Un p’tit mardi tranquille. La place pète pas le feu tant que ça, mais le vibe est agréable. Le Zaphod, ça reste le Zaphod..c’est sombre mais c’est gentil, on s’y sent paisible. Je m’accote sur la colonne au fond avec ma p’tite bière. Un spectacle seul, c’est un peu étrange. En silence, les sens à l’affût de la moindre note, de chaque mouvement, prendre le temps de les ressentir. Plus corporel comme expérience.
En première partie, c’était Loon Choir, un band d’Ottawa, qui fait du folk-rock atmosphérique… mettons. Il y a bien une violoniste, une pianiste, cinq autres musiciens tous en chorale, ils ont du talent, mais le produit manque de personnalité. Par chance, au centre, il y a Derek Atkinson. Quand on en voit un comme ça, on le sait tout de suite. La musique lui passe au travers du corps, on le sent vibrer. Il chante avec ses tripes, une vérité qui ne s’invente pas. Le band c’est lui.
L’entre-deux shows s’étire un peu mais je m’en balance. En fait à soir, je m’entends pas mal bien avec la machine à boules des Pierrafeu. Mine de rien, petit à petit, la place se remplit. Les Hidden Cameras s’installent tranquillement, nonchalants, l’air de vétérans qui en ont vu d’autres. Cinq gars, deux filles, tous en longue jupe noire. Bin hâte d’entendre ça.
En commençant, un long chœur en crescendo nous élève. Puis, la voix suave de Joel Gibb ressort, habillée d’échos et d’ondulations hypnotisantes. Elle nous appelle et on plonge. Un beat disco décolle, envoûtant, dansant. Le synthétiseur. Quelque chose comme du Post-New-wave. Ça se peux-tu ça? Du Newer wave. On entend beaucoup Dave Gahan dans la voix de Gibb. C’est grave, profond, mais aussi très volage dans le propos, dans l’énergie.
Les musiciens s’assument complètement dans ce qu’il y a aussi d’un peu quétaine dans ces sonorités eighties. Ils font des petites chorégraphies avec la foule, genre : touche ton nez, lève les bras, bats des ailes…Ils se coordonnent pour sauter tous ensemble au rythme du beat, poussent leur voix dans des envolées lyriques à la limite du ridicule et en rit. Par boutte, ça sonne presque Roi Lion, mais ils sont bien dans ce qu’ils font, se pètent un fun ensemble et c’est réjouissant. Le sourire étampé.
Une trompette tantôt distortionnée, tantôt sensuelle, nourrit les mélodies de l’album Age, à peine lancé, plus expérimental, plus lascif. Elles tranchent avec les plus vieilles pièces qu’ils nous poussent en série de deux ou trois dans un accès plus folk-pop où le violon laisse les lancinantes complaintes pour devenir plus vif. L’ensemble, quoique plutôt disparate, se lie à travers les profondes harmonies vocales, les canons à quatre ou cinq qui sont devenus leur marque de commerce.
Les textes de Gibb sont toujours et peut-être même encore plus frontaux et assumés dans l’affirmation de l’homosexualité, des jouissances brutes et sans tabou. Il les porte fièrement, chante les plaisirs, la luxure et le cuir le plus naturellement du monde. Un artiste de l’autre côté de la bataille des genres. Un artiste qui assoit son identité dans une époque et un bout du monde où on est de plus en plus prêt à en prendre et qui s’en donne à cœur joie pour finir de démolir les derniers fonds de rectitude chrétienne qu’on a tous encore un peu pognés dans le fond de la gorge. Et c’est grandiose, orchestral, théâtral, une célébration humaine franche et sans inhibition.
J’en suis ressorti rafraîchi, optimiste et fier, le sourire obstinément étampé. Un bon moment.