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La prise de parole. En éducation.

Une de mes premières découvertes lorsque je me suis mis à écrire en public via mon blogue en octobre 2002 a été de réaliser qu’aux yeux de plusieurs, je prenais un grand risque : prendre position de l’intérieur d’une école !

La prise de parole en public a beaucoup augmenté avec l’arrivée des médias sociaux. Autrefois réservé à un petit nombre (journalistes, artistes, politiciens, etc.), monsieur / madame tout le monde peut maintenant s’exprimer dans l’agora; avec plus ou moins de succès, il faut bien l’avouer. Certains n’ont rien à dire – ou si peu – et sont une sorte de bruit, mais heureusement, plusieurs nous étonnent par l’originalité et l’à-propos de leurs messages.

En éducation, nous sommes quelques-uns à avoir saisi le clavier et je m’étonnerai toujours d’un phénomène qui me paraît être suspect.

Il concerne le nombre de personnes qui choisissent de se cacher derrière l’anonymat. À coup de pseudonyme, ces internautes ne donnent pas généreusement dans la diffamation ou l’injure, pourtant, ils sont souvent convaincus qu’à visage découvert, ils ne pourront pas s’exprimer avec autant d’engagement.

À l’époque, j’avais confié à Caroline Allard (article paru dans Les Cahiers du 27 juin) que la notion du devoir de réserve me paraissait être mal définie et surtout, très mal comprise au Québec, notamment dans le monde de l’éducation :

« On s’imagine qu’on ne peut pas avoir un point de vue divergent sans manquer à notre devoir de réserve. Or, il s’agit là d’un problème québécois de recherche du consensus à tout prix. Il ne faut pas mettre systématiquement en opposition la nécessaire prise de parole publique et le respect du devoir de réserve ».

Sur le fond, je ne crois pas que l’anonymat soit réellement possible. On finit toujours par savoir qui se cache derrière l’auteur inconnu du moment. Il suffit d’une confidence à quelqu’un, d’une adresse IP laissée à la traîne où d’une erreur stratégique… et hop, la personne démasquée réalise que ce qu’elle a écrit pourrait devenir compromettant.

Y aurait-il en éducation une présence d’anonymes en plus grande proportion que dans d’autres domaines professionnels ? Encourageons-nous réellement l’échange de point de vue divergent dans notre milieu ? Sommes-nous capables de construire à partir de ce qui nous unit dans les établissements scolaires ? Mettons-nous trop le focus sur le sujet sur lequel on n’a pas la même perspective ?

La prise de parole anonyme me semble être le symptôme d’une omerta beaucoup plus insidieuse et contre-productive : le tabou de la pensée divergente. Quand on sait que pour bien travailler en équipe, la clé du succès n’est absolument pas de se mettre à tous penser de la même façon. Se montrer efficace, c’est d’abord s’entourer de gens qui ont des horizons différents et encourager la diversité des arguments.

S’il faut réfléchir en fonction de ce qui n’est pas tolérable dans un établissement, à la salle des profs comme dans le bureau de la direction, c’est peut-être sur le sujet du management de l’opposition qu’il y aurait des choses à revoir. Il ne devrait y avoir aucune place pour les représailles et le harcèlement.

S’affirmer dans le respect, c’est débattre des idées. Ni les anonymes, ni celui qui s’affiche à visière levée ne devraient s’attaquer aux personnes, tenir des propos indignes de sa fonction ou dévoiler des renseignements privés ou nominatifs. Pour le reste, si autant d’éducateurs s’expriment publiquement sur Internet en se cachant, il faut se demander si les cadres scolaires y sont pour quelque chose. Pour un froussard qui n’assumerait rien de ce qu’il écrit ou un autre qui se cache derrière l’anonymat pour salir des réputations ou lancer de la boue, il y a plusieurs personnes respectables qui ne font qu’animer sainement un débat en éducation.

Et pourtant, la pression est forte sur ceux qui s’expriment en public…

Je me dis que vu de l’extérieur du domaine de l’éducation, toute cette prise de parole cachée derrière des masques n’envoie pas le bon message sur les valeurs qui animent le milieu de l’éducation. Ce n’est pas la lutte contre les anonymes qu’il faut mener, c’est le défi d’aménager des espaces de discussion ouverts et animés dans nos établissements et en public qu’il nous faut relever.

Dans la dernière édition du Magazine fqDE, Julie Lussier (Directrice des communications) signait un article dans lequel elle affirmait que « nous étions bien dociles en éducation ». Un extrait…

« L’École québécoise a des histoires à raconter, des artisans à valoriser, des idées à transmettre, des projets à partager, mais elle a aussi une gêne qui transcende l’imaginaire. Dans l’antre de l’école, ne parle pas qui veut aux médias ! Politiques de communication à respecter, lobbys à ne pas transgresser, égos à ne pas froisser. S’il s’y passe de belles choses, de « bons coups » comme nous nous plaisons à dire de l’intérieur, le chemin à parcourir avant diffusion au grand public est pavé de contraintes. Il en ressort un message édulcoré, aseptisé et sans intérêt. Alors, on se targue de dire que l’école publique n’est pas bien représentée. Ne serait-il pas plus judicieux de laisser plus de place justement aux discours de ses dignes représentants [la direction d’une école]? Leur volonté y est pourtant. Mais il faut, dans plusieurs cas, faire preuve d’autant de persévérance pour gravir toutes les étapes de la communication publique dans le monde scolaire que d’audace à ceux qui, en ce moment, dénoncent ses incongruences. »

Non, nous ne sommes pas vraiment « dociles » en éducation. Je sais que Mme Lussier a joué l’ironie dans son titre…

Nous ne sommes tout simplement pas préparés à nous affirmer.

Je me questionne…

L’école que nous avons connue aurait-elle été trop faite de rang et de silence ? Je me souviens de celui qui dépassait la ligne. Ouf !

L’élève qui se conformait était valorisé; celui qui s’affirmait avait tendance à être perçu comme une tête forte qu’il fallait casser. Heureusement, beaucoup ont été résilients. Certains en quittant le milieu scolaire, d’autres en rencontrant des éducateurs hors pair.

Au primaire, en particulier, c’était pire encore. D’où l’idée que dans certaines écoles secondaires, ça finissait pas exploser. Et je ne parle pas du collège et de l’université.

J’exagère, je sais.

Heureusement, ce n’est plus comme cela aujourd’hui…

Mais cette culture où il est difficile/mal vu d’échanger des points de vue divergents au syndicat, à la salle des profs, dans le bureau de la direction, au comité de parents ou au conseil d’établissement est peut-être en train de nous rattraper.

Il y a des exceptions. Des milieux qui ont appris. Je sais.

Les jeunes y ont contribué, entre autres.

Je me dis tout de même que le nombre d’anonymes qui prend la parole de cette façon est un indicateur que tout ne va pas bien. Il me semble.

Je nous invite à davantage d’ouverture…

Moins de conformisme. Plus d’espace pour l’affirmation. Dans le respect des personnes, bien sûr.

J’ai confiance que l’avènement du numérique mette juste assez de pression pour que la situation bascule.

Et que la culture institutionnelle chemine, autant en ce qui a trait aux « bons élèves » qu’aux « bons employés ». Rentrer toujours dans les rangs, plier l’échine systématiquement devant le point de vue de celui possède le pouvoir hiérarchique, c’est un comportement à remettre en question dans notre domaine, il me semble.

Je ne prêche pas pour l’insubordination, mais pour le dialogue courtois et la conversation sincère, à base d’arguments, de respect des lois et du bon sens.

Le travail d’équipe et la gestion du changement ne s’en porteraient que mieux !