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Le banquier anarchiste et sa boisson gazeuse

Le banquier anarchiste de Fernando Pessoa buvait-il des boissons gazeuses pour maigrir? Hum. C’est une question plutôt complexe et l’idée n’est surtout pas de s’étendre.

J’ai pris un malin plaisir à relire ce pamphlet incendiaire où cet infecte et surréaliste personnage nous explique ses théories absurdes pour l’atteinte de la liberté totale via l’anarchie. Pessoa, par ce texte explosif écrit en 1922, voulait dénoncer notre société avec ses hypocrisies et ses mensonges. Et en le relisant cette semaine, je me suis demandé, bien naïvement, juste comme ça, si son banquier anarchiste aurait bu des boissons gazeuses pour maigrir.

Peut-être que non. Mais peut-être ce banquier anarchiste aurait-il aimé la dernière campagne publicitaire de Coke, ce bijou de lutte à l’obésité. Un pur délice communicationnel.

Coca-Cola a en effet lancé une campagne de sensibilisation aux saines habitudes de vie en promouvant l’équilibre entre les calories consommées et celles dépensées. Simple, lumineux, et concoctés de bonheurs visuels, cette campagne, avec comme thématique Unissons-nous, a été déployée au niveau pancanadien. La narration du message expose grosso modo l’importance de « prendre soin de nous collectivement » tout en illustrant que la multinationale a toujours été un joueur sensible à la santé des Canadiens.

Et puis quoi? Et puis ce modeste constat : « Coke » et « saines habitudes de vie » faisant équipe, c’est tout comme Dave Morrissette et Marie Chouinard soupant en tête à tête. N’y a-t-il pas simplement quelque chose qui cloche?

Les marques généreuses sont au goût du jour. Les marques authentiques, transparentes, les marques honnêtes, qui n’ont rien à cacher, les marques qui « redonnent » à la société et qui clament ainsi indirectement leur non-culpabilité en chuchotant subtilement : « Oui, nous contribuons à la consommation et oui, nous ne somme pas parfaits, mais merde on fait notre effort ». Coca-Cola désire ainsi peaufiner son image de marque pour se positionner plus avantageusement comme un bon citoyen corporatif. Comme tant d’autres multinationales. Qu’y a-t-il de mal au fait qu’une grande marque cherche à démontrer ses efforts louables pour une meilleure société, que ce soit pour les saines habitudes de vie ou pour l’environnement? Rien. C’est leur droit. C’est de bonne guerre. Et il n’en tient qu’à chacun de nous d’en tirer sa propre conclusion comme consommateur.

Le pouvoir est au consommateur. Du moins, on le souhaiterait. Ce dernier pouvoir du consommateur de discerner l’hypocrisie, ce pouvoir de dire non, ce pouvoir de choisir, vraiment.

Mais bon, on s’éloigne.

Dans une optique consommateur, il apparaît important de prendre la liberté de questionner les réelles intentions derrière cette campagne où, fait non négligeable, l’objet principal n’est pas Coca-Cola, mais bien les saines habitudes de vie. Tout le point est là. Ok pour le bon joueur corporatif. Mais nous vous en prions, pertinence dans votre générosité sociale svp, nous ne sommes pas cons après tout. Oui, la pertinence est nécessaire dans la générosité sociale – autrement dit, la générosité ne doit être pas en contradiction avec le produit offert. Simple logique.

Sinon quoi?

Sinon les consommateurs ne sont-ils pas en droit de se questionner sur la réelle intention? L’équation « Vendre des boissons gazeuses + Lutter l’obésité » ne s’annule-t-elle pas? Bien sûr, une calorie est une calorie. Mais encore : une calorie d’un produit alimentaire sain équivaut-il vraiment à une calorie de boisson gazeuse? Hum. Il faudrait le demander à Dave Morissette et Marie Chouinard.

Les exemples flamboyants sont parfois inappropriés, mais bon : il n’en reste pas moins qu’un grand format de boisson gazeuse dans un cinéma commercial contient parfois plus d’un litre de liquide. Boire autant de Coca-Cola, c’est tout comme consommer trente-deux cubes de sucre selon Mme Côté, d’Extenso, centre de référence en nutrition de l’Université de Montréal. Trente-deux cubes de sucre. C’est long à bouffer. Particulièrement si on les laisse fondre sur la langue. Vivement les saines habitudes de vie au cinéma Guzzo.

Coca-Cola est une entreprise privée, elle a le droit de vendre ses produits, de vouloir maximiser ses profits. Seulement : prière de le faire de façon assumée, sans hypocrisie, et non de façon à nettoyer sa conscience.

Si la mutlinationale veut lutter contre l’obésité, qu’elle le fasse : qu’elle effectue ses dons aux organismes communautaires concernées en souhaitant sincèrement que cela ait un impact sur les saines habitudes de vie. Mais en évitant – nous lui en prions – de se pavaner fièrement sur la place publique comme un joueur clé des saines habitudes de vie des Canadiens.

Un bon Coke avec des Ruffles all-dressed, bordel que c’est délicieux de temps en temps. Le banquier anarchiste de Pessoa s’offrirait peut-être ce plaisir.

Ou mieux encore. Lorsque les gens révoltés (unis contre ce qu’il tentait de leur faire avaler) l’ont jeté par la fenêtre, peut-être le banquier anarchiste criait-il Unissons-nous en dégustant sa boisson gazeuse.

 

 

http://www.bibliomonde.com/auteur/fernando-pessoa-525.html