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Liberté: gratuit

Je travaille dans le domaine de la création. Dans un domaine où tout-à-coup, parce que la nouvelle caméra HD de Sony est en spécial chez Costco, les vidéos de bébés qui pètent avec de la poudre entre les fesses pullulent sur Youtube. Avec un minimum de débrouillardise, on peut cracker Photoshop et se prétendre designer graphique. En plus, tout le monde a offert un nouvel appareil numérique à tout le monde pour Noël. On peut donc tous se joindre au mouvement global et envahir la planète de millions d’images, parfois jolies, parfois en mouvement, parfois ridicules, souvent plus révélatrices des nouvelles perversions de la société qu’autre chose.

Mais un phénomène est fascinant. Dans ce monde où nous sommes submergés d’images, de couleurs ultra-saturées, de beaux bodys photoshopés, de faux vintage mal vigneté, la plupart des gens font preuve d’un manque d’imagination épeurant. Je parlais récemment avec un professeur d’art au primaire qui me racontait que désormais, quand on demande aux enfants de dessiner quelque chose, ils ont d’abord besoin d’aller voir sur Google images marque déposée. Plus de bonhommes disproportionnés, avec les doigts en boudins et le ventre rond. Plus de chats avec plus de moustaches que de poils. Plus de monstres mauves aux orteils en tirebouchon. Non. Des images toutes faites, copiées, pré-mâchées, imaginées par quelqu’un d’autre. Offertes sur une interface virtuelle bourrée de pubs. Bref, ça promet pour les générations futures en terme de créativité.

L’acte de création peut certainement contenir une part d’inconscient collectif, de quelque chose d’innommable, dans l’air du temps. Une part de clichés, de déjà-vu, de pastiche. Mais le verbe créer veut aussi dire tirer du néant, inventer. Aujourd’hui, c’est comme si toute création semblait impossible, au sens propre du terme. Certains sont si résignés, qu’ils disent que tout a été fait. Pire, semblerait qu’on est mieux de se fier aux experts. Surtout ne pas laisser poindre le doute à l’intérieur. Si la télévision l’a dit, si la télévision dit qu’une vedette l’a dit, ça doit être vrai. Si tout le monde le fait… pourquoi pas? On fait des sondages, on analyse les statistiques, pour savoir quel pourcentage de personnes pense ceci, ou cela. Avouez que vous êtes tentés de changer votre réponse pour appartenir au groupe le plus imposant. Quelle sera la couleur tendance cette année? Allez, dépêchez-vous de refaire la déco!

L’appel à la masse est un sophisme insidieux. Parce que quelque part, inconsciemment, on veut tous être acceptés par la meute. Mais il faut se poser la question. Qui mène dans votre vie? Qui suivez-vous? Parce que l’influence est insidieuse, omniprésente, même culpabilisante. Quoi, t’as pas vu ça?? Mais au fond, qui veut être comme tout le monde? Tout le monde n’est plus sur d’avoir vraiment voulu voter NPD, ne sait plus s’il est souverainiste, regarde les nouvelles le coeur serré même s’il se sent plus ou moins concerné. Tout le monde travaille comme un fou, trop d’heures par semaine, tellement qu’il ne voit pas grandir ses enfants qui appellent la gardienne maman. Tout le monde est stressé, tout le monde a mal au dos, fait des ulcères ou de l’urticaire. Tout le monde cherche l’équilibre, tout le monde voudrait être libre…

Heureusement, il reste une forme de liberté que personne ne peut brimer ou censurer. Elle demande qu’on s’occupe d’elle comme d’une amie. Elle a besoin d’un peu d’attention chaque jour, d’un peu d’efforts, d’un peu d’amour. Cette liberté-là, c’est la liberté d’esprit. Cultivez-la, c’est ce que vous possédez de plus précieux. Transmettez-la à vos enfants, ils changeront le monde. Éteignez la télé, sortez une feuille blanche (pas un autre dessin moche téléchargé sur un site poche avec des contours à remplir de couleurs pis un copyright en bas). Prenez une boîte de carton, faites-en autre chose. Vous n’avez pas d’enfants? Faites-le quand-même!! Sortez dehors, laissez-vous émerveiller, nourrissez-vous. Car l’imagination et la capacité de créer sont parmi les plus beaux trésors de l’humanité et nous avons le devoir de les préserver. Au-delà de tout ce qu’on essaie de nous faire consommer, les instants gratuits, les fuites dans l’imaginaire, les moments de liberté mentale sont une solution alternative très bon marché. Simple, beau, bon, pas cher.