La paupière qui se décolle difficilement. Comme tout éveil sous la tente qui se respecte, la suffocation est quasi-instantanée. Une bouffée de cet air bouillant et infecte me suffit..je m’extirpe de ces draps humides et des corps empilés qui m’entourent. Les orteils dans l’herbe détrempée de rosée, bon matin, la cerne profonde. Autour d’un foyer éteint, les demi-sourires des quelques visages tordus qui tiennent encore à peu près debout. Légère dose de substances, baignade..la quête d’un café s’impose. Les plus courageux se joignent et on lève les feutres. Au coin, une vieille dame tout de blanc vêtue, attablée sur le bord du trottoir, un café chaud, un muffin maison et en prime, elle me chuchote candidement que j’suis beau! Ça y est! Emmenez-moi la journée que vous voudrez, je suis d’attaque.
Soleil de plomb. C’est la milice punk Anti-Flag qui a pour tâche de dérouiller la bande de fêtards encore éméchés qui s’entassent en titubant devant le stage. Et ils n’y sont pas allés avec le dos du 2 par 4. Leurs frontmen Justin Sane et Chris#2 sont carrément en feu. Leur prestation, un ardent appel à l’émeute où les pièces nous pètent au visage comme des Molotovs, n’aurait pas pu décoller cette journée de meilleure façon. Il est à peine midi et je me fais emporter dans la tornade d’un circle pit tout ce qu’il y a de plus infernal. Ça promet.
J’ai quelques minutes avant le prochain set. Je me glisse sournoisement derrière la scène. Petite canette glacée au passage. Merci bien. Au détour, je croise Pat Thetic, le drummer d’Anti-Flag qui me confie à quel point ils ont été agréablement surpris de la taille et de l’énergie de cette foule malgré un évident méga-lendemain de veille collectif. En jetant un coup d’œil entre les rideaux, je la vois cette foule, immense, déjà survoltée, impatiente de s’attaquer à ce qui s’en vient. Ça va être quelque chose.
Retour à l’avant-scène juste à temps pour l’arrivée triomphale de notre « super-band » d’après-midi par excellence, et j’ai nommé les joyeux lurons de Me First and the Gimme Gimmes. Ramassis festif de membres des NOFX, Lagwagon, Swingin’ Utters et Foo Fighters qui se clanchent des covers de jujubes pop des décennies passées, de Gloria Gaynor à Boys II Men, en passant par Paula Abdul. Du gros plaisir ensoleillé avec le bloody ceasar qui coule à terre, les ballounes, les cuisses humides sur les épaules, pis toute pis toute. Dans le très agréable.
Soudain, un p’tit haut le cœur. Étourdissement. Oh. Vision qui défaille. C’est la siesta qui s’assure de s’imposer. Elle fut un délice. La brise estivale à travers le zip laissé entrouvert, le visage enfoncé dans l’oreiller bien trop douillet du voisin de fortune de la veille. Puis, réveil brusque. Je m’extirpe d’un autre rêve torride mêlant lutte sumo et cagoule de cuir et manque m’aplatir dans l’entrée en sortant. Mon vieux corps commence à m’envoyer des signaux. Il est lent, très lent à se remettre en marche. Qu’à cela n’tienne, le bon dosage de substances y arrivera. Après un brin de ponton, au ralenti je traverse la foule qui s’en vient brûlée elle aussi. Du haut de la terrasse VIP aménagée à même le toit de l’auberge de 4 étages, je regarde les shows des vieux routiers du punk rock californien Lagwagon et celui du groupe metalcore un peu propret All that Remains. D’ici, l’expression une mer de monde prend tout son sens, c’est hallucinant. En sirotant tranquillement mon gros gin, je remercie le bon Dieu du Rock n’ roll. Crisse chu bin.
OK. Je me sens mieux. Il est temps de descendre parmi eux. Les prochains musiciens à l’horaire représentent l’exception hip-hop détonante au cœur de cette débandade de distorsion et de pédale double. C’est donc sous un soleil rougissant que nous apparurent en bondissant les membres du légendaire groupe rap californien Cypress Hill. Leur offrande fut un aparté à point, rafraîchissant, porteuse d’un mood différent qui a donné du groove à cette foule qui, à la longue, cherchait un peu son souffle. Tout y était, comme si ces deux MC d’une autre époque n’avaient pas vieilli depuis ces derniers 25 ans. Avec la fougue de jeunes loups, le rythme bien ancré, le flow acéré. Juste comme on les attendait. Au loin, la vague de bras en l’air, les gigantesques joints qui circulaient de mains en mains au dessus des têtes ondulantes. Cette soirée s’annonçait tout à coup magique.
La dernière note, je me retourne. A plus les amigos..un défi de taille m’attend. Il s’avère que le groupe thrash metal montréalais B.A.R.F. qui s’en vient nous présenter son nouvel album après plus de 15 ans de semi-hiatus, est programmé pour jouer en même temps que les légendes du Black metal britannique, Cradle of Filth. Pas le choix, je devrai me subdiviser. On commence côté Québec. La bande à Marc Vaillancourt était prête. Ils nous balancent les solides et crasses nouvelles pièces, ponctuées de leur, toujours de circonstances, succès souvenirs Mouton noir et l’hymne de jovial speedcore Le p’tit poisson que la foule a hurlé en choeur. Break! Je me garoche à l’autre bout pour attraper la dernière moitié du spectacle de Cradle. Comme à leur habitude, les musiciens sont, on ne peut plus su’a coche. Leur musique est complexe, violente à souhait mais grandiose dans tout ce qu’elle a d’orchestrale et de dramatique. La chanteuse d’opéra se mêlant aux hurlements démoniaques. Vêtu d’une combinaison de cuir en lambeaux, le visage blanchi, les yeux noirs du démon, le chanteur Dani Filth explose de rage. Combo de shows de rêve, la course en valait la chandelle.
Puis, en suivant la foule vers la scène centrale, je sens les papillons. J’avais demandé à discuter un brin avec ce phénomène du rock américain et pas de nouvelles. Ce sera donc via la scène que nous ferons connaissance. Deux astronautes gigantesques nous y accueillent. Nous, on se faufile jusqu’en avant en plongeant nos doigts au fond de ce qu’il reste de branchouilles dans le sachet. C’est là qu’il fait son entrée. Personnage ludique, énigmatique, chapeau melon et lunettes rouges, Sir Les Claypool est inimitable. A travers ses mille et un side-projects, c’est avec la bande originale de Primus qu’il nous a convié rendez-vous ce soir. La rencontre est spirituelle. Nous avons devant nous rien de moins que le meilleur bassiste sur Terre. Il caresse et matraque son instrument comme personne. De nouveau appuyé par le merveilleux Herb, de retour derrière les tambours depuis peu, l’artiste est à son apogée. Et quand My name is Mud éclate, je bondis, me tord, me déchire. Le rythme m’emporte, me transcende. Je le sens s’élever de mes talons vers mon torse. Je le sens pressé mon larynx, je hurle. Jouissif, ce fut.
Wooo..un peu trop peut-être. La tête qui tourne, jolis petits picots d’arc-en-ciel qui font leur apparition en travers de mon champ de vision, la pluie, non, pas de pluie..la neige? Étourdis, on s’assoit dans ce qui reste de touffes d’herbe jaunie et que faire d’autres que de s’hydrater, s’hydrater profondément..la soirée est encore un bébé. On prend notre souffle et on replonge. A tantôt.
Suite à venir sous très peu…