Le reflet du soleil dans le windshield, les mèches qui virevoltent dans le vent de l’autoroute, les filets vaporeux qui se glissent tels des serpents blancs à travers la craque de la fenêtre. La journée était magnifique, parfaite pour s’éclipser, direction rurale. La route puis les chemins de terre, puis la forêt. On y est je crois. La Grosse Lanterne.
Tournée du site. De sentiers en sentiers, la place du village, au centre de laquelle sont agglutinés les marchands, puis l’Auberge surplombant les pins, devant laquelle la scène est montée pour l’after-party monstre qui nous attend. Plus bas, il y a la scène elle-même et les jolies jumelles des Muscadettes qui font déjà aller leur beach-rock benjamin. Une trame sonore parfaite pour entamer notre après-midi. Plus bas encore, la petite rivière noire, minces coulées d’eau claire qui se faufilent entre les roches plates. Inspirant.
On a planté notre tente là où on a estimé que l’ombre du grand arbre serait demain matin et on est remonté. C’est Le Trouble qui nous a accueillis sur le site. D’accord, la voix douce-amère de leur leader Michael Mooney est une merveille, mais au-delà, il manquait quelque chose de la contagieuse énergie qui bouillonne de leur récent EP Reality Strikes. Quand même jolie comme entrée en matière mais manque de kick.
Puis, c’est au tour du duo Solids, qui se fera trio malgré lui par l’ajout du drummer des Dark Circles pour pallier à la blessure évidente de Louis Guillemette qui se contentera du micro pour aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne, ils nous en ont offert une bien belle et en terme de kick, là on y était. Les riffs arrachent, le snare éclate, quelques relents de street punk 90’s qui touchent la corde. Le groupe mérite d’être revisité en format complet et nocturne. C’est noté.
Puis, on les attendait. Les voilà. Les quatre énergumènes de Suuns se glissent sur la scène en silence. Il suffit de quelques notes qui se tordent, d’un bourdonnement qui monte, et on le sait. Encore une fois ils nous emporteront loin, très loin dans les airs. Les rayons du soleil qui baissent doucement percent les toiles de la scène et reflètent sur les instruments qui poussent des gémissements, des plaintes en loops hypnotisants. La transe nous enveloppe et nous élève. La tête qui ondule, le regard mou fixé dans les yeux du leader Ben Shemie dont l’agressivité tranquille transperce. Wo.
OK, ça va, on redescend. –Viens. On va dans l’bois. Enjamber les racines, se glisser sous les feuillages, ça fait longtemps, ça fait du bien. Derrière le rocher, une petite cabane en troncs, un lit de bois, l’ogre n’est sûrement pas très loin. Il faudra revenir à la tombée de la nuit.
De retour, on se glisse backstage, les gars sont là, ça rigole, ça sent l’été. Quoi Dead Obies! Déjà! –C’est vous autres qui êtes nexts? –Yeap! me répond un O.G. Bear un brin fébrile, en me pointant ses vieilles nike mauves. –Il me reste juste à changer de shoes. Bon bin pas d’temps à perdre on s’pousse en avant du stage où on retrouve notre homme, fin prêt, avec ses Air Jordan blanc immaculé aux pieds.
Et malgré que leur musique nocturne nous ait été balancée à la clarté, elle n’a perdu que peu de son tranchant. Ya pas d’mothafucka fresh like us. Écoute mon homme, c’est vrai. Les beats sont lourds, sophistiqués et ils cassent, rebondissent puis explosent en puissant build-ups qui lève la foule à chaque fois. Les 5 MCs sont au sommet de leur art, des as du flow, aiguisés, violents, on peut toucher la vérité crue et tous le poids de leur propos vandales. Très solide.
Éclipse. Petite escapade sur la rivière, les vaguelettes entre les orteils et la boucane qui s’échappe en grosse ouate sous le soleil rose. Pourrait-on demander mieux? Et on s’en retourne en gambadant entre les arbres au son des MCs clownesques d’Alaclair Ensemble, rejetons déjantés de l’école des Run DMC au même titre que les Dead O pourraient descendre du Wu-Tang. Leur prestation est solide, bien huilée, le sourire y est, les hanches aussi.
Arrive ensuite Boogat, avec son groove latino-heat. C’est peut-être moi, mais j’ai juste pas embarquer. Ça swing, c’est festif pis lascif pis toute, mais c’était dans la chaleur de trois heures et demie qu’il aurait fallu nous l’offrir et les Dead O durant la nuit, là où ils belong. Contre-temps dans la prog. qui a comme un peu désoufflé la montée de l’excitation générale d’une foule qui semblait pourtant prête. En se retournant, on s’est aperçu que le mot s’était passé, c’était l’heure de la pause. C’était l’heure de la mission.
Hésitant, on descend le sentier soudainement si escarpé sous la pâle lumière des lanternes taillées dans des boîtes de conserves. Au-dessus de la silhouette osseuse des arbres, la lune, ronde et blanche, pleine, magnifique. C’est là. On doit couper à gauche entre les broussailles. Dans l’obscurité, la forêt nous apparaît maintenant dans toute sa menace. Le pont, le marais, la cabane ne doit pas être loin. Un frisson me traverse le dos quand je vois la tâche noire. On y est. Entre les branches, sur la pointe des pieds, chaque brindille qui craque sous nos orteils est inquiétante. Murmure. -Attends..la porte est à moitié fermée. J’avance mes doigts crispés vers le cadre, appuyés sur le bois et puis AH! Un pas en arrière, un visage blanc qui se glisse dans la fente comme un reptile. Lourd soupir, il est humain…on s’est fait volé notre cabane. Damn! On se retourne et on court. On court vers le site, la gorge serrée comme en remontant l’escalier d’un sous-sol dont on vient d’abaisser l’interrupteur.
Wo..montée d’adrénaline. De retour à l’avant-scène et nos amis acadiens qui se font encore désirer, comme ils ont pris l’habitude de le faire. Mais, c’est dans un moment d’inattention, quand on perd un peu le fil, qu’ils sautent sur la scène comme des fauves et Boum! Radio Radio, dret comme chu là, tout feu tout flamme. Ils sont heureux d’être là, ça se sent, et ça, c’est la plus belle chose qu’un spectateur peu ressentir. Les boys s’amusent, se relancent la balle tout sourire, en nous faisant aller le bassin sur leur panoplie de succès platines. Des vétérans, comme dans du beurre.
Ont suivis, sous les pignons illuminés de l’Auberge, les DJ sets de Yes Mccan des Dead O (groundé et enlevant) et de KenLo
Craqnuques d’Alaclair (à lever le cœur de quétainerie) qui ont mis la table pour la surprise et high light insoupçonné du festival : The Posterz. Trois jeunes MCs montréalais qui rappent avec leur trippes, qui découpent leur flow, le prennent en pointe et vous l’enfoncent dans la gorge. Ils sont si jeunes mais si confiants, incisifs, ils nous crachent leur rage au visage et on en reste complètement saisi. Les beats sont clairs, habilement ficelés. Un diamant même pas brut, un diamant net.
Et ça s’est poursuivi au son d’un Pierre Kwenders un peu trop enjoué pour nous. Encore une fois, sa place aurait peut-être été sous le soleil. Il aura eu le mérite de nous raccompagner au campement avec le sourire. Bonne nuit Béthanie. Nous reviendrons.
…et juste parce que je trippe vraiment trop: