Que vaut la majesté d’un Roi, si elle ne correspond pas à celle de son peuple ?
Le peuple marocain s’est exprimé par la voix de sa jeunesse, le 20 février 2011 avec panache et détermination. Avec civisme et civilité. Avec bruits et par endroits avec grondements!
Ils étaient au moins 383 mille à brandir haut et fort les priorités et les urgences du pays en matière de justice, d’emploi et de constitution. Quelques jours plus tard, ils étaient plus d’un million, à travers 53 villes, à réclamer le renforcement de l’état de droit, la fin des privilèges et l’établissement d’une réelle démocratie.
Ils ont revendiqué la fin du mépris qu’une petite minorité de la classe dirigeante exerce depuis trop longtemps sur la majorité du peuple.
17 jours plus tard, le 9 mars, Mohammed VI a répondu à la jeunesse marocaine par un discours qualifié d’historique par certains. D’ambigu et insuffisant par d’autres. Néanmoins, ce discours ouvrait la porte à un nouveau rapport entre les marocains et leur monarchie.
Sans répondre à toutes les demandes des jeunes, le roi a néanmoins fait signe à son peuple qu’il est entendu et que désormais le processus des réformes constitutionnelles et démocratiques connaîtra une plus grande accélération. Le discours du Roi est une réplique à la marche du 20 février. Le dialogue pouvait commencer.
Mais que vaut le dialogue entre un Roi et son peuple s’il n’est pas fondé sur un équilibre des rapports de force ? Une bonne partie de la jeunesse du 20 février, par son éloquence, par sa non violence, par son sens du bien commun et par sa détermination d’aller jusqu’au bout du combat démocratique, en quelques semaines, elle avait redonné au peuple marocain toute sa majesté.
Cette même jeunesse marocaine qu’on avait essayé de diaboliser et de culpabiliser a essayé de remettre à jour cette chose extraordinaire qui a conduit les marocains à leur indépendance en 1956, la souveraineté populaire. Toute la grandeur de Mohammed V, grand-père de Mohammed VI, est d’avoir su la reconnaître, l’accompagner et la guider en préférant l’exil à la soumission aux autorités coloniales. Quand la grandeur d’un Roi et la souveraineté d’un peuple sont au rendez-vous, ils mènent inexorablement vers une révolution!
Avec Mohammed VI, depuis son accession au trône en 1999, force est de reconnaître que beaucoup de chemin vers le progrès a été parcouru, mais nous ne sommes pas encore rendu à la révolution. J’aimais néanmoins imaginer que nous en n’étions pas loin. Il y avait dans la marche du peuple du 20 février et dans le discours du Roi du 9 mars, tous les ingrédients pour y arriver.
Au delà de l’aspect affectif entre le monarque marocain et son peuple, la politique demeure un rapport de force. Un peuple qui ne demande rien, n’a rien. En comparaison avec d’autres pays arabes, le peuple marocain, a toujours su revendiquer ses droits à sa manière et à son rythme. Alors qu’en Tunisie et en Égypte, les jeunes avaient réclamé la fin du régime, au Maroc, la jeunesse a fait montre d’un sens de la nuance hors du commun. Cette jeunesse, aussi indignée et révoltée soit-elle, ne remet aucunement son attachement à la monarchie.
Cette jeunesse reconnaît le rôle important que joue la monarchie dans l’unité et la stabilité du pays. Elle ne veut nullement se priver d’un prestige qui fait partie du patrimoine et donne au Maroc une splendeur internationale. Mais, le prix de ce prestige, la jeunesse marocaine voulait le renégocier. Elle voulait rétablir son rapport avec la monarchie sur des bases nouvelles. Autrement dit, elle voulait jeter l’eau sale du régime, mais pas avec le bébé. En ce sens, elle a fait preuve d’une intelligence politique que je salue bien bas.
Mine de rien, la jeunesse du 20 février a ouvert une page nouvelle de l’histoire du Maroc. Désormais, toute décision et toute réforme politique doivent tenir compte de la voix des jeunes qui forment 60% des habitants du pays. La jeunesse marocaine du 20 février mérite un prix Nobel de la paix.
Mohammed VI mériterait tout autant ce prix, s’il s’inspire de son grand-père. S’il renouvelle la légitimité de la monarchie en faisant corps avec la jeunesse de son pays. En écoutant d’abord sa voix plus que n’importe qu’elle autre voix. Mohammed VI devrait répondre aux revendications légitimes des jeunes du 20 février dont la plus urgente, celle de faire le ménage autour de lui. Cette jeunesse lucide et éclairée sur les enjeux du pays s’avèrerait meilleure conseillère que les plus proches conseillers du Roi.
Des félicitations du Président français et des porte-paroles américains avaient été adressées au Roi suite à son discours du 9 mars 2011. À mes yeux, elles sont moins importantes que les critiques constructives exprimés par les leaders du mouvement du 20 février. Ces critiques posaient des questions fondamentales: Que vaut la dignité d’un peuple si elle n’est pas reconnue dans la constitution ? Que vaut une constitution si elle n’est pas conçue avec et pour le peuple ? Que vaut le discours d’un roi, aussi solennel soit-il, s’il n’est pas dicté par les aspirations et les besoins de son peuple ?
À sa majesté le Roi de faire la part des choses entre les intérêts extérieurs et les intérêts de son peuple.
À sa Majesté le peuple de reprendre la balle qu’il a lui-même lancé au Roi et d’accomplir un autre petit pas vers la démocratie. Dans le discours du 9 mars, le Roi appelait la société civile à faire des propositions. Les marocains ont pris leur Roi aux mots.
Le dialogue ne fait que commencer entre sa Majesté le Roi et sa majesté le Peuple…
Publié le 19 mars 2011 sur Lakom.com.