BloguesMichel Vézina

Chercher l’humain

Le théâtre est un bonheur, une fleur dans le temps, une caresse au cerveau.

Mardi soir, 2h30 sans se lever, légèrement coincé – je le suis toujours dans une rangée de siège conçus pour personnes normales –, 2h30, disais-je, et pas un seul instant d’inconfort. Ça en raconte beaucoup sur la qualité du spectacle qui m’était offert.

L’Opéra de Quat’sous a été créé en 1928 à Berlin, d’après l’œuvre de John Gay. À l’Usine C, en janvier 2012, l’adaptation de Jean-Marc Dalpé mise en scène par Brigitte Haentjens se déroule à Montréal en 1939. Mais le tour de force temporel n’est peut-être pas là : si ce n’était des costumes et d’un petit arrière-goût de Montréal, ville ouverte, on pourrait se croire de nos jours. Rien n’a changé entre les petits et les grands crimes, les enveloppes brunes et les magouilles, les filles, les clubs, l’argent, les bonne mœurs, la morale et la moralité : tout ceci et tout cela rappelle que l’humain ne change pas.

C’est triste et beau à la fois. Nous avons tout mais nous n’avons plus rien qui nous fasse comprendre la beauté de la vie, l’essentiel de la survie : l’amour, la trahison, la honte, la complicité, l’amitié, le respect et la fidélité.

C’est Brecht et un certain théâtre de la dérision, une photo scénique du monde avec toujours, ce rappel que nous sommes au théâtre et que la vie, elle, ne se joue pas là. Elle est dehors, quand les applaudissements sont tombés, qu’il fait froid et qu’on glisse dans les rues.

Distance.

Les prouesses des acteurs et des musiciens pour nous emmener ailleurs fonctionnent : ils sont d’une force absolue, et oui, notre monde nous saute au visage comme un miroir à peine déformé.

« « Cute, c’est cute! » C’est pas cute, c’est de l’ÂÂÂÂRT! »

La langue de Dalpé dans la bouche de Ricard, les images et les sens qu’Haentjens manie, les musiques de Weill entre les mains des Falaise, Derome, Letarte et cie, le jeu de Jacques Girard, de Kathleen Fortin… Tous : sublimes et grands. Le temps, l’histoire, la vie. Le théâtre. Tout, je vous dis, tout.

2h30 et pas une douleur. Pas même une seuls fois regardé l’heure.

Le temps.

Brecht.

L’humain.