« La grande incertitude [liée au manque] d’informations en période de guerre est d’une difficulté particulière parce que toutes les actions doivent dans une certaine mesure être planifiée avec une légère zone d’ombre qui (…) comme l’effet d’un brouillard ou d’un clair de lune, donne aux choses des dimensions exagérées ou non naturelles »
– Carl von Clausewitz, De la guerre
De retour sur Bamako depuis quelques jours, le temps de se reposer un peu, écrire un peu, retoucher des photos et préparer la suite.
Du temps aussi pour réfléchir sur la complexité de cette crise qui embrase le Mali. Une complexité déjà existante, bien avant la révolte touareg de janvier 2012, leur défaite face aux islamistes quelques mois plus tard et un coup d’état à Bamako entre les deux, mais que l’actuelle guerre vient exacerber. Pour moi, il s’agit là du filon à explorer pour comprendre ce qui s’est passé au cours de la dernière année pour qu’en un an à peine, le Mali s’embrase au rythme d’un feu de paille sèche inondé de kérosène.
Un brasier d’où se dégage une épaisse fumée qui embrouille les sens.
Au milieu de ce nuage opaque, une population qui, malgré sa résilience et son refuge dans le foot – c’est la Coupe Afrique actuellement – peine à se remettre de ce qui s’est passé ici au cours de la dernière année, à plus forte raison de la guerre. Une guerre dont les combats ont rapidement pris fin avec la déroute, sans trop de résistance face à la puissance militaire française, des combattants du MUJAO et de Ansar Dine. On parle ici des combats majeurs, bien sûr, car la retraite rapide d’un ennemi « non-conventionnel », sans uniforme et recourant à des tactiques de guérilla donne une impression de déjà vu dont l’Histoire regorge d’exemples, certains très récents. Une guerre fantôme, menée sous le couvert de la censure des autorités, qui trient sur le volet les journalistes et observateurs pour l’accès aux zones de combat, le temps de faire le ménage avant.
Mais à la différence d’une réception mondaine où on nettoie la maison avant l’arrivée des invités, ici on parle d’allégations d’exactions et de vengeance envers les populations minoritaires – touaregs, peulhs, tamasheqs, arabes – des actes violents et vengeurs qui seraient commis par l’armée malienne et une population civile en colère. De combattants islamistes qui ont imposé durant près d’un an une impitoyable loi faussement inspirée d’une religion autrement tolérante cautionnant amputations et humiliations publiques, notamment envers les femmes, sont pourchassés et punis, parfois coupables, souvent simplement suspectés. L’épicier arabe de Bamako qui, désormais, sombre dans une grande incertitude et qui vit dans la crainte. Des tensions ethniques exacerbées par la présence dans les rangs des milices islamistes de combattants de toutes origines entraînant peur, suspicion, méfiance au sein d’un pays qui, comme tous les autres, ne mérite pas son sort actuel. Une guerre qui, malgré la déroute islamiste, n’est pas terminée alors que les touaregs revendiquent toujours l’indépendance de l’Azawad, l’immense territoire désertique couvrant le nord du Mali au milieu duquel trône la mythique Tombouctou, joyau du patrimoine culturel mondial, défigurée à jamais suite au saccage de ses artefacts et de ses mausolées. Une intervention militaire étrangère pour le moment salvatrice, accueillie favorablement par la population mais dont les motivations profondes sont encore, légitimement, remises en question, donnant suite à l’apathie générale de la communauté internationale qui, par son trop long mutisme, laisse les plaies de ce pays – et de tout un continent – s’infecter.
Et au milieu de ce brouillard, des questions sans réponses, la difficulté de dire avec certitude qui a raison, qui a tort. Remettre en question ses propres convictions.
Rudyard Kipling, à qui la Première Guerre Mondiale a arraché son fils, disait que la première victime de la guerre était la vérité. C’est également l’innocence, perdue pour le Mali, désormais balafré à son tour par la folie humaine.