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Appeler la barbarie par son nom!

La scène s’est déroulée pas très loin de chez-moi, au parc Jarry où j’ai croisé un vieil ami. Comme moi, il est d’origine arabo-musulmane. Avant même de me dire »Bonjour », il m’a lancé:

« Bain est un terroriste oui ou merde? »

Le reste de notre petit échange s’est déroulé à peu-près dans ces termes:

« Mais, pourquoi tu cries comme ça? «

« Parce que c’est toi le journaliste. Parce que tout le monde en parle depuis quatre jours et personne ne l’a encore dit. Aucun journaliste, aucun médias, aucun commentateur, ni dans dans les grands médias, ni dans les réseaux sociaux, n’ose qualifier Bain de terroriste ou du moins de présumé terroriste. Personne ne voit dans cet acte barbare quelque chose qui s’appelle le terrorisme ».

« Pourquoi tu y tiens tant, ça manquerait à ton bonheur.. ? »

« Plutôt, ça soulagerait un peu la frustration de milliers d’arabo-musulmans du Québec! Ce n’est pas à moi de te rappeler qu’on a depuis trop longtemps associé le terrorisme aux arabes et aux musulmans. En tant qu’arabo-musulman, j’en ai souvent souffert de ces deux poids deux mesures. Même lorsque des amis m’appellent à la blague « Le terroriste », j’en souffre. Alors oui, j’y tiens! J’y tiens parce que les gens croient ce que disent les médias et ce sont les médias qui fabriquent l’opinion ».

« Tu as raison sur le traitement journalistique, mais reconnais quand-même que c’est la première fois qu’un québécois issu de la minorité anglophone s’adonne à un acte terroriste contre la majorité francophone. En plus, pour l’instant, rien ne laisse croire que ce terroriste a agi au nom d’une nébuleuse quelconque. Au nom d’un groupe anglophone armé. Ce geste demeure isolé. Le qualifier de terroriste, c’est très délicat ».

« Pourquoi ça serait délicat? Le terroriste d’Oslo et celui d’Oklahoma ont aussi agit seuls, leurs actes n’étaient pas moins qualifiés de terroristes par les médias. Le jeune Merah en France aussi a agit seul.  Sur quoi les médias, au Québec, devraient-ils évaluer le terroriste de Montréal ? Sur le nombre de morts ? À partir de combien de morts, un terroriste devient terroriste aux yeux des médias ? »

« La paix sociale au Québec entre anglophones et francophones exige une certaine éthique de la part des médias. Qualifier Bain de terroriste, ça serait comme mettre de l’huile sur le feu. Pour faire avancer la cause souverainiste, certains nationalistes francophones ne demanderaient pas mieux que de voir les anglos diabolisés . Il y a aussi certains anglos fédéralistes qui croient que par la peur et l’intimidation, ils pourront calmer les ardeurs souverainistes. D’ailleurs certains éditorialistes anglophones ne se sont pas gênés durant la campagne électorale pour tirer sur le PQ et sur Marois.. Ils l’ont fait cependant avec des mots ».

« T’es en train de me dire que les mêmes médias anglophones qui ont manqué d’éthique envers Marois et le PQ, soudainement, ils ont découvert l’éthique journalistique..? Ce que j’essaye de te dire et tu fais semblant de ne pas comprendre. En ne qualifiant pas Bain de terroriste, dans l’esprit de beaucoup de gens, ce terme demeure associé aux arabes et aux musulmans. Maintenant, si la cause souverainiste doit passer par des turbulences, ce n’est pas la faute des arabes ».

« N’oublie pas quand-même que la souveraineté du Québec a la possibilité de se faire par d’autres moyens plus pacifiques. Mais là, c’est une autre histoire ».

« Ce n’est pas une autre histoire! Imagine si c’était un francophone qui avait commis le même acte dans un rassemblement politique anglophone ? »

« Euhh… »

« Puisque tu continues à faire semblant de ne pas comprendre, je te rappelle que depuis des années, certains se sont acharnés à faire peur aux Québécois en annonçant l’arrivée des soldats d’Allah. Des médias ont qualifiés le Canada de terreau de la terreur islamiste. Finalement, la terreur s’est manifestée à Montréal et ce n’est pas un arabo-musulman qui en est l’auteur. Ce n’est pas un fou d’Allah qui a appuyé sur la gâchette. Ce n’est pas un Mohamed ou un Rachid qui voulait donner une leçon à l’occident en provoquant un carnage. Non! C’est un québécois anglophone qui, par la violence, a voulu transmettre un message politique aux québécois francophones. Je te rappelle que des québécois d’origines arabes étaient présents au Métropolis dont deux candidats du PQ. Je te rappelle que toi aussi tu es arabe et tu es journaliste, tu es peut-être mieux placé pour appeler cette barbarie par son nom ».

« Non, je préfère que ce soit un Jean-François Lépine, un Patrice Roy, un Pierre Bruneau, une Chantal Hébert, un Michel C. Auger, une Céline Galipeau, un René Homier-Roy, une Sophie Thibeault ou un Michel Desautels pour appeler cette barbarie par son nom.   Ceci dit, je trouve mon cher ami que tu insistes trop sur les différences culturelles et religieuses des québécois dans un moment ou on devrait s’unir sur ce qui nous rassemble. Nous sommes tous des citoyens québécois. Pour moi le 4 septembre 2012, c’est un québécois qui a tiré sur d’autres québécois. À mon avis, il faut plutôt chercher à savoir qui a intérêt à provoquer la division entre nous.  Qui en tire les ficelles ? Oui, Richard Henry Bain a commis un acte terroriste, nous en avons été témoins, en directe à la télévision. Mais fondamentalement, cet acte a été commis par un humain contre d’autres humains.  Si j’étais toi, je parlerais plus de Denis Blanchette, de son courage et de son héroïsme ».

Je ne crois pas avoir soulager la frustration de mon vieil ami par ces derniers mots. Il a quand-même fini par sourire en me disant « Bonjour » et en m’invitant à prendre un verre…