Mediapart fête ses cinq ans cette année. Des noces de bois, donc, pour ces vaillants guerriers de l’information indépendante qui ont épousées une forme de journalisme et une langue qui ne le sont certainement pas.
Les faits d’armes de Mediapart sont nombreux, mais un d’entre eux les a élevés au sommet des petits médias que les puissants devront désormais craindre – l’éclatement au grand jour, en 2010 de l’affaire Liliane Bettencourt, ce scandale politique qui amène ces jours-ci l’ex-président Nicolas Sarkozy devant un juge d’instruction suite à sa mise en examen – une procédure pénale – pour « abus de faiblesse », soupçonné d’avoir un peu trop bénéficié des largesses pécuniaires de la richissime héritière des cosmétiques L’Oréal. Un exploit journalistique majeur pour la petite organisation qui a depuis vu le nombre de ses abonnements exploser.
Un anniversaire fort à-propos, alors que le journalisme traverse une crise non seulement économique, mais aussi existentielle.
On le sait, la méfiance du public envers les médias s’accentue au rythme des multiples accusations auxquels journaux, radios et réseaux télévisés font face. Des accusations provenant de part et d’autre du spectre idéologique – à ce chapitre, l’invective anti-establishment médiatique est politiquement et socialement ambidextre. Convergence et concentration de la propriété par de grandes corporations en génuflexion devant le Kapital. Agendas politiques cachés. Complaisance envers le pouvoir et protection des privilèges. Présence grandissante du mercenariat de l’opinion au détriment de l’information. On sent également une retenue dans la couverture des manifestations étudiantes et des brutales interventions policières, voire une biais favorable envers le pouvoir dans le cas plus flagrant de la nébuleuse médiatique québécorienne.
Le plus navrant dans tout ça? Ces accusations sont fondées – du moins en ce qui concerne les grands médias. La bonne nouvelle? C’est rarement la faute des journalistes qui, en grand nombre, possèdent des idéaux et souhaitent, comme avec un cabot un peu trop récalcitrant, mettre le nez des puissants dans leur propre merde. Il est aussi injuste de généraliser et de placer les journalistes et les grands patrons des sociétés propriétaires de médias dans le même panier qu’il est correct d’affirmer que c’est via le travail de journalistes d’enquête chevronnés qu’on assiste aujourd’hui au début du nettoyage de ces écuries d’Augias qu’est devenue la politique dans notre Belle Province.
Il est aussi vrai que le paysage médiatique québécois est aussi fortement contaminé par la démagogie et la petite pensée et la bactérie mangeuse de rigueur intellectuelle se trouve en plus forte concentration du côté de la radio-poubelle qui, chaque jour, déverse son fiel à coups de trois syllabes ou moins via des animateurs qui roulent leurs mécaniques avec un faux-semblant de virilité et dont les pets de cervelle occultent l’existence d’une réelle réflexion économique, sociale et politique de droite qui pourrait enrichir les débats. Ils aiment citer les Bastiat, Tocqueville, Hayek et Ron Paul sans trop en saisir les nuances tout en balayant du revers de la main tout ce qui se situe moindrement à gauche, rendant l’exercice fort dangereux. Non, ce n’est pas simplement de la radio-poubelle – c’est la poubelle de la poubelle, celle où un jette une poubelle rongée par trop de déchets corrosifs. Mais je m’égare.
Il existe un avenir pour les Mediapart de ce monde qui, contrairement à un establishment médiatique devenant lourd, possèdent une grande liberté, un large espace créatif et peuvent s’abreuver des idéaux de ses journalistes, sans toutefois pouvoir se dérober à un important devoir de rigueur. Le site web américain ProPublica, fort du soutien de la Fondation Sandler et de son prix Pulitzer reçu en 2010, renouvelle la pratique du journalisme d’enquête. Des initiatives comme le journal web Le République commencent aussi à bourgeonner dans l’espace médiatique québécois.
Le journalisme doit impérativement redevenir ce pourfendeur d’injustice et ce chien de garde de l’intérêt du public dont il doit regagner la confiance si on tient à une réelle démocratie. Il sera d’ailleurs question de la place du journalisme indépendant et de son engagement sociopolitique à cette causerie, ce soir – il y a encore de la place.