BloguesMax Clark

Suuns @ Blacksheep Inn – Trajectoires indéfinies

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Crédit photo: Ming Wu

En poussant la porte de l’auberge, j’ai senti de nouveau ce doux relent qui me prend par le cou à chaque fois que j’y retourne, un parfum rassurant, qui s’apparente à celui qui berçait les chalets de nos enfances. Ce n’est pas une odeur nécessairement agréable en soi. L’odeur du bois humide, l’odeur amère d’une coulisse de bière qui fermente sur un baril au fond d’une cave en terre et qui vient se mêler à celle de la brume de chaleur humaine qui flotte dans l’air. Je suis bien ici, entouré de tous ces objets qui parlent, de ces cadres obliques, témoins des années qui ont traversé ces murs. Au centre de convives anonymes, rassemblés par un amour honnête et profond de la musique dans ce qu’elle a de plus vrai, je suis bien.

Les spectacles à l’auberge ont toujours quelque chose de surréel et la trame étrange que nous offre ce soir en entrée le trio hullois Scaterred Clouds a eu tôt fait de nous faire oublier tout ce qu’on avait laissé dehors en entrant. Le violoncelle comme une longue plaine valonneuse sous le ciel ocre du crépuscule. Des brises de guitares étincelles viennent faire bruisser les herbes, tournoyer les feuilles…et puis le vent s’emballe et fouette la nuit, sauvage. Des voix qui se posent çà et là, des souffles glauques, des murmures glissés à l’oreille quand en se retournant, il n’y a personne. Très prometteur projet porté par la belle E-tron records, symptôme vibrant de l’effervescence créatrice qui persiste malgré cet Outaouais rébarbatif.

Brève pause. Quatre individus louches se glissent sur le stage, un peu chambranlants, les yeux flous. Suuns, sans un regard, sans un mot. Une onde qui monte doucement, se tortille, râle puis gronde et monte et monte encore jusqu’à emplir complètement l’air, à nous compresser les tempes et ça pousse, ça s’étire aux limites de l’audible et puis encore, un cilement et le beat décolle, lascif, débauché.

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Crédit photo: Ming Wu

Des guitares pincées, grinçantes, le drum qui bûche la cadence et ce synthé tordu, puissant. Mes oreilles à ras bord débordent, je sens le son dégouliner le long de mes lobes puis dans mon cou. Mes yeux se ferment sans penser, déconnectés et mon crâne se met à balancer de lui-même, se morphant dans le mouvement souple de la déferlante.

Pour les besoins de la cause, il semble que le band ait injecté un brin de go-go juice dans leurs pièces. De planantes et hypnotisantes sur l’album, elles prennent sur scène les traits d’une techno-house plus appuyée. A quelque part entre le voyage psychédélique du stoner rock et le seizième set d’un rave interminable qui parvient finalement à pousser les corps engourdis dans une transe de mouvements semi-conscients. Et le p’tit mouton noir danse. Danse comme je l’ai rarement vu danser.

Submergés par les corps, les musiciens restent impassibles. Plus le spectacle avance, plus leur son se perd dans de longues envolées informes, mêlant les titres des albums un dans l’autre, étirant les résonances, les ronronnements, les plaintes. Et puis, plus rien.

Un voyage, c’est ce que c’était. Un voyage au-delà des jours et des heures. En passant la porte, le poids de la nuit nous est retombé dessus, nous emmenant du même coup à réaliser l’état dont on venait d’être brusquement tiré. La douleur est revenue maintenant. J’en veux d’autre.