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Charte: Le bal des récupérations!

Nous sommes samedi 14 septembre 2013! Il est 22h. J’allume la télé pour aller aux Nouvelles. Le premier reportage couvre la grande manifestation organisée par le Collectif québécois contre l’islamophobie. À la fin du reportage je me suis dit simplement que cette manifestation (10 000 personnes d’après les médias, 50 000 d’après les organisateurs) est une grande entreprise de récupération.

Le bal des récupérations autour de la Charte des valeurs vient de connaître son apothéose.

Tout laisse croire dans ce reportage qu’il ne s’agit pas d’un simple rassemblement contre les incohérences d’une charte, mais la manifestation d’un islam politique dans toute sa splendeur, pour ne pas dire, toute son arrogance. Une première à Montréal et au Québec. On croirait par moment que ces images proviennent de la capitale de l’islamisme; Londres! Là où existe la plus grande concentration d’islamistes militants au monde. Là aussi où le multiculturalisme fait des ravages.

Dans le débat qui domine le Québec depuis quelques semaines, les perceptions des choses jouent un rôle plus important que la réalité des choses. Ils sont sûrement minoritaires, les militants de l’islam politique au Québec, je ne discute pas leur existence, mais dans ces images, ils donnent l’impression de représenter une force politique importante. Regardez et écoutez le ton du d’un des organisateurs: http://www.youtube.com/watch?v=59XNWkl2iTY

Quand on connaît l’impact de certaines images dans la psyché collective, on peut s’inquiéter de l’influence d’un reportage, à l’heure de grande écoute. Quand le moment viendra pour un employeur québécois d’examiner une demande d’emploi venu d’un Mohamed, un Rachid ou un Karim, qui peut garantir que le souvenir de ces images ne viendrait pas peser sur la décision à prendre?

Si le taux de chômage des maghrébins au Québec est trois fois plus haut que la moyenne nationale, il faut en questionner toutes les causes. Si les premières victimes des islamistes sont d’abord des musulmans, la manif du 14 septembre risque de ne pas améliorer une situation déjà très inquiétante.

Les islamistes wahabistes partagent une part de responsabilité dans le sentiment de peur qui règne vis-a-vis l’islam et les musulmans. L’islamophobie est un terrain sur lequel ils savent bien danser. Ils n’hésitent pas à faire le premier pas à la première occasion. Des considérations politiques étranges et étrangères guident leurs pas. Dénoncer la charte des valeurs s’inscrit dans une guerre globale qu’ils mènent contre la modernité. Pour eux, le débat actuel est un beau prétexte pour faire acte de présence.

Le monstre islamiste a été fabriqué de toute pièce par certaines démocraties occidentale pour servir leurs intérêts. Aujourd’hui, le monstre vole de ses propres ailes. Il n’a plus besoin d’être téléguidé. Dès qu’on lui donne l’occasion, il marque son territoire à coup de manifs.. À coup de récupérations!

Beaucoup de maghrébins du Québec sont contre la charte des valeurs du PQ. Qu’on soit d’accord ou pas avec leurs arguments, c’est leur droit le plus légitime de l’exprimer dans le cadre d’une manif. Celle du 14 septembre a récupéré leur expression pour donner à l’islam politique un droit de cité au cœur de la cité.

Autant dans les slogans, dans les discours que par cette concentration extraordinaire de signes religieux islamistes, en pleine ville, c’est un islam conquérant dont on a fait la démonstration dans cette manif. Cela va conforter tous les préjugés liés à l’islam, qui habitent déjà une partie de la population, particulièrement dans les « Hérouville » du Québec. Tous les musulmans du Québec, qu’ils soient pour ou contre la charte, qui ne partagent pas le caractère extrémiste de cette manif, devraient à mon avis, s’en dissocier publiquement. C’est le rôle des médias de rapporter leurs positions.

Ceci-dit, la responsabilité du dérapage que représente cette manifestation, revient en premier lieu aux décideurs politiques qui ont laissé, trop longtemps, cultiver le vide autour des accommodements religieux. Le PQ a suscité de l’espoir avec sa promesse d’une charte de la laïcité. En choisissant comme slogan  »Parce que nos valeurs, on y croit »,  le gouvernement est entré, lui-même, dans la danse pour faire partie du grand bal des récupérations.

D’un besoin réel de laïcité, le PQ a fait la grave erreur, de nous présenter une charte de l’identité, jugeant qu’elle serait plus payante électoralement. Dans les circonstances, récupérer les vulnérabilités identitaires des québécois est malvenu, pour ne pas dire, immoral. Pour l’instant, par son incohérence et son double langage, la charte du PQ divise au lieu de rassembler.

D’autres danses figurent dans le bal des récupérations. Chacun y va de son pas et profite de la grande piste ouverte à tous: Les partis fédéraux ont trouvé dans la charte une autre occasion pour promouvoir leur fédéralisme.  Le NPD menace de participer à toute contestation judiciaire contre la charte.  Comme une marchandise, le « vote ethnique »  se vend et s’achète sans état d’âme.  Aux plus offrants.

Aussi longtemps que la question nationale au Québec n’est pas résolue, les débats sur des dossiers aussi important que la protection de la langue ou la place de la religion dans nos institutions seront otages des partisaneries souverainistes et fédéralistes.

À entendre les chantres du fédéralisme réagir à l’énoncé de la charte se portant à la défense des « pauvres immigrants », j’ai imaginé Gérald Godin se retourner dans sa tombe. Les signes du dérapage rejaillissent déjà sur la toile, comme lors de la fameuse Commission sur les accommodements.

J’ai noté celui-là en particulier « Les ennemis des Québécois ordinaires déploient tellement d’énergie contre le PQ que je pense que ce parti que je critique tant va avoir mon vote la prochaine fois… ».  Par ailleurs, je suis très mal à l’aise devant ceux qui voient dans cette charte la meilleure occasion pour se sentir victimes d’ostracisme, de racisme et de toutes les discriminations du monde.

Si la charte du PQ brille par ses incohérences, dans le débat qu’elle suscite, la rationalité, brille par son absence, surtout aux heures de grande écoute.

Certains intellos de droite qui sévissent sur le site de Vigile n’hésitent plus à cracher leur racisme ouvertement et sans complexe en réclamant « l’immigration des immigrants ».

Pour ne pas être associé aux intellos de droite, certains intellos de gauche ont trouvé dans les paradoxes de la charte une occasion pour renouveler leur mépris du gouvernement actuel. Ils persistent et signent leur naïveté, pour ne pas dire leur ignorance, devant l’impact et les conséquences du port des signes religieux dans l’espace civique. « En quoi ça me dérange un bout de tissu sur la tête? ».

Je les invite tous à lire Guy Rocher. Ce grand bâtisseur du Québec moderne et récipiendaire du prix Condorcet (pour sa contribution à la déconfessionnalisation du système de l’éducation) mérite d’être écouté attentivement.

Sur un ton ironique, Stéphane Laporte, dans son dernier article, invite les québécois à choisir d’être d’un bord ou de l’autre. Pour ou contre la charte ? Comme s’il n y avait pas d’autres choix, d’autres avenues. Pour l’instant, je ne me sens d’aucun bord. Le bal des récupérations idéologiques, électoralistes, islamistes, multuculturalistes et féménistes, que suscitent la charte des valeurs, ne m’inspire qu’une chose, m’adresser de nouveau à la première femme Première ministre du Québec pour lui dire ceci:

Madame Marois,

Une manifestation d’appui à votre charte des valeurs aura lieu dans quelques jours. Je voudrais bien m’y rendre, mais quelques petits détails de votre charte m’en empêchent. J’irais volontiers manifester mon appui à votre charte si vous daignez considérer ma proposition.

Pour la deuxième fois, Madame Marois, je me permet de m’adresser à vous pour vous inviter à entrer dans l’histoire. Rien de moins. Comme je vous ai déjà écrit, l’histoire vous ouvre sa porte grande ouverte pour la deuxième fois. Apparemment aucun de vos conseillers n’a remarqué que l’histoire vous fait signe à nouveau. Je vais oser me permettre d’être votre conseiller pour un moment seulement.

Je vous propose Madame, de lâcher un coup de fil à Monseigneur Gérald Cyprien Lacroix.

Je n’ai pas besoin de vous répéter, ce que vous savez déjà. Ce signe religieux n’a plus sa place au parlement québécois depuis longtemps. Il doit retourner d’où il est venu, à l’Église. Je me demande d’ailleurs pourquoi l’Archevêque du Québec n’a t-il pas réclamé sa croix. Le silence de l’Église dans ce débat me laisse songeur. Deux prêtres ont pourtant bien signifié à titre individuel leur position en faveur du retrait du crucifix de notre AN.

Ça serait tout à l’honneur de l’Église de retirer ce qui reste de ses symboles dans les institutions de l’État.  Il est temps que le Québec assume officiellement sa laïcité entamée il y a plus de cinquante ans.

Un demi siècle après le régime Duplessis, le Québec est mûr pour s’affranchir d’une époque ou religion et politique dirigeaient d’une seule main, la vie des québécois. Vous avez vous-même contribué à ce processus de laïcisation avec la déconfessionnalisation du système de l’éducation en 1998. Complétez votre œuvre!

Aujourd’hui, le Québec est plus multiculturel que jamais, une charte de laïcité devrait être le ciment d’un nouveau vivre ensemble. Je sais, ce terme a été tellement galvaudé, utilisé à tort et travers, mais il y en a pas de meilleur. Vivre ensemble sans peur de l’autre, sans jugement de l’autre est le plus beau cadeau à offrir aux générations futures. Seule la laïcité est capable d’un tel défi. Une laïcité assumée. Ni ouverte, ni fermée, une laïcité digne de son nom.

On ne fait pas une loi avec de bons sentiments, encore moins avec des sentiments de nostalgie.  La Charte gagnerait à intégrer l’évolution d’une nation au lieu de se confiner dans un repli qui provoque d’autres replis.

Votre Charte, notre Charte, devrait donner à chaque citoyen du Québec, qu’il soit athée ou croyant, qu’il soit né ici ou ailleurs, la conviction que la charte de la laïcité ne le vise pas lui plus qu’un autre.  Toutes les religions, sans distinctions devraient être séparées de l’appareil de l’État.

Le retrait du crucifix de l’Assemblée Nationale est un geste symbolique fort qui libèrera le parlement national de toute ingérence religieuse, aussi symbolique soit-elle. Je vous invite Madame Marois à envoyer un message clair à tous les récupérateurs de cette charte en la déchargeant (en la débarrassant) de toute dimension partisane.

C’est, à mon avis, un bon début pour mettre fin au bal des récupérations.

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PS: Je vous invite également Madame Marois à réfléchir sur la pertinence de la présence d’un lobby religieux au sein du ministère de l’éducation. Le Secrétariat aux affaires religieuses et le Comité aux affaires religieuses n’ont aucunement leur place dans un ministère qui devrait être le premier préservé, protégé, de toute pression ou toute influence à caractère religieux.  La déconfessionalisation du système scolaire au Québec sera inachevé tant et aussi longtemps  que des instances catholiques se mêlent de notre Éducation.  Et que dire des écoles religieuses privées, subventionnées à 60% par l’État ?  Que dire des avantages fiscaux accordés à des autorités religieuses ?  Que dire de la messe rouge, une cérémonie annuelle à l’église Notre-Dane, qui réunie des gens de lois pour recevoir la bénédiction de l’église ?  Que dire de ces tribunaux religieux (juive et catholique) qui offrent leurs services publiquement ?    Que dire d’une charte qui ne prévoit aucune intervention de l’État sur ces réalités ?

Pétition pour le retrait du crucifix à l’Assemblée Nationale.