons en sont fort simples, et même compréhensibles. Quand une compagnie de théâtre (par exemple) attire un public restreint et la plupart du temps déjà converti, aller dire dans le journal ou à la radio que la pièce manque de ci ou de ça, que tel ou tel comédien joue mal ou avec un français pas très international, c’est tirer dans le pied d’une industrie qui peine à survivre. Mais plus que ça, la proximité régionale fait en sorte que le comédien que tu as vertement critiqué, tu vas le croiser avant qu’une semaine ne soit passée dans un vernissage, un 5 à 7, bref, faudra que tu te justifies en personne.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
L’objet qui soulève la critique aujourd’hui est une initiative du RAJ02 (Regroupement action jeunesse) et de Migraction, qui ont pour mission de garder nos jeunes ici, en région. Leur intention est louable. Ils ont conçu un hymne régional, un air qui se veut rassembleur et identitaire. On peut le voir ici, sur Youtube. Du côté de l’organisme on dit que cela fait partie d’un projet plus grand, qu’il faut attendre de voir le vidéoclip (fiou, je pensais que les mauvaises photos en boucle étaient un vidéoclip) et tout ce qui s’en vient d’autre. Oui, l’intention est bonne, et le RAJ ne fait pas que des mauvais coups. Leurs initiatives concrètes et le poids politique qu’ils ont réussi à gagner dans les dernières années méritent un grand respect. Cela ne veut pas dire être complaisant et applaudir tout ce qui sort de leurs comités exécutifs. Alors j’en suis fort désolée, mais vraiment, pour l’hymne régional, c’est raté.
L’esprit critique
Dans un cours de philosophie au cégep, je devais fumer moins que dans mes romantiques souvenirs de jeunesse, puisque j’ai retenu les principes de base de l’esprit critique. L’esprit critique n’est pas acerbe ni sceptique, ni asservi par la culture populaire. Il ne se contente pas d’un seul point de vue et se permet de questionner les experts. Mais surtout, il se permet de remettre leur avis en question. Il ne se contente pas de prescriptions et de phrases toutes faites. J’ai 30 ans. J’ai grandi entourée de slogans et mon cerveau s’est développé au rythme des maîtres de la formule. Quand ma fille de 5 ans a dit, en mangeant des Smarties samedi dernier, « Regarde maman, je garde les rouges pour la fin« , j’ai failli faire une syncope. Il est grand temps que je l’initie à l’esprit critique. Penser par soi-même est un objectif éducatif réaliste et honorable.
Langue de vipère
La critique est bonne si elle saisit le sujet avec les bonnes manières. Je ne parle pas ici de complaisance, voire de chauvinisme. Mais de respect, dans sa plus simple expression. L’opinion-poutine dégouline partout sur les réseaux un peu trop sociaux, le Détesteur l’a d’ailleurs violemment dénoncé cette semaine sur son blogue. Bien que cette critique ne soit pas un exemple en soi, elle parle d’elle-même. On n’en peut plus d’entendre tout le monde chiâler comme des chauffeurs de taxis (ici le cliché sert d’image, ok?). Mais surtout, les réactions virulentes et anonymes, de personnes assises derrière un écran, fatiguées de la lassitude quotidienne, qui ont un besoin d’un peu d’action, prêtes à tirer sur tout ce qui bouge. Par exemple le texte de ma collègue au Voir arts visuels, Stéfanie Tremblay, au sujet de sa ville natale, Jonquière (Urbania, 7 décembre 2011). Le texte en soi était lucide. Critique, mais portant un regard plutôt réaliste sur ce qu’est devenue cette ville. Le texte a été retiré, suite à des commentaires tels que « cette fille doit avoir du sable dans le vagin« … faut-il vraiment que j’en ajoute? Vous saisissez? Respect.
Ceci n’est pas une critique
La vraie critique existe peu. La belle critique, celle qui relève les faiblesses en construisant une réflexion qui peut servir le créateur. La critique sincère, qui se veut une alliée, comme une meilleure amie doit vous parler de ce grain de poivre entre vos dents. Parfois difficile à prendre, peut-être même à comprendre, la vraie critique peut être un plat qui se mange froid. Mais elle peut aussi servir de contrôle de qualité, afin d’éviter de tomber dans la répétition et la paresse. Car, tant qu’à parler de critique, il faut se l’avouer. La couverture régionale en matière de culture sert surtout à faire la promotion de l’offre de diffusion, et on essaie de remplir les salles tant bien que mal. Mais personnellement, je pense que si on ose critiquer l’initiative Migractive, c’est parce qu’on sait qu’il existe, ici, le talent pour assurer. Tristement, et malgré toutes les bonnes intentions, la qualité du produit n’est pas digne de ce que la région produit en terme de professionnalisme musical, cinématographique, artistique. Il provoque un malaise, une gêne. J’aimerais bien savoir ce qu’un critique de l’extérieur en dirait. Tiens, je pense que je vais faire le test, et je vous reviens…
Enfin, si vraie critique il y avait, on ne serait pas pris depuis autant d’années avec des productions désuètes comme La fabuleuse histoire d’un royaume ou pauvres artistiquement comme les medleys musicaux à « grand déploiement » et dont le public se contente.
C’est vrai que pour les arts de la scène, critiquer est plus délicat et les artistes semblent plus nerveux. Pourtant, la littérature, le cinéma ou les arts visuels ne devraient pas causer de problèmes dans votre région. J’ai eu l’occasion d’assister à des spectacles de troupes de théâtre abitibien et aussi du Nouveau-Brunswick qui étaient en tournée dans la grande région de Montréal (Théâtre du Tandem et Théâtre populaire d’Acadie). J’ai entendu ces artistes parler des difficultés à recruter des acteurs et aussi des spectateurs lorsqu’ils se produisent dans des régions à faible densité de population.
Je n’ai pas encore été décapité, car dans la région montréalaise, les artistes semblent considérer ces critiques avec plus ou moins de sérieux. Les seuls accrochages que j’ai eu à subir provenaient de journalistes reliés au domaine culturel qui me considérait comme une menace pour leur emploi. L’internet est une bête qui fait peur à plusieurs parce qu’il se faufile partout et sans restrictions d’ordre éthique. Ces incidents sont très rares cependant et le critique-internaute du Voir.ca doit être identifié pour que cela se produise. Il faut espérer que l’opinion-poutine ne contaminera pas le site du Voir. Je suis un peu surpris qu’on retire le texte d’une journaliste du Voir à cause des commentaires déplacés. Il serait plus simple de faire respecter la nétiquette.
« La belle critique, celle qui relève les faiblesses en construisant une réflexion qui peut servir le créateur »¸
Toute critique publique est un exercice d’orgueil, qu’elle soit Bonne ou Mauvaise; La faire en invoquant l’intérêt général ne la rend pas plus virtueuse.
» Le texte en soi était lucide. Critique, mais portant un regard plutôt réaliste sur ce qu’est devenue cette ville. Le texte a été retiré, suite à des commentaires tels que « cette fille doit avoir du sable dans le vagin« … faut-il vraiment que j’en ajoute? Vous saisissez? Respect. »
Le respect de son éditeur fut de défendre son auteure. En retirant le texte, c’est avouer que l’auteure était dans le tort et qu’elle racontait des sottises. Est-ce vraiment le cas?.
Comme de plus en plus de médias l’exigent, l’identité réelle des « commentateurs » ainsi que leurs informations personnelles auraient pu éviter cette fâcheuse situation. D’autant que dans ce cas-ci, le déblatérage disgracieux semble plutôt être le fait d’un plaisantin qui, n’ayant rien à faire, se moque des autres commentateurs.