BloguesSous la cagoule

L’application

Ça pop up. Demande d’amitié de la part de Sarah sur Facebook. Je vais voir les photos sur son profil. La fille est cute. Pourquoi pas ? J’accepte l’amitié. Inbox: – Ça va ? – Oui, que je fais. S’ensuit immédiatement une correspondance frénétique entre-nous. La fille ne me lâche pas. On s’écrit jusqu’aux petites heures de la nuit. Le jour, elle m’écrit du bureau, en faisant l’épicerie, en attendant son autobus, en marchant vers chez elle. Pas une minute où je ne reçois pas de message de sa part. On se promet de se voir vite bientôt. Parce qu’il le faut. Puis, quelques jours plus tard, rapprochement majeur: Nos « discussions instantanées » prennent la forme de textos après qu’elle m’ait donné son numéro de téléphone. C’est plus intime les textos à ce qu’il paraît. –  Le gars dans la file en avant de moi à l’épicerie est en train de payer à la caisse en petit change. Le cave !  –Pauvre toi, Sarah , que je lui réponds.

On s’entend bien immédiatement. On partage les mêmes valeurs, les mêmes passions. J’aime le tennis. Elle aussi. Je pratique ce sport plusieurs fois par mois.  – On ira ensemble si tu veux ?, qu’elle me dit. – Ben oui ! Une fille qui partage cette passion si peu fréquente, ce jeu qui se joue à deux, qui semble s’intéresser à moi est probablement le femme de ma vie. Un jour, je la texte:  – kestu fè ?  –Je suis au tennis avec des amis. À noter ici « des amis ». C’est toujours suspect « des amis ». Ça veut dire « mon amant » ou quelque chose du genre. Mais ce qui me brusque le plus, c’est qu’elle ne m’ait pas invité du tout. Nous parlons depuis des semaines de nous voir, d’aller jouer au tennis ensemble et elle ne m’invite pas quand elle y va ! Mais je me dis que c’est peut-être pas son idéal, que l’on se lance la balle à la raquette pour un premier rendez-vous. Elle veut peut-être de quoi de plus romantique. Ça doit être ça. Malgré tout, nos échanges restent toujours aussi intenses, la promesse d’un premier rendez-vous toujours aussi imminent. J’ai pas encore entendu sa voix.

Elle m’écrit sur son ipad alors qu’elle est en train de se cuisiner un plat, me bombarde de textos alors qu’elle est au lit sur le bord de s’endormir. Allusions sexuelles entre les lignes. Elle n’arrête pas d’échanger avec moi alors qu’elle regarde la télé. Elle me commente ce qu’elle voit. Sarah a de l’esprit et c’est toujours drôle et intéressant. Sauf que son festival New Girl avec Zooey Deschanel, j’aimerais bien y participer moi aussi. Je voudrais que ses commentaires, elle me les fasse alors que je suis avec elle sur son divan blotti dans ses bras. Sarah, je peux suivre sa vie en direct de minute en minute via ses textos, son statut Facebook, ses photos sur Instagram. C’est comme si j’étais avec elle. Mais ce que je veux, c’est être là moi aussi dans le cadre de la photo, dans sa vie, faire partie de son histoire. Je rêve d’un statut Facebook où ça dirait : Sarah est avec MC au Misto. Le rendez-vous ne vient toujours pas.

Je commence à croire qu’en fait, je ne suis tout simplement qu’une sorte de fonction Questions et Réponses qu’elle consulte/utilise à tout bout de champ partout où elle se trouve à l’aide de ses appareils. Elle me texte comme d’autres consultent 9gag ou Instagramen allant sur le siège de toilette. Sur ces multiplateformes qu’elle utilise pour m’écrire, je ne suis qu’un passe-temps, un site interactif où elle peut déverser ses joies et ses frustrations et recevoir du feedback instantanément. Faut bien justifier ces achats. C’est comme se procurer une console de jeux et ne pas prendre de jeux avec. Ça serait insensé. Faut bien justifier nos achats. Nous communiquons avec l’autre moins par désir de transmettre, de partager que par envie de faire marcher la machine, avoir quelqu’un qui répond au bout du réseau. Ce que l’on recherche n’est rien d’autre que le reflet de soi dans le miroir que l’on pose par l’entremise de ses propres manifestations en temps réel. L’interlocuteur est plus souvent qu’autrement interchangeable.

Toi et moi nous n’existons pas, sans ton fax, sans mon répondeur, que chantait Herbert Léonard dans les années 80. Sarah et moi, nous ne nous rencontrerons jamais. Nous sommes qu’une application de plus l’un pour l’autre.