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Art-Peur! Art de se faire avoir!

Un jour, un journaliste qui m’interrogeait sur mon travail avec les détenus dans le cadre de l’émission Souverains anonymes,   m’a demandé s’il m’arrivait d’avoir peur.   Peur de quoi ?  « Des détenus ».  J’ai répondu simplement « Demandez-moi plutôt si j’ai peur de Harper ».

En réalité, je rigolais.  Je n’ai jamais eu peur de Harper ni de ses conservateurs.  J’ai plutôt peur de ceux et celles qui ont voté pour ce parti.  Malgré ses politiques de droite clairement affichées et appliquées, ils ont continué à le faire, trois fois de suite.

J’ai peur de savoir que 22 % des canadiens ont fait de Harper et ses conservateurs un gouvernement majoritaire.  J’ai peur de voir le Canada dirigé par une idéologie que la majorité des canadiens n’ont pas choisi dans leur bulletin de vote.   J’ai peur quand je vois la division de la majorité favoriser l’élection d’une minorité.

J’ai peur de savoir que le Québec  est obligé de subir les politiques de Harper et ses conservateurs alors que seulement 5 députés de ce parti sur 165 ont été élus par les québécois..

J’ai peur de voir un Monsieur Pierre-Hugues  Boivenu accepter que les conservateurs de Harper instrumentalisent sa tragédie personnelle pour faire la promotion d’un projet de loi que l’Assemblée Nationale du Québec a rejeté, le 20 octobre 2011, en votant à l’unanimité une résolution exigeant « le retrait des dispositions du projet de loi fédéral C-10 qui vont à l’encontre des intérêts du Québec et des valeurs québécoises en matière de justice, dont celles concernant les jeunes contrevenants ».

J’ai peur de voir ce gouvernement instrumentaliser la religion à des fins politiques!  Harper et ses conservateurs viennent de mettre sur pied  « Le bureau de la liberté de religion ».  J’ai peur que les canadiens ne réagissent plus ce qu’il ne faut à une telle escroquerie intellectuelle.  Voilà un obscurantisme qui dit haut et fort son nom.

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Dans une scène du film Le Jouet avec Pierre Richard, un grand patron de presse ordonne à son adjoint de baisser son pantalon.  Ce dernier, interloqué, fini par obéir.  Le patron fini par l’interrompre avec cette phrase « Lequel de nous deux est le plus monstrueux, moi qui vous ordonne de baisser votre pantalon, ou vous qui obéissez..? »

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Si la politique, d’après Paul Valéry, « c’est l’art de se servir des gens », ça serait peut-être aux gens de se servir de la politique pour faire de l’art. L’art de ne pas se faire avoir.

Quand le 21 avril 2002, Jean-Marie Lepen a été qualifié au second tour des élections présidentielles en France, 82% des électeurs français, de différents courants politiques, se sont mobilisés au second tour pour voter contre l’extrême droite. Des manifestations de masse avaient eu lieu tous les jours exprimant l’opposition populaire à la politique d’extrême-droite de Le Pen. Devant une telle mobilisation, les chefs des autres partis, les communistes, les socialistes et les verts, ont appelé à voter pour Chirac. Dans le journal Libération, Daniel Cohn-Bendit avait qualifié la nécessité de voter pour le candidat de droite de ’’super mensonge ludique’’.

Chez nous, en 2011, malgré le danger réel que représentait la réélection du parti conservateur en gouvernement majoritaire, apparemment rien ne laissait présager que les autres partis politiques allaient constituer en pleine campagne électorale un front anti-Harper. Le NPD ne se rallierait jamais au Parti libéral et le Bloc ne céderait jamais la place au NPD.

Et pourtant, nous avions au Canada, et particulièrement au Québec, une plus forte raison pour imiter les français, puisque notre extrême droite était déjà au pouvoir durant deux mandats. Et nous savions concrètement de quoi elle était capable.

Partout dans les démocraties occidentales, la division de la gauche a grandement contribué aux succès de la droite. La montée spectaculaire de l’ADQ en 2007 et l’élection du parti conservateur en 2006 sont révélateurs de la faiblesse de la gauche et de son incapacité à former une coalition forte et solidaire. La menace d’un gouvernement majoritaire formé par le parti conservateur n’a visiblement pas mis fin à cette division ?

À défaut de compter sur une coalition Bloc-NPD avec le Parti libéral, le seul front qui pouvait empêcher Harper et son parti de continuer à sévir est celui  des voix progressistes.

Les objecteurs de conscience se sont exprimés, mais peut-être pas assez haut et fort pour réhabiliter une certaine conscience canadienne, celle fondée sur la justice sociale, les droits de l’homme, la promotion de la paix, la protection de l’environnement et le soutien à la culture. Des valeurs qui plaçaient le Canada parmi les pays les plus modernes attirant chaque année des milliers d’immigrants. Des valeurs pour lesquelles le parti conservateur a démontré clairement son total mépris.

Durant son premier mandat, Harper et son gouvernement conservateur ont coupé dans le financement aux organismes d’aide à la condition féminine. Ils ont remis en question, avec leur projet de loi C-484, le droit à l’avortement. Ils ont consacré 15 milliards à l’armement. Ils ont voté contre l’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones à L’ONU. Ils ont enfoncé le Canada en Afghanistan dans une guerre coûteuse et inutile.  Ils ont écarté toute possibilité pour le Canada d’adhérer aux objectifs de Kyoto. Ils ont coupé dans les programmes d’aide à la culture.

Ils ont essayé de museler les journalistes de la Chambre des communes. Ils ont modifié la loi pour que les jeunes contrevenants de 14 ans reçoivent des peines pour adultes et ce malgré l’opposition de la cour suprême. Ils ont refusé de rapatrier un jeune canadien de l’enfer de Guantánamo lui enlevant toute possibilité d’être jugé au Canada dans un procès juste et équitable.

En quoi ces actions et ces mesures du gouvernement conservateur correspondent aux valeurs canadiennes ?

Au cours de la dernière campagne électorale fédérale,  Stephen Harper nous disait avec ironie qu’il se contenterait d’un autre gouvernement minoritaire. Il savait lui-même à quel point les canadiens et particulièrement les québécois ne pouvaient adhérer totalement aux valeurs de son parti. Des valeurs propres à une idéologie d’extrême droite que Harper a essayé de camoufler derrière l’image d’un père aimant et un homme touché par la mort de jeunes soldats. ’’J’ai pleuré’’ avait t-il dit aux journalistes pour parler des premiers soldats morts en Afghanistan.

Aucun journaliste n’avait osé demander à Harper quel genre d’émotion avait-il ressenti face aux images d’un jeune canadien en détresse, détenu à Guantánamo depuis 2002. Apparemment les journalistes, ainsi que les autres partis politiques, ne considéraient pas l’affaire Omar Khadr comme un enjeu électoral.  Aucune voix n’avait eu assez de courage  pour rappeler que l’affaire Omar Khadr, c’était notre affaire à tous. Une affaire de respect. Le respect du droit, le respect des droits de l’enfant et le respect des conventions internationales dont le Canada est signataire interdisant le recrutement et l’utilisation des enfants soldats.

À défaut de compter sur les journalistes et les autres partis politiques, c’était à nous de nous  servir de la politique pour faire du respect de la dignité humaine un enjeu électoral.   C’était à nous de ne pas se faire avoir.

L’histoire nous enseigne que la démocratie est souvent une affaire d’ironie. Les présidentielles de 2002 en France est un parfait exemple. Des millions de français ont marché sur leur orgueil en votant pour un candidat qui n’était nullement leur préféré. Ils l’ont fait pour une bonne cause. Pour combattre la résignation.

Résignation, une pilule au goût amer que des sondeurs, des analystes et beaucoup de journalistes nous ont fait avaler pour supporter, selon eux, l’inévitable réélection du parti conservateur. Pour eux, l’histoire était écrite d’avance. Harper était un ouragan contre lequel on ne pouvait rien. Comme si les citoyens n’avaient plus leur mot à dire. Comme si aucune alternative aux conservateurs n’était possible.

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Quand aux artistes et le milieu culturel, les coups de hache des conservateurs dans leurs subventions devraient peut-être leur enseigner une chose.  Il ne faut pas combattre les conservateurs uniquement dans leurs politiques culturelles.  C’est toute une idéologie qu’il faudrait combattre en faisant aussi le procès d’une certaine opinion publique qui nous plonge tout droit dans un obscurantisme qu’on croyait révolu.

Face aux conservateurs et leur Harper, le seul art qui mérite d’être réhabilité est celui de ne pas se faire avoir par le fatalisme ambiant.  Les artistes peuvent y contribuer grandement.

L’autre option qui mérite d’être reconsidérée par nos artistes québécois, c’est de voir dans le gouffre qui nous sépare (politiquement et idéologiquement) du reste du Canada, un signe annonciateur d’un autre destin pour le Québec.