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Voir plus loin que le bout de son nez

C’est dans la stupéfaction la plus totale que Voir a décidé de mettre fin à la publication du journal ici, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les réactions sont vives, et à vif. C’est vrai que ç’a été fait de manière plutôt cavalière. Une erreur de courriel a fait en sorte que j’ai appris la nouvelle en même temps que la plupart des gens, sur Facebook. J’avoue que l’effet est assez ordinaire. Quand on travaille quelque part, même comme pigiste, même de loin, on développe un certain sentiment d’appartenance. On se sent dans l’équipe, et oui, ça donne un coup à l’orgueil d’apprendre la nouvelle en même temps que le grand public, et sur les réseaux sociaux en plus. Mais bon, c’est comme ça.

Je ne suis pas à plaindre. Voir est loin d’être mon gagne-pain. Je ne suis pas en lock-out depuis des mois, je n’ai pas perdu mon poste à Radio-Canada, je perds tout au plus un léger revenu d’appoint. Pour Joël Martel, mon rédac en chef que j’adore, la nouvelle fesse sûrement un peu plus. Sans préavis décent ni possibilité d’assurance emploi, j’irais même jusqu’à dire que c’est chien. C’était son emploi. Pour quelqu’un qui a façonné le visage de Voir Saguenay/Alma à sa manière, l’attachement devait être fort… c’est comme un bébé, qui naît chaque semaine.

Dans ma réalité, la main de Joël Martel c’est celle qui me sort de mon quotidien de graphiste et de mère. Un matin une fois de temps en temps, le téléphone sonne. Joël. « Heille Marielle, ça te tente-tu de faire une entrevue avec Fat Mike, de NOFX? ».  J’ai eu des opportunités comme ça, de parler avec des tas d’artistes d’ici et d’ailleurs. C’était mon nanane, mon plaisir coupable de groupie refoulée et d’écrivaine ratée.

Mais au-delà de tout ça, force est de constater que Voir laisse un grand trou béant pour le milieu culturel régional. Il ne faut pas compter sur les grands médias, pour couvrir la culture en région de manière complète et approfondie. Alors que le Théâtre du Faux Coffre en était à son premier spectacle, on entendait surtout parler de la controversée page couverture du magazine Rolling Stone, ça vous donne une idée! Donc, on ne sait plus qui mettra en valeur nos petites et grandes compagnies de théâtre et leurs productions locales. Personne non plus pour produire une analyse juste et sensible d’une exposition en art actuel. Silence radio pour les bands émergents. C’est un milieu actif, bouillant de culture et regorgeant de talent qui se retrouve un peu orphelin. Il y a bien cette magnifique initiative, une revue fort bien faite, née il y a un an à peine, qui s’appelle Zone Occupée. Mais les parutions étant très espacées, les textes étant des articles de fond, le mandat du journal hebdomadaire couvrant l’actualité culturelle demeure vide. C’est d’une tristesse infinie.

Pour l’instant.

Car on le dit depuis longtemps, même si la réalité nous rattrape concrètement aujourd’hui, le papier serait voué à disparaître. Donc, en attendant, j’ai et je propage l’espoir que Voir développe la possibilité de conserver ses pigistes en région, et de continuer à produire une édition virtuelle du journal. Le milieu en a besoin. Terriblement besoin.

Soyons patients, avant de crier à l’infamie et de faire notre deuil. Nous avons ici une pépinière de talents, c’est bien connu. Si Voir ne se donne plus le mandat de le diffuser sur papier, espérons que quelque chose de nouveau émergera. Ce serait encore mieux si ça venait du milieu lui-même. Alors, au lieu de nous plaindre et de geindre, pourquoi ne pas mobiliser le milieu? Trouver des partenaires? Se prendre en main et diffuser notre culture, coûte que coûte? Des idées? Il me semble que ce n’est pas ça qui manque, par ici…