
Je l’ai dit et redit, pour moi, s’expatrier signifie perdre mes repères, me mettre au défi, et même m’oublier. Après deux ans j’en peux plus de répondre à la sempiternelle question: Oui, mais, POURQUOI la Turquie? Après deux ans, la question qui s’impose est plutôt pourquoi y demeurer, m’y installer, m’y ancrer?
Cet environnement si différent dans lequel je vis me fascine et me rebutte à la fois. Sachant pertinemment qu’une vie “meilleure” est possible dans “mon pays”, du moins côté boulot, finance, couverture sociale… Quoique j’en doute de plus en plus en me fiant aux nouvelles provenant du Québec.
Régulièrement, quotidiennement, constamment, je m’interroge sur le sens de la vie, ma vie, et particulièrement sur le sens de la vie des gens d’ici.
Pourquoi demeurer, m’ancrer dans un pays où les horaires de travail signifient passer sa vie au travail? 12 heures par jour; un minimum. 7 jours par semaine, 6 jours pour les chanceux ou les téméraires qui ont su négocier, et oh, comble de bonheur (du moins selon nos paramètres sociétaux), 5 jours par semaine pour certains diplômés universitaires. Souvent pour un salaire de misère qui couvre à peine les dépenses de base.
Pourquoi habiter, m’installer dans un pays où les dites conditions de travail sont pour plusieurs exécrables? Sans contrat de travail officiel, sans protection sociale… Dans un système hiérarchique qui me fait enrager. Où des hommes et des femmes se font traiter comme des moins que rien par leurs patrons, leurs subalternes, leurs collègues, leurs clients.
Pourquoi vivre, m’incruster dans un pays où les rapports hommes-femmes sont aux antipodes de tout ce que je connais? Ces rapports sont-ils égalitaires? Là n’est pas la question. La définition de l’égalité n’est pas la même pour tous. Modelée par le bagage culturel, la famille, l’éducation, la religion. Au final, il s’agit surtout de rapports profondément différents qui souvent me déroutent.
Pourquoi habiter dans une société, un monde, qui me rappelle à chaque instant que je suis une femme? Où le vendeur de pain m’aime trop. Où le livreur d’eau tente inévitablement de me caresser la main en prenant mon argent. Où le marchand d’épices au coin de la rue me fait des clins d’oeil. Où mon instructeur de boxe me demande mon numéro WhatsApp.
Vraiment, sincèrement, profondément, je déteste ça!! Je me sens offensée, non respectée. Je regarde autour de moi et je vois bien que les femmes turques n’ont pas droit à ce traitement. Certains me disent que je suis trop amicale, trop nazik (gentille), tellement, tellement, trop “Canadienne”.
Pourquoi m’établir dans un pays où les hommes au pouvoir recommandent aux femmes de ne pas rire en public (sans blague)? Relèguent les femmes à la maison après le mariage. Ne permettent pas aux hommes et aux femmes non mariés de cohabiter. Qui concoivent les femmes comme étant avant tout des mères. Les mères d’un enfant. Non ça ne suffit pas!!! De deux enfants. Hmmm, vous pouvez faire mieux. De trois enfants. Alors, oui, voilà la meilleure façon d’assurer la prospérité de ce beau pays.
Pourquoi vivre et demeurer dans un pays laïque et démocratique, de moins en moins laïque et démocratique? Un pays dont le gouvernement autorise maintenant le port du voile sur les bancs de l’école dès l’âge de 10 ans. Qui réintroduit l’enseignement religieux dans les écoles, de même que l’enseignement de la langue ottomane (la langue utilisée avant la création de la Turquie). Qui contrôle les médias, le secteur judiciaire. Un pays où la liberté d’expression devient l’exception.
Pourquoi alors demeurer dans ce pays?
Il n’y a pas d’explications rationnelles.
Néanmoins, je comprends de plus en plus l’environnement dans lequel je vis. Mais comprendre ne signifie pas accepter. Ne pas accepter ne signifie pas rejetter en bloc. Le vrai défi est de reconnaître et de poser ses limites et surtout d’en prendre et d’en laisser.
Ce pays, la Turquie, et plus particulièrement cette ville, Istanbul, devient de plus en plus mon chez-moi. J’ai choisi d’y vivre, de m’y établir. Mais au fond de moi, et pas juste au fond, je suis toujours aussi Québécoise. Une femme québécoise vivant chez les Turcs. Et voilà le véritable défi.
Un article qui mélange les critiques. Que soulevez-vous? La situation des femmes en Turquie? Le fait que vous vous sentez catégorisée comme femme occidentale? Le fait que vous regrettez vous être installée en Turquie?
Ce qui me dérange, c’est le ton que vous choisissez pour critiquer la culture turque, en la définissant comme un tout statique et en tombant dans une grande homogénéisation , en traçant une opposition entre la culture québécoise et la culture turque. Sachez qu’il n’y a pas une façon d’être Turc, ni une façon d’être Québécois, et les traits culturels que vous relevez dans votre article ne sont que représentatifs de votre propre expérience de voyage. Il existe des mouvements féministes en Turquie, et Istanbul est une ville où beaucoup de regroupements activistes organisent des manifestations pour contester les décisions de leur gouvernement.
Un peu de nuance pourrait vous aider à éviter de tomber dans une vision homogénéisée du rapport de moi/l’Autre.
Oui, mes propos représentent ma perception de mon environnement, de mon expérience ici. Oui, je dresse dans ce billet un portrait plutôt sombre de la Turquie. Non, la société turque n’est pas statique, elle est complexe et pleine de contradictions, comme dans toutes sociétés. Mais les décisions récentes des dirigeants mènent le pays dans une certaine direction. Il est vrai que plusieurs personnes et organisations les déplorent. D’ailleurs, mon prochain texte portera sur les mouvements contestataires.
La vie est trop courte pour s’imposer ce genre de « défi ». Aucun occidental ne devrait vivre dans ce genre de pays. Point barre. Ces pays n’ont pas évolués, et régressent même, devant l’avancée de la barbarie islamiste.
« Ces rapports sont-ils égalitaires? Là n’est pas la question. La définition de l’égalité n’est pas la même pour tous. Modelée par le bagage culturel, la famille, l’éducation, la religion. » c’est ce qu’on peut lire dans cet article. Et je crois que là est la question. La notion d’égalité n’est pas une question de relativisme culturel politiquement correct. On vise l’égalité ou pas. Les hommes ou les femmes sont égaux ou pas. Notre société est loin de l’être, mais elle a fait des pas de géants comparés aux pays du moyen-orient qui sont en retard de plusieurs siècles sur la question. Une autre bonne raison pour tout occidental de se tenir loin de ces régions.
En termes d’égalité il est vrai que la Turquie ne se place pas au premier rang et, comme je le décris, plusieurs politiques ne vont malheureusement pas dans le sens de rapports plus égalitaires. J’ai tout de même pris la décision d’y vivre…Aucune société n’est parfaite et nous remarquons dans le cas de plusieurs pays un glissement vers la droite qui se manifeste de plusieurs façons, que ce soit en lien avec les rapports hommes-femmes ou d’autres domaines. La Turquie n’échappe pas à ce mouvement.
Personnellement je comprends très bien qu’il y a des moments où nous recherchons la découverte d’un autre monde, la culture, le mode de vie et se sentir différent, l’exception d’être Québécoise dans un pays comme la Turquie dois lui rappeler qu’elle est exceptionnel parmi eux… cette différence de culture lui apporte une certaine attention particulière dont elle ne se lasse pas, Québécoise en Turquie. Istanbul c’est une ville civilisée, beaucoup de touriste y visite, beaucoup de jeune sans voile avec des esprit ouverts…. les dangers sont en dehors de la ville.
Oui Istanbul est une ville civilisée. Oui plusieurs femmes, dans certains quartiers, ne portent pas le voile, particulièrement dans mon quartier qui est très libérale. Dans les faits, j’adore ce pays, je l’aime même profondément. Le portrait que je dresse peut sembler bien sombre, mais je ressentais le besoin de partager les changements politiques des dernières années. Plus précisément en lien avec les droits des femmes et la laïcité. Un grand nombre de Turcs s’en inquiètent, la dernière année a été marquée par de nombreuses décisions et politiques qui auront des impacts à long terme sur la société.
Ayayay canina!
Je ne sais pas combien l’Office de Tourisme de Turquie vous paie pour faire de la publicité, mais une chose est sûre: ils n’en ont pas pour leur argent!
Pas dans ce texte du moins…Au final la Turquie est un pays fascinant…Je vous invite à lire mes 2 textes précédents qui présentent d’autres facettes de cet univers.
Pas vraiment; les textes précédents font tous deux référence à « Istanbul Trash ».
Je comprends que si on veut se faire dire que la Turquie est un bien beau pays plein de belles choses à découvrir, ce ne sont pas les sources qui manquent. C’est louable de vouloir présenter l’autre côté de la médaille, mais vous versez maintenant dans l’autre excès.
Peut-être est-ce l’excès de la désillusion ou encore de la réalité qui me rattrappe? Néanmoins, j’adore vivre dans ce milieu, vraiment, il est fascinant, et les gens ici également. D’ailleurs mon prochain texte portera sur les mouvements contestataires et la contre-culture. Dans ce texte je me suis concentrée sur les nouvelles politiques qui attisent justement ces mouvements…
Tous ces sacrifices…n’y a-t-il pas un amour autochtone là-dessous ? C’est vrai que, des fois, il faut aller chercher les « vrais mecs » là où ils se trouvent…
« Amour autochtone », « vrais mecs »…Je suis sans mots…
Bon sang, Mélanie, sors de là au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard. Si tu fuis le Québec, alors choisis-toi au moins un pays qui respecte tes valeurs et refuse de vivre au moyen âge chez ces illuminés fanatiques.
Les Turcs sont loin d’être des illuminés fanatiques. Ils sont des gens très fiers qui tiennent aux principes instaurés par le père fondateur de leur pays. Mais voilà depuis une dizaine d’années des changements s’opèrent et éloignent le pays de ces principes. Certains approuvent ces changements tandis que plusieurs les dénoncent…J’adore ce pays et les gens qui y vivent. Mais voilà parfois je ressens un ras-le-bol face à certains comportements et idées, ce qui, je crois, est tout à fait normal. Ce sentiment peut très bien se manifester dans notre propre pays…
Toujours moins difficile quand tu as ton passeport et ta nationalité canadienne dans les poches quand même.
Assez fréquent maintenant cette bobo-misère-touristique.
On m’a fait souvent ici le commentaire du passeport canadien. Bien certainement, ayant de nombreux amis turcs, syriens, libanais… j’en apprécie d’autant plus la valeur. Mon passeport, il est vrai, me donne le choix. Pas eux!! Obtenir un visa pour vivre ou visiter plusieurs pays est un véritable tour de force. Et même, s’ils l’obtiennent, quel avenir auront-ils?
Vous décrivez extrêmement bien la situation de la Turquie que vous avez analysé avec la plus grande justesse. Au fond, j’ai l’impression que malgré cet environnement très hostile à y vivre, la Turquie a ce petit plus d’attachant qui fait d’elle ce pays si dépaysant… peut etre sa population… peut être Istanbul si différente…je ne sais pas moi mon plus pourquoi je reste ici…Je pourrais retourner en France…j’ai choisi également de rester….
Merci pour votre commentaire. En effet, nous avons fait ce choix…Je ne le regrette en rien, mais il est vrai que parfois certains événements et comportements me dépassent. Je crois que c’est tout à fait normal lorsque l’on décide de s’expatrier dans une culture si différente.