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Viol! D’ici et d’ailleurs!

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J’ai figé au milieu du trottoir.  Je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien.  Une envie de hurler s’est coincée dans ma gorge.  Quelle histoire on vient de me raconter! Que peut dire un homme sur le viol d’une femme ? Une femme que je n’ai jamais vue. Même les témoins du crime ne l’ont pas vu.  Ils ne connaissent pas son nom. Ils devinaient à peine son âge.  Une porte et des murs les séparaient de cette voix suppliante. Des années plus tard, les murs ont parlé pour elle… Un peu!

Me voilà, à deux pas de ces murs.  À deux pas du lieu du crime. À l’entrée de notre immeuble. Juste en bas des escaliers, tout proche de la porte qui donne sur la petite maison qui servait autrefois de conciergerie.  Je suis exactement là où, enfant, je jouais aux billes avec mes camardes de quartier, en revenant de l’école.

On me raconte que cela s’est passé un soir d’été, tard. À une heure ou les rues de Rabat sont pratiquement vides.  Certaines sont éclairées à moitié. Dans certains coins de rues, quelques hommes discutent ou jouent aux cartes sous un lampadaire.  À 23 heures, une femme ne sort pas sans être accompagnée d’un homme.  Parce qu’on ne sait jamais.. Parce que des histoires de viol ou de vol, cela arrive au Maroc!  Très souvent.

La plupart des violeurs sont impunis. La plupart des victimes gardent le silence.  La plupart des témoins, aussi.

Dans cette histoire, les témoins sont les habitants de la petite maison qui servait autrefois de conciergerie.  Le maître de la maison était absent ce soir là. Seules sa femme et sa fille étaient présentes. À 23 heures, elles regardaient la télévision lorsqu’un bruit étrange avait franchi l’entrée de l’immeuble.  Aussitôt, la mère et sa fille ont collé leurs oreilles sur la porte. Elles ne s’en doutaient pas encore qu’elles allaient être les témoins impuissantes d’un viol.  De ce qui est parvenu à leurs oreilles, elle ont compris que deux hommes avaient forcé une femme, couteau à la main, de les suivre dans cette cachette où ils étaient à l’abri des regards.

Cette femme, dont l’âge approchait la trentaine selon l’évaluation des deux témoins, suppliait en larmes ces deux ravisseurs d’épargner son visage. Pas de coups de poings, pas de coups de couteaux. Ils auraient en retour ce qu’ils désiraient, un rapport sexuel complet.  Dans la noirceur totale de l’endroit, ni les deux violeurs, ni leur victime ne se doutaient un seul instant qu’ils étaient collés à une porte derrière laquelle deux femmes entendaient tout en tremblant d’effroi.

Sans téléphone, sans portable et sans aucun moyen pour alerter les voisins ou la police, les deux femmes avaient peur pour elles-mêmes.  Toute en sueur, la fille regardait sa mère en lui faisant signe d’aller en cuisine et chercher un couteau.  Mais pour la mère, il n’était question de prendre le moindre risque que sa fille, encore vierge, fasse l’objet elle aussi d’un viol.  Des années plus tard, ce cauchemar revient souvent hanter leurs consciences. Pouvaient-elles agir autrement ?

Selon les deux témoins, le calvaire a duré plus qu’une demi-heure. Comble de l’ironie, un des deux violeur aurait accepté d’accompagner la victime jusqu’à trouver un taxi. Elle avait probablement peur que le calvaire ne recommence avec d’autres.

Aussitôt on m’a raconté ce viol, j’ai voulu le rapporter à la police en sachant très bien que cela ne servait à rien.  J’ai arrêté le premier policier que j’ai croisé et je lui ai tout dis.  Il m’a répondu « Tu vis à l’étranger toi? ».  Il a exprimé ensuite son indignation et son impuissance avant de conclure par cette question « Pourquoi cette femme est sortie seule tard le soir ? ».  J’ai répondu qu’il posait la question à l’envers et que si j’étais à sa place je me demanderais plutôt « Pourquoi au Maroc, les femmes n’ont pas tout le respect qu’elles méritent de la part de certains hommes ? Pourquoi au Maroc les femmes ne se sentent pas aussi libres que les hommes ? Pourquoi les femmes au Maroc ne peuvent pas sortir seules tard le soir ? Et pourquoi au moment même ou je te parle, il y a des hommes qui violent des femmes, souvent avec le silence complice des témoins ? Si toi policier, tu te sens impuissant, imagine le citoyen ordinaire.. ».

J’étais encore ébranlé par ce que je venais d’apprendre, alors j’ai déversé toute ma colère sur ce policier qui m’écoutait sans brancher.  Il s’est accoté sur un mur avant de me confier qu’autrefois, une de ses soeurs a fait l’objet d’un viol alors qu’elle était mineure. Personne de son village n’a voulu la marier.   J’ai serré la main de cet homme désabusé avant de le quitter!

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Jeune, après chaque spectacle de théâtre ou de danse auquel je participais, la règle voulait qu’on accompagne les filles chez-elles.  « Vous ne retournez pas avant que la porte soit fermée », je trouvais que notre metteur-en-scène, Hamid Kiran, exagérait un peu.  « Une chance sur un milliard, je ne la prendrais pas » qu’il nous disait.  Et moi, du haut de mes 17 ans et demi, je répondais « La peur nourrit la peur, on s’en sortira pas ».  Hamid avait raison. Je n’avais peut-être pas tout-à-fait tort.

Aujourd’hui, pourquoi à l’entrée de l’immeuble de mon enfance, il y a une grande porte grillagée ? C’est en répondant à ma question qu’on m’a appris l’histoire d’un viol.

Je me suis promis de la raconter un jour.  Les mots justes tardent encore à venir. L’envie de hurler est toujours coincée dans ma gorge.

Mais cette femme violée, comme toutes les autres, méritent mieux que l’oubli.

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PS:  C’est une semaine de prévention contre le viol qu’il faut organiser chaque année. Les chiffres sur le viol sont plus qu’alarmants. 903 viols par jour dans le monde. 329 708 viols déclarés chaque année. 95136 aux Etats-Unis. 52 425 en Afrique du sud et 24 350 au Canada. Après le Congo, le Suède serait le deuxième pays qui compte le plus de viols déclarés, 60 000 viols par année. 5000 par jour. Certaines filles suédoises portent des ceintures de chasteté.

Combattre le viol par la justice évidemment, par la dénonciation, mais aussi par l’éducation, par la prévention. Le viol est aussi le symptôme d’une misère sexuelle, d’une conception dégradante de la femme, ici comme ailleurs.