BloguesMax Clark

Warpaint @ Le Corona – De retour des profondeurs

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Crédit photo: Eva Blue

Je flottais sur un bonheur comme une balloune. Vous savez, une de ces poussées d’atmosphère qui émane parfois d’une réussite quelconque ou d’un p’tit succès tout doré du parfois si doux quotidien. Tsé des fois quand ça va bin. Et là j’finissais cette tite bonne-femme de journée en allant voir un de ces bands qui m’donne des frissons à chaque fois, depuis des années maintenant, encore et encore. Un band qui m’a relevé, embrassé, soigné, sauvé…à travers chutes et dérapes, tout ce temps-là. On en a tous de ceux-là. Des mélodies qui nous expurgent la crasse du cœur, qui nous baument les plaies de vie. Ce band-là, ce jour-là, arrivait en ville.

Et le lieu du crime était non moins magnifique. Un théâtre montréalais centenaire, les plafonds arqués, les fresques, les petits balcons d’opéra à flanc de mur, le bois travaillé. Le Corona est un joyau d’une époque lointaine. Contre vents et marées, il a traversé les âges jusqu’à être sauvé du naufrage par l’obèse Virgin qui l’a reprise en l’affublant tristement de l’outrage publicitaire, allant même jusqu’à oser s’incruster dans son propre nom. Mais il est toujours là, le Théâtre Corona Virgin Mobile: symptôme d’une époque. Elle coulera sur son dos comme les autres j’imagine et le phare du vieux Corona lui, continuera de briller dans la tempête.

Ce soir-là, il accueillait en son chaleureux sein cet ensorcelant groupe de L.A. qui, fort d’un second album sorti au début de l’année qui se classe sans gêne parmi les exceptionnels, passe désormais par Montréal au gré de sa promenade continue autour du monde. Warpaint: quatre jeunes femmes en symbiose, magnifiques, techniquement irréprochables, artistiquement pures. De quoi se réconcilier avec la vie, elle peut encore nous offrir pareille merveille.

On avait annoncé quelques jours avant que ce serait finalement le musicien et chanteur Guy Blakeslee, aussi leader du Entrance band, un groupe de stoner rock californien pas piqué des vers du tout, qui ferait la première partie. Mais tout seul, Guy, honnêtement, c’était pénible. Un ramassis de mélodies simplettes et une voix du nez à la Rufus Wainwright, trop poussée, exagérée. Tout était exagéré en fait, et on ne le sentait pas à l’aise, pas naturel du tout. Seul avec sa guitare et son portable, il faisait presque pitié, un pauvre type qui chante I will survive dans le fond d’un karaoké à 2h30 du matin. Ça m’arrive d’applaudir par politesse, là j’en étais même pas capable.

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Crédit photo: Eva Blue

Mais bon, notre cher Guy fut tellement, mais tellement vite oublié. Quand les quatre musiciennes de Warpaint sont entrées sur la scène à pas feutrés, fossettes de sourire, étoiles dans les yeux, le temps s’est arrêté. La transe a mis quatre notes à s’installer et elle aurait pu nous emmener là où elle aurait voulu.

Côte à côte, trois amies d’enfance, trois gamines, trois nymphes, trois mères qui tout en douceur nous prennent par la main et nous attirent avec eux au gré de la brise humide, puis des grands vents de tempête, au-dessus de la mer immense, et sous les vagues et encore plus loin encore, jusque dans les profondeurs de chacun de nos gigantesques abysses intimes, à nous, au creux-même de notre propre gorge.

Sur scène, Theresa Wayman, Emily Kokal et Jenny Lee Lindberg ont une telle complicité, une telle candeur et leur talent infini transpire de chacun de leurs délicats mouvements. Ensemble, elles tissent tranquillement des ambiances sombres, en apesanteur, qui s’étiolent lentement, flottent un moment puis, au gré d’un rythme en contre-temps de Stella Mozgawa, ce qui était mélancolie vaporeuse devient graduellement un rock qui a quelque chose des new romantics, d’une new-wave planante et espiègle qui serre les tripes et apaise.

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Crédit photo: Eva Blue

Et des harmonies de voix de soie qui s’étendent les unes sur les autres, tout en délicatesse. Des chants d’un autre monde, des chants de sirènes, nageant dans les limbes, puissants et fragiles à la fois. J’en suis resté figé d’admiration, la bouche ouverte, à l’affût de chaque geste, de chaque son, terrifié à l’idée d’en perdre, ne serait-ce qu’un petit morceau.

Quand elles nous ont salué, heureuses, c’est comme si elles s’en retournaient entre les nuages, au ralenti, dans leur monde parfait, nous laissant au sol, pauvres mortels. Elles me manquent terriblement. Quand reviendront-elles? Où sont-elles aujourd’hui? Que font-elles? Peut-être un jour…un jour peut-être.